Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Bride, l'héroïne de ce roman est une jeune femme noire et très belle. Elle travaille dans les cosmétiques où elle occupe un poste important. Elle a tout pour être heureuse, une amie qui la comprend et partage son travail, un petit ami qui la comble sensuellement et de plus, elle roule en Jaguar et tout le monde se retourne sur son passage surtout lorsqu'elle s'habille de blanc.
Mais le jour où Booker, son petit ami, la quitte brusquement sans explication en lui disant juste qu'elle n'est pas la femme qu'il voulait, Bride tombe des nues et entre dans une sorte de dépression où elle ne se reconnaît plus. Même son corps semble se rétrécir et redevenir celui d'une petite fille. C'est Lula Ann qui renaît dans le corps de Bride...
Reviennent alors à la surface les souvenirs de son enfance, les fautes qu'elles a commises et les traumatismes, en particulier l'époque où sa mère ne la regardait pas et ne la touchait jamais car elle avait honte de sa couleur de peau si noire, elle qui était métisse et claire, à tel point que la petite Lula Ann était prête à tout pour un regard, un sourire ou un regard de fierté...
"Je priais afin qu'elle me donne une fessée ou une gifle, rien que pour sentir son toucher. Je faisais des bêtises exprès, mais elle avait des façons de me punir sans toucher ma peau qu'elle détestait..."
Prête à tout en effet ! Le lecteur verra jusqu'où Lula Ann est allée pour recevoir un peu d'attention et d'amour de sa mère. Et les fautes qu'elles a commises enfant, vont la poursuivre adulte et l'empêcher d'être heureuse.
Bride va se désintéresser de sa carrière pour partir sur les routes à la recherche de son seul amour avec en poche seulement une adresse qu'elle a retrouvé sur une facture.
Elle va découvrir qu'elle ne sait rien de lui à part les moments qu'ils ont vécu ensemble. Elle ne l'a jamais questionné ni sur son passé, ni sur sa famille, ni sur ce qu'il aime faire ou pas.
En fait ils ne parlaient que du présent.
Elle va tomber bien bas pour pourvoir remonter le fil qui lui fera retrouver Booker. Il lui faudra laisser tomber les masques et dénouer les non-dits et les mensonges qui ont envahi sa (leur) vie.
Un chemin tortueux et semé d'embûches et d'imprévus. Mais elle est sûre d'une chose : Booker est l'homme qu'elle aime et qu'importe le reste...
Au fil du roman l'auteur fait entendre plusieurs voix et tout débute par celle de Sweetness, la mère de Lula Ann. Dès le début du roman, cette voix permet de mieux comprendre en quoi la naissance de la petite Lula Ann (qui se fait maintenant appeler Bride) a été une catastrophe pour elle, dans une société trop raciste où il n'y avait pas de place pour les noirs.
Puis la voix de Bride se fait longuement entendre, entrecoupée par celle de Sofia, sur laquelle je ne vous dirais rien car c'est un peu la clé du roman. Ensuite vient celle de l'amie Brooklyn...
L'auteur prête sa voix aux différents personnages pour mieux nous parler du problème d'identité de la population afro-américaine et de l'importance de la couleur de peau dans la réussite sociale. Celle de Bride du coup, nous apparaît plutôt amère car c'est finalement parce qu'elle est belle et noire qu'elle réussit dans le cosmétique uniquement par un effet de mode, favorisé par le monde contemporain...
Comme toujours l'auteur donne la parole aux enfants meurtris.
Dans ce roman qu'ils soient blancs ou noirs, ils ne sont pas épargnés par la violence des adultes, ni par le racisme ou les prédateurs sexuels...
La petite Lula Ann a une mère qui ne l'aime pas et lui en veut d'être née. Sweetness se justifie en disant qu'elle l'a élevée durement pour la préparer à ce qui l'attendait dans la vie parce sa peau était noire. En fait elle lui fait payer durement le fait que son mari soit parti, pensant qu'elle l'avait trompé et elle n'accepte pas la couleur de peau de sa petite fille, alors que grâce à la sienne, qui est claire, elle pouvait se désintéressser du problème noir.
"Elle m'a fait peur, tellement elle était noire. Noire comme la nuit, noire comme le Soudan. Moi, je suis claire de peau, avec de beaux cheveux, ce qu'on appelle une mulâtre au teint blond, et le père de Lula Ann aussi. Y a personne dans ma famille qui se rapproche de cette couleur."
Le frère de Booker est enlevé, puis abusé sexuellement et on le retrouve mort ce qui, non seulement traumatisera toute la famille, mais créera un bloquage chez Booker qui ne réussira pas à trouver sa place dans sa famille (Adam et lui étaient très proches) ni dans ce monde trop violent pour lui. Il cherchera refuge auprès de Queen, sa tante. Elle seule le comprendra et trouvera les mots pour apaiser sa peine.
La petite Rain retrouvée sur la route par le couple qui portera aussi secours à Bride, a été chassée de chez elle par sa propre mère, parce qu'elle avait mordu un homme qui abusait d'elle.
Le titre original "God Help the Child" (Que Dieu aide l'enfant) fait d'ailleurs référence aux enfants...et au fait que puisque personne parmi les adultes ne les aident, il ne reste plus que Dieu...
Le titre français "Délivrances" fait appel à différents sens de ce mot.
Délivrance de la mère qui vient d'accoucher, de Sofia qui sort de prison, de Brooklyn qui va pouvoir enfin occuper le poste de Bride puisque celle-ci est partie, de Bride qui cesse de se mentir et de mentir aux autres, de Booker qui va pouvoir enfin se défaire de son enfance, non pas oublier mais accepter la mort de son frère.
L'auteur nous parle de la souffrance et des traumatismes qui fragilisent les adultes et les empêchent de réaliser leur projet de vie. Elle nous dit clairement dans ce roman plutôt sombre qu'il faut garder espoir, car tout est possible dans la vie.
Elle fait dire à Queen, lors des retrouvailles de Bride et Booker :
"Ils vont tout faire capoter, se dit-elle. Chacun va s'accrocher à une petite histoire triste de blessure et de chagrin : un problème et une douleur anciens que l'existence a lâchés sur leurs êtres purs et innocents. Et chacun va réécrire cette histoire à l'infini...Quel gâchis. Elle savait d'expérience ô combien difficile, ô combien égoïste et destructible était le fait d'aimer".
Un livre incontournable à lire absolument car il va droit à l'essentiel.
Bientôt sur ce blog vous trouverez d'autres chroniques de livres de ce grand auteur américain, Prix Nobel de littérature en 1993.
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