Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Aujourd'hui, j'ai choisi de vous parler dans le cadre du Printemps des Poètes, d'une jeune poétesse dont on parle trop peu : Il s'agit de Mireille Sorgue...
Cette jeune poètesse gagne à être mieux connue, car malgré sa jeunesse, son oeuvre est d'une sensualité rare et d'une exigence qui révèle un talent immense trop tôt stoppé par sa brutale et trop précoce disparition.
Car je veux être reine de mes soleils et de mes peines, tenir les clefs des cités que je hante et garder enclose dans ma parole la fugitive vie que je m’émerveille d’entendre battre à mes tempes.
Mireille Sorgue "Tentation"
Il me semble que je suis possédée par un langage qui s’organise sans mon secours.
Toi, bien sûr, tu savais déjà… Mais moi… NON. Non, je ne savais pas, même s’il t’a semblé que ce que j’écrivais était d’un parler d’amoureuse parfois. Je n’avais aimé qu’avec tendresse. Mais à présent quel nom donner à cette grand faim de toi, à cette douleur latente, savourée, qui m’alourdit comme un enfant dans ma chair, à cette grande peine qui me fait rire haut et chanter le matin ?
Lettres à l'Amant I
Née à Castres en 1944, Mireille Sorgue (de son vrai nom Pacchioni) est fille d'instituteurs. Ses parents enseignent dans deux villages proches. Son père fait les trajets à vélo comme c'était souvent le cas à l'époque et s'engage dans la Résistance.
Il rejoint ensuite les FFI puis participe à la campagne des Vosges avant d'être envoyé en Allemagne. C'est là-bas que Mireille aura une petite soeur.
La famille s'installe après la guerre à Montpellier. Les vacances se passent à Cannes chez la grand-mère. Le père, dégagé de ses obligations militaires réintègre l'enseignement et la famille s'installe dans le Sidobre.
La petite Mireille se passionne dès son plus jeune âge pour la lecture : elle sait lire dès l'âge de quatre ans. En cm2, elle a deux ans d'avance, et devra patienter pour avoir l'âge requis d'entrer en sixième.
Elle est naturellement douée mais subit la difficile "obligation de perfection" imposée par le métier de ses parents. Ce n'est pas facile d'être fille d'instituteurs : les parents sont rigoureux et imposent un travail quotidien. Il n'y a pas de place pour la médiocrité.
C'est donc une élève brillante ce qui ne l'empêche pas d'adorer la vie à la campagne.
Ces années d'enfance dans un village "aux carrefours déserts où les chats mêmes ne se font jamais écraser, où l’air est pur, le soir calme, la nuit muette, où les gens en passant vous sourient et vous parlent" la marqueront à jamais.
En 1959 elle est reçu 1ère au concours de l'Ecole Normale d'Albi.
En 1961, elle reçoit le premier prix de dissertation française au Concours Général. Retrouvez ICI le texte de sa dissertation.
Un inspecteur de l'Education nationale la remarque. Il est plus âgé qu'elle mais deviendra l'Amant.
De 1961 à 1967, Mireille Sorgue et François Solesmes vont entretenir une correspondance quotidienne, qui ne sera que partiellement publiée, respectant la vie privée de chacun.
Leur relation évoluera de simple amitié vers une véritable passion amoureuse durant l'année 1963. Auprès de lui, elle a découvert l'amour : il lui a révélé qu'elle était femme et elle célèbrera cet amour ainsi que l'Amant dans des poèmes sensuels, qui parlent de l'éveil des sens et de l'abandon de l'enfance.
Cet amour durera cinq ans. Elle décrira dans ses poèmes les hésitations, le désespoir de la séparation, l'union des corps et l'extase des caresses et la nécessité de cacher cet amour aux autres pour le préserver.
Lui-même écrira de superbes poèmes en retour.
Etudiante à l'école normale de Toulouse, elle écrira ses premiers poèmes en 1962.
En 1962-1963, elle est reçu première aux IPES (concours d'élève-professeur).
En 1964, elle prépare sa licence. Elle songe alors à un diplôme d’études supérieures consacré aux "Lettres à Lou" d’Apollinaire, dont elle fait faire un micro-film à La Bibliothèque nationale, cette correspondance n’ayant encore donné lieu qu’à une édition à tirage restreint.
C'est durant l'été 1965, en vacances en Provence, qu'elle poursuit l'écriture des poèmes qui deviendront l'Amant.
En juillet 1967, elle est reçue aux épreuves du CAPES.
En août, elle passe quelques jours à Paris pour achever d'écrire et prendre ainsi du recul par rapport à son passé.
Fin juillet, elle a rencontré un jeune homme dont elle est tombée amoureuse. Il est d'origine arabe et ses parents ne veulent pas en entendre parler. Elle est amoureuse.
Que se passe -t-il ensuite ?
Comment expliquer que des témoins la trouvent en pleurs ?
Dans la nuit du 15 au 16 août, dans le train qui la ramène à Toulouse, elle ouvre la porte extérieure et tombe du train. Accident ou suicide ? Personne n'a encore aujourd'hui de réponse. Elle mourra deux jours plus tard. Elle avait 23 ans.
Prémonition ? "Il me semble que je n’aurai jamais trente ans ", écrivait-elle dans une lettre datée du 24 février 1963.
Les textes sur l’Amant seront publiés en 1968, sous le titre "L'Amant".
Un an plus tard, le livre obtient le prix Hermès à titre posthume.
Depuis 1994, une rue de la ville de Toulouse porte son nom.
Pour en savoir plus sur Mireille Sorgue...voilà quelques liens ver des sites qui m'ont inspiré.
- sa biographie complète.
- le site officiel (en maintenance en ce moment).
- le blog qui lui est consacré.
- L'article qui lui est consacré sur le site de la revue épistolaire.
- L'article de Geneviève Brisac relayé sur le blog du Monde.
- La présentation qui lui est dédiée sur le site du Printemps des poètes.
- Extrait d'articles de Presse publiés après la parution de ses oeuvres à titre posthumes.
- Mireille Sorgue : à qui m’aimerait par Valérie Pera-Guillot.
Si mes propos gênent quelqu'un de la famille proche, surtout qu'il n'hésite pas à m'en faire part par le formulaire de contact. Je retirerais aussitôt (ou corrigerais) mes erreurs bien involontaires, s'il en est.
Ci-dessous, quelques extraits de ses merveilleux poèmes qui montrent sa nature passionnée et son talent époustouflant...
Mon amour, longtemps je me suis tue rêvant devant la feuille blanche, la feuille immense comme ce long loisir où j’entre, ne pouvant me résoudre à dire ces mots qui ne valent pas leur pesant de silence. Alors tout incertaine, étonnée de bonheur, je commence tout doucement car le soleil qui m’alourdit berce ma main, à peine effleurant ton visage, en lente reconnaissance de mes domaines. Et comme si de hautes paroles pouvaient défaire le charme que j’éprouve, je parle très bas, à ton oreille seule, à ta bouche ; et comme si des gestes trop brusques allaient susciter des prodiges, mes mains à peine s’enhardissent sur ton corps ; mais si prudentes soient-elles, je sais où elles s’acheminent et quelle vendange elles font ? je soupçonne une éclosion soudaine, imminente ? la chute du soleil dans l’herbe, comme un fruit trop mûr qui s’écrase ? la chute infiniment du soleil qui s’abîme. Mon amour, mon amour, je te retrouve et ce sont les vacances, mon amour, et je suis devant toi comme en lisière d’un pré avant d’être fauché, savourant avant que d’oser m’y étendre son parfum opulent…
L’eau à la bouche.
Je veux dire ceci :
Un jour une main s’est tendue pour que la mienne y prenne vie.
Pour que la mienne y prenne feu.
Un jour une main m’a prise et désormais je n’ai eu lieu qu’en elle.
C’est ta main, et quand je la tiens, je crois te tenir tout entier.
J’en parle comme de toi.
Mireille Sorgue Je veux dire ceci ( extrait de l'Amant)
Nos mains sont hirondelles volant bas devant l’orage, leurs cris d’avertissement. Cette griffure au cœur quand, relevant la tête, on voit que le ciel se plombe ! Quand regardant autour de soi, on ne reconnaît plus ce fond de forêt où l’on se trouve seul. Alors, cette course droit devant soi ! Alors ce corps où l’on se heurte, ou l’on s’entrave, qu’il faut franchir : ce corps qu’on repousse, qu’on lacère, qu’on écrase ! Alors ce corps de mon amour que je rencontre et que je reconnais dans le noir.
Je veux dire ta main sous laquelle je m’éveille au désir, au plaisir.
Ta main si lente à me séduire.
Si sagement, si savoureusement lente. Je veux dire ces
prémices plus émouvantes que celles du jour ou de l’avril:
quand chancellent les verticales; quand toute flamme se couche, s’allonge, comme celle bleue de nos veines.
Quand j’attends que tu me touches comme folle que sonne l’heure.
Mireille Sorgue, L’Amant.
Que se pose la mouche, afin que j’arrache ses pattes, méticuleusement, très consciencieusement, ainsi qu’on voit faire aux enfants le front penché,
En redevance du mal que tu me fais.
Que s’englue l’oiseau, afin que j’étrangle son cou, dégoulinant la perle de sang
qui sourd à son bec sur mes doigts joints en collier dans la tiédeur des plumes,
En redevance du mal que tu me fais.
Que se prenne l’éphémère au réseau de mes mains unies afin que je broie ses ailes,
très délicatement, ne gardant à mes ongles qu’un impalpable cerne blond,
En redevance du mal que tu me fais.
Que vienne ma mère m’embrasser, afin que je repousse son visage offert et
la lèvre ouverte au baiser :
C’est redevance du mal que tu me fais.
Extrait de "Préméditation"
C’est être heureuse, non glorieuse, que je préfère ;
c’est me sentir vivante, seulement cela, vivante.
(2 juillet 1966)
Bibliographie
- 1968 / L'amant (Editions Robert Morel) Prix Hermès.
- 1985 / L'amant (édition remaniée Albin Michel).
- Lettres à l'amant tome 1
- Lettres à l'amant tome 2
- 1986 / L'Amant et les lettres (France-Loisirs).
- 2001 / Les trois ouvrages paraissent en poche.
Je voudrais écrire comment je t'aime. En une longue lettre. Je voudrais faire ce progrès vers toi, réduire autant que c'est possible la distance entre nous, l'ignorance qui la cause. Ainsi, je ne serais pas moins différente de toi, mais peut-être te serais-je moins étrangère, peut-être te sentirais-tu moins seul. Quelqu'un aurait cherché à te rejoindre, à communiquer avec toi.