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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Le Royaume / Emmanuel Carrère

Le Royaume / Emmanuel Carrère

Ce livre a reçu le "Prix littéraire du Monde" en 2014 et a été élu "Meilleur livre de l'année" par la rédaction du magazine "Lire" en 2014.

Je savais que ce serait une lecture sérieuse, mais je ne pouvais pas passer à côté ! Aussi j'ai pris tout mon temps pour le lire à petite dose.

 

L'auteur parle de sa propre expérience de croyant : dans les années 90, pendant trois années consécutives, il a commenté les Évangiles et consigné ses écrits et remarques dans des cahiers.  Aujourd'hui, il nous raconte sa propre version des origines du christianisme, entre la mort de Jésus et la fin du Ier siècle de notre ère.

Son "enquête" lui permet d'interpréter les récits de Paul de Tarse, qui fonda de nombreuses églises autour de la méditerranée, et de Luc, son compagnon de voyage...

« Quand j’aborde un sujet, j’aime bien le prendre en tenailles. » - See more at: http://www.ecoledeslettres.fr/blog/litteratures/roman-contemporain-litteratures/le-royaume-demmanuel-carrere/#sthash.Wr0HcXjS.dpuf
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Pour faire simple, l'auteur raconte comment vers le Ier siècle après J.-C., deux hommes ont transformé une petite secte juive, en une religion à laquelle adhère aujourd'hui le quart de l'humanité.

 

Dans quel contexte politique et religieux s'est développé le message chrétien  ?

Qui  étaient les personnages importants ?

Comment ont-ils fait pour convaincre le peuple ?

Pourquoi cette croyance a-t-elle perduré jusqu'à nous ?

Qu'est-ce que le christianisme aujourd'hui ?

Mais aussi, quel chemin reste-t-il à parcourir à chacun d'entre nous pour découvrir son propre "Royaume" ?

Ce récit tente de répondre à ces questions...Un beau programme !

Dans son prologue, l'auteur donne l'ambiance et le ton du livre (p.13) :

"C'est une chose étrange, quand on y pense, que des gens normaux, intelligents, puissent croire à un truc aussi insensé que la religion chrétienne, un truc exactement du même genre que la mythologie grecque ou les contes de fées. Dans les temps anciens, admettons : les gens étaient crédules, la science n'existait pas. Mais aujourd'hui ! Un type qui croirait à [...] ou à des princesses qui embrassent des crapauds et quand elles les embrassent, ils deviennent des princes charmants, tout le monde dirait : il est fou. Or, un tas de gens croient une histoire tout aussi délirante et ces gens ne passent pas pour des fous."

 

« Quand j’aborde un sujet, j’aime bien le prendre en tenailles. » - See more at: http://www.ecoledeslettres.fr/blog/litteratures/roman-contemporain-litteratures/le-royaume-demmanuel-carrere/#sthash.Wr0HcXjS.dpuf

"Quand j’aborde un sujet, j’aime bien le prendre en tenailles" nous dit l'auteur et c'est ce qu'il fait !

 

Dans la première partie intitulée "Une crise", l'auteur nous raconte sa crise (de foi), lorsqu'à suite d'une profonde dépression, il est devenu intensément chrétien, presque "trop" chrétien, allant à la messe tous les jours et lisant l'Évangile selon Saint Jean tous les matins, studieusement.

Ses commentaires sont transcrits dans des cahiers qu'en écrivant le livre, il reprend et relit avec sérieux.

Il nous décrit ses tourments, ses problèmes de couples, ses discussions avec son psy.

Il explique pourquoi la religion et la croyance ont été pour lui un refuge, un véritable baume sur ses blessures personnelles.

 

"Ma première heure (p.65) est vouée à saint Jean. Un verset à la fois, en prenant garde à ce que mon commentaire ne tourne pas au journal intime, avec introspection psychologique et souci de garder trace...

Ensuite (p.66) vient la prière, dont je me suis souvent demandé s'il valait mieux la faire après la lecture de l'Évangile ou avant - comme je me demanderai quelques années plus tard s'il vaut mieux s'exercer à la méditation avant ou après les postures de yoga..."

 

C'est dans cette partie que l'auteur raconte le plus sa vie personnelle, certains détails de son analyse, ses problèmes de couple, ses angoisses existentielles, mais aussi des anecdotes amusantes comme sa rencontre avec une baby-sitter, fan de Philip K. Dick.

Il explique aussi les conditions de la rédaction de la biographie qu'il a écrite sur cet auteur de science-fiction dont il est fan depuis toujours...

 

Dans la seconde partie intitulée "Paul", il retrace, en enquêteur, la vie de l'apôtre juif d'abord en Asie mineure puis en Grèce et sa rencontre avec Luc.

"J'ai essayé de zoomer (dit-il non sans humour p.148), comme on fait avec Google-maps, sur le point précis du temps et de l'espace où surgit ce personnage qui, dans les Actes, dit "nous". En ce qui concerne le temps, et selon un décompte dont personne n'a encore l'idée, on est, à un ou deux ans près, aux alentours de l'an 50. Quant au lieu, c'est un port situé sur la côte occidentale de la Turquie, qu'on appelle encore l'Asie : Troas. En ce point précis du temps et de l'espace, deux hommes se croisent..."

 

Il dresse des hypothèses sur leur rencontre avec une imagination débordante explorant les champs du possible...car pour être "touché par une pensée, j'ai besoin qu'elle soit portée par une voix, qu'elle émane d'un homme, que je sache quel chemin elle s'est frayé en lui" dit-il (p. 169).

 

"Après l'habituelle lecture de la Loi des prophètes (p.161), le chef de la synagogue demande si quelqu'un veut prendre la parole. Selon l'usage, il la propose d'abord aux nouveaux venus...ce n'est pas le genre de Luc de se mettre en avant...un homme se lève, gagne le centre de la salle. Il se présente comme Paul, un rabbin venu de la ville de Tarse. Il ne paie pas de mine : pauvrement vêtu, petit, râblé, chauve, les sourcils noirs se rejoignant au-dessus su nez. Il regarde les gens...Sa voix est basse..."

 

"Luc n'a pas été scandalisé (p.166). Pour autant, a-t-il cru sur-le-champ ce que disait Paul ?"

Sans doute a-t-il fait partie comme le suggère l'auteur, d'un troisième groupe qui, au lieu de déchirer ses vêtements en signe d'indignation (premier groupe), ou de se prosterner (deuxième groupe), s'est simplement rapproché de Paul pour lui poser des questions...

 

"La discussion aujourd'hui, se prolongerait au café et peut-être Luc s'est-il attablé avec Paul et ses deux compagnons de voyage dans une taverne, sur le port de Troas..." imagine l'auteur...

Cela s'est peut-être passé comme ça. Ou alors...

Luc était médecin, Paul était malade..."

 

Plus loin l'auteur nous livre ses réflexions...

(p.211) "Je suis pourtant convaincu que la force de persuasion de la secte chrétienne tenait en grande partie à sa capacité d'inspirer des gestes sidérants, des gestes - et pas seulement des paroles - qui allaient à l'inverse du comportement humain normal. Les hommes sont ainsi faits qu'ils veulent - pour les meilleurs d'entre eux, ce n'est déjà pas rien - du bien à leurs amis et, tous, du mal à leurs ennemis. Qu'ils aiment mieux être forts que faibles, riches que pauvres, grands que petits, dominants plutôt que dominés. C'est ainsi, c'est normal, personne n'a jamais dit que c'est mal. La sagesse grecque ne le dit pas, la piété juive non plus. Or voici que des hommes non seulement disent mais font exactement le contraire. D'abord on ne comprend pas, on ne voit pas l'intérêt de cette extravagante inversion des valeurs. Et puis on commence à comprendre. On commence à voir l'intérêt, c'est-à-dire la joie, la force, l'intensité de vie qu'ils tirent de cette conduite en apparence aberrante. Et alors on n'a plus qu'un désir, c'est de faire comme eux."

 

L'auteur nous décrit donc avec forces détails, le périple de Paul qui, de ville en ville, tente de porter la bonne parole...alors qu'il n'a pas connu Jésus et que sa conversion est dûe à une vision sur le chemin de Damas.

 

Dans la troisième partie, "l'Enqûete", Paul est désormais à Jérusalem et tente de résoudre les différentes difficultés qu'il rencontre auprès de Jacques, le frère de Jésus, chef de l'Eglise de Jérusalem.

 

Ensuite la quatrième partie, est consacrée à "Luc", le médecin grec, lettré et curieux, le rapporteur, celui qui est devenu l'auteur d'un des quatre Évangiles et dont Emmanuel Carrère se sent proche, car il est plus gentil et sensible que Paul, aux contradictions des hommes. 

L'auteur évoque sa personnalité, si différente de celle de Paul et la nature de ses écrits. Lui non plus n'a pas connu Jésus : il accompagne simplement Paul dans ses voyages et écrit les différents événements avec le plus de vérité historique possible.

 

Enfin dans son épilogue, Emmanuel Carrère applique les principes de l'uchronie, tant à la mode en ce moment, et se pose la question : et si...les choses s'étaient passées autrement ?

(p.612) : Si Ponce Pilate n’avait pas fait crucifier Jésus, et se dise "Non, je ne vois rien à lui reprocher, je le libère"!

Celui-ci serait mort "très vieux, entouré d'une grande réputation de sagesse".

Et tout le monde l'aurait oublié dès la génération suivante...

Le christianisme n’aurait donc pas connu l’essor qui fut le sien...

 

Le récit se termine sur un questionnement de l'auteur, sur sa foi, sur sa fidélité à Dieu et au jeune Emmanuel Carrère croyant qu'il a été 25 ans plus tôt..., et sur ces mots "Je ne sais pas".

Mon avis

C'est une histoire passionnée du christianisme, romancée et écrite par un écrivain de talent qui remet en cause sa foi, sans la renier, et ne traite pas de son sujet en historien, mais en véritable conteur et en homme capable de douter, d'émettre des hypothèses et de s'interroger sur le "pas impossible". Il prend donc forcément beaucoup de liberté par rapport à l'Histoire.

C'est aussi un récit de voyage érudit entre la Grèce, Rome et Jérusalem, proche du récit d'aventure et non dénué d'humour auquel l'auteur, parce qu'il nous permet de rentrer dans la vie des personnages, donne une dimension humaine à son récit.

 

Peut-être ce livre n'apprendra-t-il rien aux croyants qui ont reçu une éducation religieuse poussée, mais je pense qu'il apportera beaucoup aux athées qui le liront, comme moi, comme un roman historique et  d'aventure mais ne comprendront pas forcément tout du premier coup, par manque de connaissances religieuses.

Même si j'ai trouvé quelques longueurs et si je me suis parfois perdue en chemin, j'ai eu l'agréable surprise de m'intéresser vraiment à cette histoire.

L'auteur est très habile pour ramener à lui le récit, nous dire pourquoi il est allé sur tel ou tel terrain particulier, pourquoi il a voulu écrire ce livre et comment il a travaillé...pendant 7 ans pour le finaliser.

C'est sans conteste, un livre très documenté, empreint à la fois de gravité et d'humour, bourré de références culturelles, littéraires ou cinématographiques, mais aussi d'analogies avec notre monde d'aujourd'hui, ses figures politiques marquantes, ses règles sociales, ses références culturelles incontournables.

Un livre qui ne passera pas de mode, restera un "incontournable" et traversera les temps, lui-aussi !

 

A lire et à relire en prenant son temps, mais certainement pas sur la plage.

Emmanuel Carrère lit quelques pages de son livre "Le Royaume" juillet 2014 (source : site des editions P.O.L.)

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