Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Sula / Toni Morrison

Sula / Toni Morrison

 

C'est un roman très court mais très riche qui raconte quarante-six années de la vie d'une petite communauté noire située dans la ville de Medallion dans l'Ohio...

Ce roman, sorti pour la première fois en 1973, juste après "L'oeil le plus bleu" (1970) et avant "Le Chant de Salomon"(1977) a permis à l'auteur de se faire connaître dans son pays.

Il n'a été traduit en français qu'en 1992, bien après "Beloved"(1987), Prix Pulitzer en 1988. 

Je rappelle qu'en 1993, le prix Nobel de littérature a été décerné à Toni Morrison pour l'ensemble de son oeuvre littéraire.

 

Dans les années 20, Sula et Nel, sont deux petites filles...

Elles habitent au coeur d'une communauté noire, installée dans un quartier périphérique situé sur les hauteurs d'une petite ville de l'Ohio.

 

Les deux petite filles ont reçu une éducation totalement différente.

Chez Nel Wright, c'est la propreté et l'ordre qui règnent et Hélène, sa mère, venue s'installer là pour fuir les siens, a tout fait pour rendre sa petite fille calme, posée, obéissante et polie et l'éloigner le plus possible de sa famille maternelle, trop dépravée à son goût (la mère d'Hélène se prostituait). Hélène est une femme rigide et peu encline à la tendresse.

Sula Peace, à l'inverse, est élevée par Hannah, une mère veuve, volage et désordonnée. Elle vit au sein d'une famille aussi bruyante que nombreuse où la vaisselle sale, reste sans fin entassée dans l'évier, et où des journaux encombrent en permanence l'entrée.

Mais dans cette maison pleine de vie, c'est Eva, la grand-mère unijambiste qui gouverne les enfants, y compris ceux qu'elle a recueilli. Elle régente aussi la vie des amis et des nombreuses personnes de passage qui viennent trouver refuge dans sa maison...pour un temps ou pour toujours. Et finalement, Sula se retrouve livrée à elle-même. Personne n'a le temps de s'occuper d'elle.

 

Lorsqu'elles se rencontrent, les deux fillettes deviennent aussitôt inséparables...

...c'est dans les rêves que les filles s'étaient jadis rencontrées....elles avaient déjà fait connaissance dans le délire de leurs rêves éveillés. C'étaient des petites filles solitaires dont l'isolement était si profond qu'il les enivrait et les précipitait dans des visions en technicolor incluant toujours une présence, quelqu'un qui, à l'égal de celle qui rêvait, partageait les délices de ce rêve.

 

Toutes deux s'inventent une vie meilleure car leur vie quotidienne est terriblement ennuyeuse. Mais le destin décide de briser leurs rêves de bonheur et le drame fera partie intégrante de leur quotidien.

Eva, la grand-mère de Sula va décider de tuer son jeune fils parce qu'il est revenu amoindri de la guerre et se retrouve incapable d'assumer sa vie.

Sula jette à l'eau un garçonnet avec lequel elle s'amusait. Toutes deux vont le regarder se noyer sans rien faire. Ensuite, elles garderont ce secret toute leur vie. 

Plus tard, Sula assistera, fascinée, au spectacle de sa mère en train de brûler vive...et de "danser" sans fin de douleur. Une image qui marquera à jamais tous les esprits dans la petite communauté. 

 

Mais Nel et Sula ne sont pas des monstres pour autant, elles ont un terrible besoin d'être aimées.

Elles s'inventent comme toutes les jeunes filles de nombreuses histoires autour de leurs futures conquêtes, découvrant leur sensualité naissante sous le regard des garçons, conquis par leurs jolies formes.

 

Elles coururent presque tout le long [...].Elles coururent sous le soleil, créant leur propre brise qui collait leurs robes contre leur peau moite[...]elles se jetèrent dans un carré d'ombre pour goûter la sueur de leurs lèvres et savourer la folie qui les avaient prises d'un seul coup...Sula posa la tête sur son bras, une natte défaite enroulée autour de son poignet. Nel, accoudée, jouait avec les hautes herbes. Leur chair, sous le tissu des robes, se tendait et frissonnait dans la fraîcheur subite, et leurs petits seins commençaient tout juste à leur faire délicieusement mal quand elles se mettaient sur le ventre.

 

Mais il faut bien grandir un jour... En 1927, Nel se marie avec Jude mettant fin à leur amitié exclusive. 

Sula veut vivre sa vie et n'entend pas rester attacher à un seul homme, ni à un foyer ou encore moins à des enfants. Elle quitte la ville. 

Le destin sépare alors les deux amies... 

Lorsque Sula reviendra après dix années d'absence, ce sera pour semer autour d'elle, petites calamités et drames en tous genres et devenir une paria pour son entourage.

Les deux jeunes femmes, qui avaient toujours tout partagé, deviennent alors rivales...

 

Sula s'était accrochée à Nel comme à ce qui se rapprochait le plus d'une autre ou d'un ego, pour découvrir ensuite qu'elle et Nel n'étaient pas une seule et même chose. Elle n'avait jamais pensé un seul instant faire souffrir son amie en couchant avec Jude. Toutes deux avaient toujours partagé l'affection des autres : comparant la façon d'embrasser d'un garçon, le baratin qu'il servait à l'une puis à l'autre. Le mariage, semblait-il, avait changé tout ça...

 

Mon avis

 

Toni Morrison nous livre dans ce court roman, deux très beaux portraits de femmes, différentes en apparence mais au fond si semblables.

L'amitié entre les deux fillettes, est au coeur de l'histoire mais reste difficile à cerner : elles ont besoin l'une de l'autre et se complètent. La vie va les séparer puisque Nel va se conformer aux désirs de sa mère et de la communauté noire, c'est à dire se marier et se consacrer à ses enfants, alors que Sula à l'inverse deviendra une paria car elle veut vivre dans la liberté et l'absence de conformité, et ne suivre que ses propres désirs sans entrave...

Quelle différence existe-t-il in fine entre la douce et soumise Nel et la violente et libre Sula ? Où se situe la limite entre le bien et le mal ?

Voilà des questions que l'auteur soulève dans ce roman...

 

Malgré les apparences (et le titre) Sula n'est pas le personnage principal du roman ; c'est bien cette petite communauté noire qui vit sur les hauteurs du village de Medallion, ces hauteurs que l'on appelle le "Fond".

Elle a une vie propre, des croyances qui régissent les relations entre les habitants. Les rumeurs y vont bon train et poussent les individus à interpréter de manière erronée les signes extérieurs, comme par exemple, l'arrivée des rouges-gorges, juste avant le retour de Sula...

Sula est le lien entre les différents personnages. Sa personnalité est suffisamment scandaleuse pour qu'elle oblige les membres de la petite communauté noire à se poser des questions et à changer leurs habitudes.

Elle devient le bouc émissaire de toute la communauté parce qu'elle est identifiée comme le mal ce qui entraîne une cohésion du groupe qui se ligue alors contre elle...

 

Les personnages secondaires ne sont pas en reste et mériteraient à eux seuls toute une histoire. 

Par exemple Shadrack, qui a perdu la tête durant la Seconde Guerre Mondiale, est l'inventeur de la Journée du Suicide qu'il a placé lui-même sur le calendrier le 3 janvier. Cette journée a pris une telle place que les jeunes couples repoussent leur mariage, les mères prient Dieu que leur enfant ne naissent pas ce jour-là... Il vit seul au bord du fleuve, pêche et vend son poisson mais il n'est pas dangereux. 

Eva, la grand-mère de Sula, est une mère dure et passionnée qui a dû se débrouiller seule lorsque Boyboy son mari est parti la laissant sans ressources avec ses trois enfants...Son destin sera marquée par le feu. 

Boyboy ne faisait que ce dont il avait envie, d'abord courir les filles, puis boire et enfin maltraiter Eva. En novembre à son départ, il restait à Eva cinq oeufs, 1.65 $, trois betteraves et aucune idée de ce qu'elle aurait dû ressentir. Les enfants avaient besoin d'elle ; elle avait besoin d'argent et besoin de mener sa vie...

Tous les personnages sont traumatisés par la guerre, par l'abandon d'un être cher, par leur condition de Noirs, par leur condition de femme, par la violence dont ils ont été témoins ou victimes, ou celle à laquelle ils se sont laissés aller,  par la vie et la misère...

Il est d'ailleurs difficile pour le lecteur de s'attacher à l'un d'eux. 

 

Les femmes sont pourtant des personnages à part : elles sont fortes, déterminées, et capables de surmonter les épreuves de la vie. 

A l'opposé les hommes sont faibles, subissent leurs attirances pour l'autre sexe, se lamentent sur leur sort et sont incapables d'assumer leurs responsabilités (en particulier leur foyer et leurs enfants) devant lesquelles ils préfèrent fuir...Il est vrai qu'après avoir vécu la guerre, le lecteur trouve normal qu'il leur en reste des traumatismes. Il est vrai aussi que c'est très difficile de trouver un emploi quand on est noir, même si on est costaud, un blanc sera toujours préféré.  

Mais la différence entre l'homme et la femme est telle qu'on peut se demander si l'amour entre eux est possible...

 

Tous les thèmes qui seront développés ultérieurement par l'auteur dans son oeuvre, sont déjà là dans ce petit roman dense et prenant qui comme toujours ne laissera personne indifférent : le racisme bien sûr et la question difficile des Noirs aux États-Unis ; la ségrégation ; l'opposition nord-sud ; la condition des femmes doublement difficile parce que noires et femmes ; les communautés confrontées aux idéaux des blancs qu'elles ne peuvent faire siennes... 

Finalement l'auteur nous explique comment la violence ne peut engendrer que la violence et le manque d'amour, le manque d'amour...

 

Heureusement, il n'y a pas que de la violence et des drames dans ce livre. Certains passages sont tout de même amusants comme par exemple l'interminable voyage vers le sud qu'entreprennent Nel et sa mère, lorsqu'Hélène apprend que sa grand-mère qu'elle aimait tant et qui l'a élevée est mourante. Mais on retrouve bien sûr dans le récit de ce voyage des passages suitants le racisme, comme la présence des wagons réservés aux blancs, l'attente interminable d'un arrêt du train pour pouvoir se rendre aux toilettes...à l'extérieur. 

 

J'ai vu que ce roman était conseillé en lecture au lycée. Pourquoi pas ? Je pense que ce court roman très dense nécessite un accompagnement et donc je le conseillerais plutôt en lecture cursive que pour une simple fiche de lecture libre.

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Je ne connais pas ce livre de Toni Morrison qui pour moi, est une grande auteure qui ose mettre des mots sur les maux de ces compatriotes. Mais je me promets qu'il fera partie d'une de mes lectures prochaines...
Répondre
M
Super ! Je languis de lire ta chronique...Comme je l'explique ce roman est le second qu'elle a écrit mais il a été traduit en français bien après le succès de "Beloved" que je compte relire bientôt. C'est pour ça qu'on le connaît moins.
É
Il semble qu'il y ait beaucoup de violence et de morts horribles dans ce livre et je ne suis pas sûre que cela soit recommandé pour des ados. Tu en parles très bien mais je ne suis pas tentée par cette lecture...
Répondre
M
Toni Morrison est un auteur à part qui a reçu le prix Nobel de littérature. Quand elle parle de violence c'est pour mieux la dénoncer car dans ses livres elle parle toujours de racisme, de ségrégation raciale, de la condition des femmes noires...Je comprends que tu ne sois pas tentée mais ce sont des faits qui existent. Je pense que c'est pour tout ça que les lycéens sont invités à lire ses livres...à partir de 16-17 ans sans problèmes. pas plus jeunes bien sûr.
C
Il a l'air vraiment bien.. Je me laisserai bien tenter, merci du partage !
Répondre
M
Oui tu peux essayer car Toni Morrison est vraiment un auteur intéressant et celui-ci est très court.
B
un livre qui doit amener les jeunes à réfléchir c'est positif. Étonnant de voir qu'il a fallu plus de 20 ans pour qu'il soit traduit en France
Répondre
M
Moi aussi cela m'a moi aussi beaucoup étonné. D'autant plus qu'on y retrouve tous les thèmes de son oeuvre...
N
Ce livre n'est-il pas trop "ardu" pour ces jeunes de lycée? Peuvent-ils vraiment en sentir"l'essence" à leur âge? Je te souhaite une excellente journée.
Répondre
M
Tu as raison je me suis posée les mêmes questions c'est pour ça que je dis qu'il nécessite un accompagnement...Les thèmes devraient les intéresser mais le contexte n'est pas facile à comprendre.