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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Histoire de Dame Pak / Roman coréen du XVIIIe siècle

L'Asiathèque mars 2016

L'Asiathèque mars 2016

 

Kong Li, un grand Lettré faisant parti des hauts fonctionnaires, est revenu dans les montagnes de Diamant, les célèbres montagnes où se trouve l'ermitage Myong-wol, où il était venu prier voilà plusieurs décennies pour que les esprits lui accordent la naissance d'un fils.

Son voeu a été réalisé car peu de temps après son voyage, sa femme s'est retrouvée enceinte et Yi Si-paek, leur fils, est né : il a aujourd'hui 16 ans.

Kong Li est devenu entre temps, gouverneur de la province de Kangwon, située justement dans ces montagnes.

Voilà pourquoi il vient de s'y installer aujourd'hui, avec son fils...

 

A peine arrivé, il reçoit au palais la visite d'un ermite du nom de Pak Hyon-ok, vivant dans ces montagnes avec sa famille.  Celui-ci lui propose de conclure un mariage entre Yi Si-paek et sa propre fille.

Kong Li n'est pas surpris puisqu'une certaine prophétie le lui avait annoncé dès la naissance de son fils.  

Ébloui par l'honneur qui lui est fait, car l'ermite est quelqu'un de très érudit, un lettré très connu pour sa connaissance du Dao, Kon Li accepte aussitôt et la date du mariage est choisie sans tarder, un jour faste de l'année suivante.

 

Le mariage a lieu...mais la jeune fille, bien que très intelligente et érudite elle-aussi, est très laide, pour ne pas dire carrément repoussante. 

La physionomie de la jeune Pak était repoussante, mais son caractère agréable et sa connaissance du Dao incommensurable : il n'y avait rien qu'elle ignorât de toutes les choses du monde.L'ermite la considérait comme une personne extraordinaire et, lorsqu'il avait quelques moments de loisir, il appelait la jeune fille, la faisait asseoir devant lui pour lui parler des événements présents et passés : les réponses de la jeune fille jaillissaient comme l'eau vive et, même s'il s'agissait de choses que son père ignorait, elle les expliquait avec intelligence. (p 9- 10)

 

Le soir des noces, le jeune fils de kong Li s'enfuit épouvanté. 

Pendant des mois, toutes les nuits, Yi Si-paek va se recroqueviller dans un coin de la chambre et s'enfuir au matin. Le mariage ne sera pas consommé. 

 

Peu avant le mariage, Kong Li est devenu directeur du département des Fonctionnaires, une grande faveur de la part du roi. Il est parti s'installer dans  la capitale pour y exercer ses fonctions en emmenant toute sa famille loin des montagnes. 

Seule et isolée, la jeune Dame Pak trouve un peu de réconfort auprès de Kye-hwa, sa jeune servante qui lui est toute dévouée, et de son beau-père qui fait la leçon à son fils, lui reprochant de ne s'attacher qu'aux apparences.

Kong Li est également mécontent après sa femme qui est pleine de ressentiment et de dépit à son égard de lui avoir choisi une belle-fille aussi laide...

- Comment cette personne peut-elle être ma belle-fille ? Si elle reste près de nous, comment pourra-t-on la regarder ?
Le kong fut mécontent et dit :
- Même si physiquement la nouvelle épousée est laide, ses dons sont extraordinaires, dans son cœur la connaissance du Dao et de la Loi Bouddhique est grande et complète ; elle est d'une grande chasteté. Assurément, c'est là une personne qui fera briller notre maison. Femme, comment pouvez-vous critiquer la laideur de son visage ? (p. 25)

 

Un jour, Dame Pak demande à ses beaux-parents de lui construire un pavillon près de leur demeure où elle pourra se livrer tranquillement à ses passions, loin du bruit et de l'agitation de la maison, tout en continuant à les servir. Aussitôt kong Li s'exécute et agrémente le pavillon d'un magnifique jardin. 

Une fois installée, la jeune femme fait tout son possible pour faire usage de ses dons. Elle conseille les uns, les prévient des dangers qu'elle pressent, invite son époux à utiliser un encrier spécial pour qu'il réussisse dans sa carrière et en particulier à l'examen de kwago, passage obligé pour devenir un haut fonctionnaire.

 

Un jour son père, venu en visite, lui révèle qu'elle doit, par sa terrible laideur, expier des fautes commises dans ses vies antérieures et que maintenant est venu le temps de retrouver son vrai visage.

Tout va alors changer dans la vie de Dame Pak...

Une fois retiré le masque hideux de son visage, elle devient d'une époustouflante beauté et, en même temps que sa beauté, elle développe ses dons surnaturels.

 

...le kong resta quelque peu incrédule et il regarda Dame Pak attentivement : avec ses lèvres de corail et son visage de jade, elle était étonnamment belle, d'une beauté incomparable. Le coeur troublé il restait silencieux... (p 51-52)

 

Son érudition et son intelligence, ainsi que ses dons immenses lui permettent de faire appel à  la magie et au surnaturel. Elle aidera ainsi son mari, devenu ministre des Affaires militaires, à repousser l'armée ennemie. Elle sauvera la famille royale en la cachant dans une zone protégée et démasquera une espionne venue pour tuer son mari. 

Demain après le crépuscule, une chanteuse [une prostituée] qui dira se nommer Sol Chung-mae et être originaire de Wonju dans la province du Kangwon, se rendra dans votre bibliothèque et, si par hasard, vous êtes attiré par le doux visage de cette femme et si vous la faites venir dans votre chambre, alors, pendant la nuit, vous serez victime d'un grand malheur. Parlez donc comme ceci et comme cela à cette femme et envoyez-la dans ma chambre... (p 73)

 

Enfin, en tuant les deux généraux qui commandaient l'armée ennemie, elle sauvera définitivement son pays des envahisseurs.

Dame Pak pourra alors vivre enfin des années heureuses...

 

 

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C'est à la fois un roman d'aventure, un conte empli de poésie, faisant appel au surnaturel et un roman d'avant-garde par son côté féministe. 

 

Dame Pak est l'exemple même de la femme insoumise et qui entend bien mener sa barque comme elle l'entend. Elle vit à l'opposé des femmes de son époque qui restent toutes confinées à l'intérieur du foyer sans rien dire.

Mais sous ses côtés insoumis, elle représente pourtant un certain idéal féminin : elle est belle (enfin pas au début de l'histoire) ; elle est serviable, et sert ses beaux-parents tout en restant fidèle aux ancêtres ; elle est courageuse et ne manque pas une occasion de faire le bien autour d'elle et de plus, elle est érudite et capable de conseiller son époux pour l'aider dans sa réussite professionnelle. 

 

Dame Pak est un personnage fictif et donc sans doute légendaire, une héroïne qui, par ses actions, vise à redonner confiance au peuple, honteux des défaites subies par son pays. 

En cela ce roman fait partie des romans patriotiques dans lesquels l'auteur n'émet aucune critique à l'encontre du roi ou des représentants de l'autorité. Le roi est représenté sous son meilleur jour, toujours plein d'humanité envers son peuple ou ses fonctionnaires. 

C'est d'ailleurs amusant de penser que la seule issue aux invasions des ennemis soit l'intervention de la magie !

 

La mythologie coréenne fait souvent appel à deux mondes antinomiques, l'un sacré l'autre profane, ce qui laisse à penser que l'auteur s'est largement inspiré d'une légende ou d'un mythe existant. 

Beaucoup de mythes et de légendes anciennes se sont ainsi peu à peu transformés lors de la transmission orale.  

Puis, ils ont été recopiés maintes fois par écrit, dans des romans manuscrits, et souvent combinés à des histoires vécues (certains personnages du roman ont réellement existé) : ils sont ainsi devenus des oeuvres littéraires à part entière.

 

Tout dans ce roman rappelle la transmission orale : la répétition à la fin de certains chapitres de la phrase "Écoutez ce qui va suivre" visant à aiguiser la curiosité du lecteur (=auditeur dans ce cas précis), ou "on raconte que" avertissant le lecteur de l'invention de ce qui va être dit ; le peu de description des lieux ; mais aussi le peu de cas porté à la psychologie des personnages qui sont décrits avec juste ce qu'il faut pour se les représenter. 

 

 

Ce roman a été traduit du coréen par Kim Su-shung et Marc Orange.

C'est un texte classique remarquable, paru pour la première fois chez l'Asiathèque en 1982, qui fait ici l'objet d'une révision en profondeur...dans le cadre de l'année France-Corée.

 

Marc Orange, titulaire d'un doctorat "Etudes extrême-orientales, littérature coréenne", directeur de l'Institut d'études coréennes du Collège de France de 1992 à 2002, président de l'Association française pour l'étude de la Corée (AFPEC) et lauréat du Prix culturel Sejong 2013, est en effet un coréanologue éminent. 

Le texte en français est suivi de la reproduction en fac-similé d'une édition du roman en coréen, composé verticalement et de droite à gauche.

 

Une introduction de Li Ogg précède le roman. Elle concernait l'édition de 1982 qui regroupait à la fois "Histoire de Dame Pak" mais aussi, une autre roman, "Histoire de Suk-hyang".

Li Ogg est aujourd'hui décédé, c'est pourquoi le traducteur qui a été son élève, a décidé de publier cette introduction dans son intégralité, avec juste quelques références littéraires en notes. 

Li Ogg était un historien de la Corée ancienne. Il a été le fondateur des études coréennes en France. On lui doit plusieurs livres sur l'histoire de la Corée. Il a été enseignant à l'université de Paris VII. Si vous voulez en savoir plus sur cet historien de la Corée, j'ai trouvé cette biographie sur le site France-Corée

 

L'auteur de ce roman n'est pas connu pour diverses raisons.

La plupart des romans publiés en Corée du temps de la dynastie des Yi (1392-1910) étaient eux aussi anonymes.

 

Peut-être les copistes de l'époque qui transcrivaient les récits manuscrits, ont-ils tout simplement négligé de le transcrire ?

 

Ce dont on est sûr c'est que les Lettrés de l'époque, grands admirateurs de la littérature et de la civilisation chinoise, méprisaient les romans écrits en "hangeul" qu'ils jugeait trop "vulgaires".

Le "hengeul" est cette langue coréenne écrite, créée au XVIe siècle, et que les clercs ont voulu écarter. Elle est restée utilisée uniquement par les femmes jusqu'à son rétablissement comme langue coréenne au XIXe siècle.

 

Mais peut-être l'auteur a-t-il choisi tout simplement de garder l'anonymat pour avoir plus de liberté et être protégé lorsqu'il en venait à parler dans ses oeuvres de mesures sociales ou poliques, critiquant ainsi par ses propos les autorités royales ? Mais cela paraît peu vraisemblable puisque de nombreux auteurs coréens de cette époque, connus pour être des révoltés critiquant les décisions politiques, sont des auteurs qui ont toujours signés leurs écrits...

 

Quoi qu'il en soit, ce roman fait partie des premières grandes oeuvres de la littérature romanesque féminine, écrites en "hangeul". Il fait partie des classiques toujours en faveur, que ce soit en Corée du nord ou en République de Corée. 

 

J'ai eu beaucoup de plaisir à le lire.

 

Les nombreuses notes de bas de pages permettent de se repérer facilement dans les lieux, les fonctions et les traditions de la Corée de l'époque et nous permettent d'en savoir plus, si on le désire.

A noter... ce n'est pas obligatoire de les lire pour entrer dans le roman et en faire une première lecture. Elles sont par contre indispensables pour comprendre le contexte de l'époque car les événements historiques sont réels.

 

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