Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
C'est l'année France -Corée, j'ai donc décidé de découvrir quelques auteurs coréens...car jusqu'à présent je ne connais que très peu ce pays.
Le roman "Bienvenue" a été traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel. Il est paru aux Éditions Philippe Picquier en 2013.
Kim Yi-seol n'est pas dans la liste des auteurs qui seront présents sur le territoire français lors du Salon du livre 2016 mais elle est connue dans son pays.
Elle est née à Yesan en Corée du Sud en 1975.
Elle a obtenu en 2006 le prix Sinchunmunye, prix décerné par le quotidien Seoul Sinmun, pour sa nouvelle intitulée "Treize ans".
Depuis elle a publié un autre roman en 2009 dont j'ignore le titre et un recueil de nouvelles en 2010.
Le roman "Bienvenue" est son troisième ouvrage et le premier à être traduit en français.
Quatrième de couverture...
"Yunyeong est prête à tout pour conquérir une vie meilleure: elle doit porter à bout de bras un bébé, un compagnon bon à rien, une soeur poursuivie par ses créanciers, un frère accro aux jeux d'argent ainsi qu'une mère étouffante. Elle a décroché un emploi de serveuse dans un restaurant, qui se révèle être une maison de passe clandestine.
Un roman qui témoigne crûment de la brutalité des rapports sociaux et de la condition faite aux femmes en Corée - une réalité connue de tous mais qui reste soigneusement occultée. Yunyeong se débat contre la pauvreté et résiste à la violence et au mépris grâce à son insurmontable énergie qui, seule, lui permet de garder espoir."
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Bienvenue c'est ce qui est écrit sur le panneau à l'entrée de la ville...Comme une invitation à découvrir et à comprendre les rouages de la société dans laquelle vit notre héroïne et sa famille.
Yunyeong est une jeune femme de 32 ans qui travaille depuis l'âge de seize ans.
Aînée de trois enfants, elle a vu ses parents s'endetter pour les élever, puis pour laisser la cadette Mineong, qui avait brillamment réussi ses examens, finir ses études universitaires. C'est pour aider sa jeune soeur qui aimait étudier que Yunyeong a d'abord travaillé en usine. Mais le père est tombé gravement malade, et malgré le nouvel emploi de sa mère, il leur a fallu vendre la maison pour rembourser leurs dettes. La charge de la famille est alors retombée sur Yunyeong.
N'est-ce pas dans les traditions que l'aîné de la famille prenne soin des siens ?
Yunyeong croit être sortie d'affaire lorsqu'elle décroche un job dans le restaurant de M. Wang, le "jardin des jujubiers"situé en dehors de Séoul, dans un petit village bordé par une rivière.
Elle va pouvoir enfin permettre à son compagnon, Jeong-man, d'étudier sérieusement et de passer les concours de l'administration...
Mais comment peut-il étudier dans la journée puisqu'il est obligé de s'occuper de Ayeong, leur petite fille âgée de trois mois à peine, et qui n'est pas encore sevrée.
Yunyeong travaille 12 heures par jour. Les journées sont épuisantes car malgré la présence de Jini, une autre serveuse et de Yun, la cuisinière, le travail ne manque pas. Il faut toute la journée servir les clients, faire le ménage, courir de la cuisine à la grande salle et jusqu'aux pavillons annexes du restaurant.
Elle rentre chez elle éreintée mais heureuse à l'idée de revoir sa fille qui peu à peu se détourne d'elle pour ne voir et ne tendre les bras que vers son père, car il faut se rendre à l'évidence, Yunyeong s'épuise au travail et voit les siens de moins en moins.
En effet, son patron lui en demande de plus en plus et le restaurant ne sert pas que des repas. Pour arrondir les fins de mois, les filles sont invitées (obligées en fait) à apporter dans les salons et pavillons privés, d'autres sortes de plaisir aux hommes qui les fréquentent...et de plus le patron se sert toujours en premier.
Yunyeong est obligée de s'y soumettre. Elle s'échine à ramener toujours plus d'argent à la maison espérant ainsi améliorer l'avenir de sa famille et réaliser ses rêves.
Son but n'est pas de travailler pour toujours dans ces conditions. Elle veut que son compagnon réussisse, que sa fille puisse avoir de quoi manger, des jouets et des habits, que leur condition de vie s'améliore, et pourquoi pas un jour, qu'ils puissent avoir un logement décent à eux.
Mais le destin en décide autrement...
Elle va découvrir que son compagnon ne travaille plus et que les nombreux livres empilés sur son bureau ne servent que de prétexte à faire croire à sa mère qu'il n'est pas un bon à rien. Mais ce n'est pas le plus terrible, car il y a sa fille à qui elle pense tout le jour et dont il s'occupe plutôt bien. Elle va donc décider de s'en séparer pour la laisser à sa belle-mère espérant ainsi que son compagnon se remettra à étudier.
Sa famille à qui elle envoie régulièrement de l'argent lui en soutire de plus en plus. Sa jeune soeur qu'elle n'a pas revu depuis des années, lui envoie ses créanciers et la supplie au téléphone de l'aider à nouveau alors qu'elle lui a déjà prêté beaucoup d'argent...Quant au jeune frère, il ne vaut pas mieux.
Puis c'est au tour de sa mère de lui demander de l'argent.
Yunyeong ne sait plus que faire, d'autant plus qu'un malheur n'arrive jamais seul...
Dans ce roman où l'argent est la clé de tout, l'auteur nous décrit sans concession un pays où il est particulièrement difficile de vivre quand on est pauvre et démuni.
L'histoire se situe après la crise économique de 1997, qui a détruit de nombreuses familles en les plongeant dans la pauvreté pour des décennies. Depuis heureusement, certaines familles ont pu profiter de l'assurance maladie qui s'est progressivement mise en place et du salaire minimum qui commence à être imposé dans les entreprises.
Dans le roman, l'auteur nous décrit les terribles conditions de vie des pauvres gens à travers le destin de Yunyeong.
C'est une héroïne formidable : elle est courageuse, travailleuse, persévérante, prête à tout pour un hypothétique bonheur des siens. Elle porte sa famille sur ses épaules mais ne reçoit jamais rien en retour, ni encouragement, ni remerciement... et pourtant, même plongée dans les pires tourments, elle ne perdra à aucun moment espoir en l'avenir et cherchera tous les jours à réaliser ses rêves de bonheur.
Elle se plie à tout ce qu'on lui demande sans perdre pour autant sa dignité et ne cèdera jamais à la violence, ni à l'humiliation, ni à la jalousie qui séparent les employées. De plus elle ne se révolte que très peu souvent contre son compagnon qui est incapable de subvenir aux besoins de sa famille.
Ce comportement de soumission est une évidence pour elle. Peut-elle faire autrement dans ce monde dominé par les hommes, par le pouvoir et l'argent ? Dans un pays où la femme a toujours été considérée comme inférieure à l'homme et tout juste bonne à élever ses enfants et à tenir un foyer...
C'est ce qui la rend si attachante au lecteur qui, bien que ne s'identifiant jamais à elle, voudra savoir comment elle va s'en sortir...
Pourtant on ne l'entend jamais se plaindre, ni implorer notre pitié, ou même parler d'elle et de ses souffrances psychologiques ou physiques.
Non, l'auteur énonce seulement des faits ce qui crée une distance salutaire entre le lecteur et ce que l'héroine vit de violence au quotidien.
Il y a tant de choses révoltantes dans ce roman pour nous, les occidentaux...
Ce qui m'a particulièrement touchée, au-delà de la soumission "obligatoire" de Yunyeong, et de son manque de révolte, de la brutalité, des brimades et des insultes subies par les femmes, c'est l'attitude des grands-mères qui perpétuent la tradition en donnant raison aux hommes de la famille, comme si la dureté des relations hommes-femmes ne suffisait pas !
C'est aussi la dureté de la vie quotidienne, l'insalubrité des logements, le coût du moindre soin indispensable, même à l'hôpital, les pauvres ne pouvant que se laisser mourir pour ne pas ruiner leur famille, mais aussi les clauses particulièrement injustes des contrats de travail.
Toute cette réalité dépeinte sans fioriture par l'auteur et même avec une certaine froideur est difficile à admettre, pour nous occidentaux, ce qui la rend encore plus sombre et cruelle à nos yeux. C'est si injuste de voir ces hommes se pavaner dans ce restaurant alors qu'ils ont tous (ou presque) des femmes à la maison, voire des mères qui les servent et pour qui ils n'ont que mépris.
C'est donc une lecture dure mais édifiante qui nous fait voir la société coréenne sous un jour sombre mais réaliste, en nous décrivant la classe sociale la plus pauvre et défavorisée et les conditions de vie des femmes dans ce pays.
En accédant à la modernité et à la technologie, c'est toute une société qui a perdu ses repères : les hommes n'assument plus leur rôle de chef de famille et sans doute en souffrent beaucoup, mais le roman ne parle pas de leur crise identitaire.
Les plus jeunes doivent continuer à remplir leurs devoirs familiaux qui les obligent à aider leur fratrie, leurs parents et souvent toute leur famille car le respect des anciens est bien ancré dans les traditions.
La femme se doit d'être belle et de se taire, car on ne lui demande pas d'être intelligente.
La rencontre entre le modernisme et les traditions génère de nombreuses contradictions et des tensions qui ne peuvent trouver leur exutoire que dans la violence, comme celle par exemple que les hommes font subir aux prostituées...
L'entrée dans la modernité de la Corée du Sud se fait donc au détriment des conditions de vie de ses habitants et surtout des femmes.
Bienvenue : Yunyeong est prête à tout pour conquérir une vie meilleure : elle doit porter à bout de bras un bébé, un compagnon bon à rien, une sour poursuivie par ses créanciers, un frère ...
http://www.youscribe.com/catalogue/livres/litterature/bienvenue-1994472
Lire un extrait du roman pour vous faire une idée de l'écriture de l'auteur