Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Fauve d'or Angoulême 2016.
J'ai décidé de me remettre à lire quelques BD en 2016 et j'essaie de m'y tenir.
"Ici" n'est pas à proprement parlé une BD.
C'est en fait un roman graphique qui raconte l'histoire d'un lieu, une simple pièce dans une maison américaine de style colonial, dont les principaux repères immuables sont la fenêtre et la cheminée.
Le lecteur voit défiler tous les êtres qui sont venus y vivre à travers les siècles, voire les millénaires, puisque l'histoire remonte bien avant la présence de l'homme sur les lieux et s'étale de 800 000 ans avant J.-C. à 2314 !
Mais les premier et dernier tableaux se situent en 2014...
Les premières pages sont vides et personne n'a l'air d'habiter les lieux puis soudain en 1957, une femme ne sait plus ce qu'elle venait chercher dans la pièce comme cela nous arrive parfois et l'histoire commence !
Dans cet espace, les existences se croisent sur la même page ou sur des pages différentes, se répondent, puis disparaissent à jamais.
L'auteur se permet même un petit clin d'oeil vers l'avenir jusqu'en 2313...
Pour saisir ces instants, le lecteur n'a donc que des bribes de phrases dont il ne peut que deviner le contexte, des instants fugaces, des jeux d'enfants dont on perçoit sans difficulté le bruit, des instants de tendresse, d'attentions répétées ("tu as tes clés ? ta montre ?"...).
Des mystères restent entiers : on ne saura pas ce que le cambrioleur a volé en 1997, ni qui est mort en 1916, ni pourquoi deux individus se disputent en 1910, ni qui se marie en 1990....
Des événements se répètent à des décennies d'intervalle...comme les photos des enfants sur le canapé par exemple. Parfois ce sont les mêmes enfants qui grandissent...parfois non.
On suit certains personnages la même année, sur plusieurs pages ou au contraire, on ne les verra plus jamais.
C'est magique, cela donne le tournis, notre imagination galope et nous fait réfléchir au temps qui passe.
C'est une BD que l'on prend le temps de regarder, qu'on peut ouvrir au hasard des pages sans problèmes car il n'y a pas de sens de lecture préconisé. On n'a qu'une envie d'ailleurs c'est d'y revenir, de lire et relire tel dialogue, ou de visionner telle page, car une foule de détails nous échappent à la première lecture.
Il ne s'agit que de petites histoires de la vie quotidienne qui n'ont pas un réel intérêt sorties comme elles le sont de leur contexte. Non, ce qui fait la force de ce roman graphique, c'est le point de vue duquel on se place pour regarder ces bribes de vie. Car le lecteur ne change jamais de place : il est là où le dessinateur a ouvert la "fenêtre" et y restera jusqu'à la fin...
C'est très original...
Après la lecture je me suis mise à songer à certains lieux que j'aime...ce serait merveilleux d'en connaître l'histoire exacte, de pouvoir comme dans "Ici", y voir vivre les différentes générations qui s'y sont succédées et qui lui ont donné une âme.
Le dessin tout en subtilité est soit tout simplement au crayon, soit à l'aquarelle ou bien les images sont composées de collages...
Vous pouvez visionner quelques vignettes sur le site du Nouvel obs.
L'auteur Richard McGuire est né dans le New Jersey en 1957 et vit aujourd'hui à New York. Graphiste de formation, il se révèle un incroyable touche-à-tout et ouvre de nouvelles portes dans tous les domaines qu'il aborde.
À l'origine de quelques fameuses couvertures du «New Yorker», il est aussi l'auteur de livres pour enfants salués par la critique.
Mais c'est en bande dessinée qu'il marque durablement les esprits avec, en 1989, la publication des six planches de «Here» dans le magazine «RAW» d'Art Spiegelman.
Au début des années 2000, il entre en résidence à la Maison des auteurs à Angoulême et participe au long-métrage d'animation «Peur[s] du noir».
Vingt-cinq ans après sa première version, Richard McGuire déploie le concept de «Here» en plus de trois cent pages, dans une grande fresque de la mémoire et de la vie.
L'idée lui est venue lorsqu'il s'est installé dans sa maison de Perth Amboy dans le New Jersey, explique-t-il dans une interview sur France Inter.