Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Paul Deville travaille pour une multinationale chinoise qui pille sans complexe les ressources de la planète.
La Chine ne possédant pas les ressources premières nécessaires à son développement a décidé de les ramener d'Afrique. Mais pour cela, les cargos doivent emprunter une route maritime risquée, où les pirates sont partout.
Paul participe à l'implantation d'un réseau de bases navales, conçues avant tout pour sécuriser le transport maritime. Le but est de créer un "collier de perles" (c'est ainsi que les américains appellent cette tactique) en tissant un réseau tout le long des côtes de la mer rouge. Chaque nouvelle base navale créée, permet d'ajouter une perle au collier.
En échange, la multinationale chinoise promet de construire des routes, des hôpitaux ou d'autres structures dont les pays africains limitrophes ont besoin...
De port en port, les ravages causés par les multinationales sont bien visibles : misère, violence, solitude, incompréhension, règlement de comptes...
Paul ne peut empêcher la destruction programmée de ce monde magnifique. Pour tenir debout et se regarder en face, il fuit la réalité en s'accrochant à ses rêves.
Des rêves fous... comme par exemple celui de rechercher des poèmes inédits (jamais écrits) d'Arthur Rimbaud, ce poète qui l'obsède parce qu'il a abandonné la poésie pour devenir marchand (d'armes) à la fin de sa vie.
Pour cela entre deux négociations et ses voyages en Chine, Paul parcourt les côtes africaines avec Harg, un berger éthiopien qu'il paie pour cela, revenu à la vie d'antan après avoir testé la vie en occident.
Ce n'est pas la première fois que Harg aide le Français dans une chasse au trésor qui se révèle littéraire et abstraction, ferveur qui consiste à poursuivre ce que les livres disent ou suggèrent. A Djibouti, les paniers à huîtres de Montfreid, les ombres de Joseph Kessel, la moto de Romain Gary...L'important était d'avoir saisi ce que les écrivains laissent derrière eux. Dans ce coin du monde, du vent, toujours solaire. Ce matin, c'est différent, il y a bien une valise...
Aidé par Harg, Paul fouille sans relâche l'épave du "Pingouin" un bateau qui aurait appartenu au dernier amant de Rimbaud mais qui s'avère être un simple bâtiment militaire...
Le roman débute alors qu'ils viennent de découvrir une malle enfouie dans le sable.
Sur sa route, Paul croise aussi Mariam, une jeune gamine solitaire de Mascate qui vit de sa pêche et espère qu'un jour il reviendra la chercher pour l'emmener avec lui. Mariam l'aime en secret, mais lui ne peut se résoudre à être pris dans ses filets. Elle est bien trop jeune...et pleine de vie. Cependant il voudrait bien l'aider financièrement car il sait bien que tôt ou tard, il n'y aura plus aucun poisson dans la baie.
Que deviendra-t-elle alors ?
Il rencontre aussi Louise, lors d'une escale, une française à la dérive qui s'est séparée de son mari et respire la tristesse.
Le hasard va mettre en contact les deux femmes...
Louise a souvent remarqué ça. On la laisse aller, comme si elle n'existait pas ou, au contraire, existait trop. Le marché est surpeuplé et bruyant, elle se demande comment distinguer Mariam au milieu de cette agitation. Quand parmi les voiles de couleur et les corbeilles d'épices safranées, elle la reconnaît : un panier sur le haut de la tête, les cheveux libres, longs et bouclés, décolorés par le soleil et le sel, les lèvres roses et pleines, les taches de rousseur sur la peau ambrée, l'ovale parfait, le fou rire jusque dans les yeux noisette. ça rend donc si belle de vivre, pense-t-elle en allant à sa rencontre...
Entre deux escales lorsqu'il est à bord, Paul travaille avec Chang, un chinois rencontré en France qui l'aide à rédiger les rapports qu'il envoie à la société avant l'implantation d'une base.
Après sa thèse Paul avait pourtant essayer de suivre les chemins de son père, devenu fou à force de rêver d'un ailleurs différent mais plus juste. Il avait tenté de créer un nouveau système économique qui tiendrait compte de la préservation de la planète et des peuples qui l'habitent.
Enseignant, il lui était facile d'influencer ses élèves et de les ramener à sa cause.
Puis l'idée lui était venue, presque trop facile, de participer au modèle existant pour en précipiter la perte. A la faculté de Montpellier où il donnait sans plus aucune conviction des cours dans un amphithéâtre qui portait le nom de son père, des étudiants chinois étaient arrivés en nombre...
Parmi les étudiants chinois, il y avait Chang...Chang et lui sympathisent, il lui parle de l'entreprise multinationale chinoise pour laquelle il travaille. Et Paul décide de tout quitter et de partir en Chine, pour agir en direct et précipiter la perte de cette destruction générale programmée.
La décision de Paul était prise, il travaillerait avec Chang pour la Chine, ce pays qui fixait les cours des matières premières, et par une politique d'indexation de sa monnaie, provoquait la crise financière en Occident...Le capitalisme allait enfin mourir de sa bonne mort...
Mais, pourra-t-il lutter seul contre les mensonges et les tromperies que les multinationales mettent en place pour acheter à faible coût des ressources indispensables à nos besoins modernes mondiaux ?
Les rêves, ne risquent-ils pas de disparaître dans un système économique mondial où tout se monnaye ?
Mon avis
C'est un roman très particulier qui nous décrit un monde magnifique, d'une époustouflante beauté, broyé par la machine qu'on appelle mondialisation, un monde oublié par les grandes firmes internationales.
En cela, c'est un roman totalement anti-capitaliste.
Il nous parle des valeurs qui ne s'achètent pas comme, par exemple, des rêves, du besoin vital d'aimer et d'être aimé, du besoin de partage et de rencontre, de poésie et d'humanité...
La couverture est très belle et traduit bien l'ambiance et la beauté de ces rives africaines dont on pompe les ressources en les volant aux hommes à qui elles appartiennent depuis toujours, les transformant à jamais.
Ainsi en est-il dans le roman, du lac Afar, qui va être exploité non pas pour son sel comme on le fait croire aux gens du pays mais pour son lithium, acheté au prix du sel (!), lithium qui servira à fabriquer les batteries de nos téléphones portables, ordinateurs et autres objets électriques...
Les personnages se croisent sans vraiment se rencontrer.
Ils sont bourrés de contradiction, forts ou vulnérables, soumis ou révoltés, parfois drôles.
Paul, le héros principal est un idéaliste qui essaie de modifier les choses de l'intérieur pensant faire effondrer le système. Mais il n'échappe pas à la règle et on le retrouve, poursuivi par le sentiment de culpabilité, ou malade et délirant de fièvre, incapable de se laisser aller au bonheur ou goûtant chaque instant de lumière et de soleil, et amoureux de la vie et de la beauté des paysages et des hommes d'Afrique.
On croise aussi le chemin de Cush, le cousin de Harg qui une nuit sans lune, s'enfuit du pays par le Yémen pour gagner les pays du Golfe, attiré par les mirages de la richesse mais à quel prix...
C'est un roman mélancolique, écrit avec à la fois beaucoup de légèreté, de poésie et de gravité. C'est un roman fort qui m'a poursuivi et collé à la peau jusqu'au final, prévisible me direz-vous, mais que j'ai espéré jusqu'au bout différent...
Faut-il pour autant renoncer à ses rêves ?
Louise caresse le visage numérisé, laisse ses doigts s'attarder sur les pommettes hautes, sur les yeux qui ont vu les noyés et les dévirés...avant de lancer, d'un geste sûr et calculé, l'appareil et sa mémoire au plus loin dans la mer. Cela ne sert à rien de garder les images de ceux qui nous ont touchés. Le sourire triste de l'Afar est englouti par les eaux de la mer Rouge, finissant quelque part aux côtés d'Arthur Rimbaud.
L'auteur, ancienne avocate est écrivaine et chroniqueuse judiciaire à "Charlie Hebdo". Elle écrit aussi pour la revue "Causette".
Elle est née en France dans la banlieue lyonnaise, mais jusqu'à l'âge de 12 ans elle vit à Djibouti, en Afrique.
Le jour de la tuerie de Charlie Hebdo, elle était là et se souvient des paroles prononcées par Saïd Kouachi, lorsqu'il l'a aperçu :
Ce jour-là, elle avait dans son sac le manuscrit de son roman, "Courir après les ombres" qu'elle apportait pour le faire lire à son ami Bernard Maris.
Elle a retrouvé les pages de son roman par terre et maculées de sang.
Quelques mois plus tard, au Quebec, elle dira lors d'une interview :
"Courir après les ombres" est son troisième roman.
Un livre édifiant, à lire absolument !