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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Sonietchka / Ludmila Oulitskaïa

Sonietchka / Ludmila Oulitskaïa

Sonietchka (ou Sonia), de son vrai nom Sophia Iossifovna (p.108), est passionnée par la lecture. Les livres sont toute sa vie. Il faut dire qu'elle a un physique plutôt ingrat et qu'entre les moqueries de son frère et la déception amoureuse de son adolescence, elle ne croit à l'amour qu'à travers le vécu de ses héroïnes.

 

Depuis qu'elle a sept ans et qu'elle a appris à lire toute seule, elle vit donc dans un monde situé aux frontières de la réalité et du romanesque, mais un monde si doux et si rassurant qu'elle ne peut le quitter...

 

Devenue bibliothécaire, elle s'oublie encore plus dans la lecture et se détache presque totalement du monde.

 

Aussi, elle n'en revient pas lorsque Robert Victorovitch, un peintre beaucoup plus âgé qu'elle (il a 20 ans de plus), qui a beaucoup voyagé et a passé plusieurs années de captivité dans un camp, la demande en mariage.

Elle ne pense pas mériter tout ce bonheur qui bouscule sa vie : ses héroïnes de romans ne sont-elles pas la preuve "vivante" que la tragédie prime sur le bonheur ?

 

Cependant, elle accepte, reléguant alors la lecture au second plan.

Les années passent, elle lit moins, d'autant plus que son époux ne s'intéresse pas du tout à la littérature. Puis la Seconde Guerre Mondiale bouleverse le monde et sa vie.

Ensemble, ils ont une petite fille, Tania et vivent quelques années de bonheur intense malgré la misère et les privations.

Puis leur situation s'arrange et le couple s'installe à Moscou. Robert y retrouve tous les artistes de la capitale. Sonietchka tient la maison et reçoit les amis pour de longues et plaisantes soirées.

Tania grandit dans ce milieu d'artiste et son charme d'adolescente, malgré son physique peu agréable,  attire de nombreux garçons.

Elle ne fait plus rien en classe et son père l'inscrit à des cours du soir. C'est là qu'elle rencontre Jasia, une orpheline polonaise, fille de déportés qui fait des ménages tout en poursuivant ses études et ses rêves.

Plutôt jolie et charmeuse, mais quasi mythomane, cela fait un certain nombre d'années que la "timide" Jasia connaît tout des hommes et sait utiliser ses charmes pour attirer la sympathie et l'aide dont elle a besoin.

Elle entre peu à peu dans la famille et devient très vite la maîtresse de Robert.

Sonietchka qui n'ose toujours pas croire à son bonheur...trouve tout à fait salutaire que ce dernier amour donne l'énergie nécessaire à son mari pour retrouver toute sa créativité artistique : il s'est remis à peindre depuis sa liaison avec Jasia.

 

Robert, fidèle à sa manière, n'abandonne pas pour autant Sonia. Et elle, qui se réjouit toujours du bonheur des autres, n'en voudra pas un seul instant ni à son mari, ni à Jasia qu'elle aime comme sa propre fille...

 

Lorsque Robert meurt. Tania et Jasia s'en vont à leur tour, et Sonia se retrouve seule dans l'affreux et triste appartement où on les a obligé à s'installer. Elle se remet à lire paisiblement et elle puisera dans la lecture, la force d'être heureuse de ce qu'elle a, tout simplement et de continuer à aimer la vie.

C'est un très court roman d'une centaine de page, merveilleusement bien écrit.

Il est difficile à résumer car il parle de la vie, du destin, de la façon dont les différentes générations se construisent dans le contexte sociétal de leur époque et selon leurs origines familiales.

 

Au delà du plaidoyer pour la lecture... qui montre bien que si la lecture nourrit l'homme, apporte savoir et connaissance, elle ne peut se substituer à la vie réelle, c'est avant tout un roman sur la femme et son pouvoir de traverser les temps, de créer quelles que soient les conditions de vie, un univers familial chaleureux pour protéger du monde extérieur, la vie privée de sa famille.

 

Sonia, personnage qui paraît au départ totalement insignifiant voire transparent, est douée pour ça. 

Le lecteur s'attache à son histoire, à sa douceur, à son renoncement, à sa façon d'être heureuse des petits riens de sa vie, de recevoir ce bonheur comme un don qu'elle ne mérite pas, de passer à travers sa vie sans être aucunement troublée par les événements extérieurs...

Tout cela la rend émouvante, à la fois effacée et très vivante.

Elle nous touche par le don total qu’elle fait de sa personne et son amour pour ses proches qui va jusqu'à l'abnégation.

L'auteur, nous offre une véritable oeuvre d'art : elle brosse son personnage par petites touches successives comme si elle peignait un tableau. Elle décrit sans donner de détails toute une vie de misère mais une vie heureuse.

 

L'auteur nous parle aussi du contexte historique de l'époque : la Russie de Staline, la Seconde Guerre Mondiale, puis le régime soviétique et les années de communisme.

Elle nous touche par des suggestions émaillées au cours du roman et nous dresse le terrible tableau de la vie des artistes : la difficulté de vivre, la répression, les camps, l'impossibilité de s'exprimer à travers l'art, de se réunir, et le besoin de liberté dans la création et dans la vie.

Le mari de Sonietchka revient de cinq ans d’emprisonnement dans les camps staliniens. Le chemin qu'il parcourt, pour reprendre peu à peu goût à la vie, est long et difficile.

 

L'auteur en plus du personnage de Robert et de Sonia, nous offre aussi deux autres portraits de femme.

Tania, d'abord...leur fille, qui devenue adolescente multiplie les expériences sexuelles et qui, par opposition à ses parents, tous deux intellectuels fauchés, aspire à la liberté d'action et n'accepte aucune entrave. Au contraire de sa mère elle veut vivre intensément pour elle-même.

Jasia ensuite...qui aspire aussi à la liberté totale mais comme elle est issue d'un milieu populaire, elle rêve d'accéder à un milieu social plus élevé et à réaliser ainsi les espoirs de sa mère avant elle.

 

 

Extraits

 

"Dès son plus jeune âge, à peine sortie de la prime enfance, Sonietchka s’était plongée dans la lecture. Son frère aîné Ephrem, l’humoriste de la famille, ne se lassait pas de répéter la même plaisanterie, déjà démodée au moment de son invention : « A force de lire sans arrêt, Sonietchka a un derrière en forme de chaise, et un nez en forme de poire !" (p.9)

 

"Pendant vingt années, de sept à vingt-sept ans, Sonietchka avait lu presque sans discontinuer. Elle tombait en lecture comme on tombe en syncope, ne reprenant ses esprits qu’à la dernière page du livre." (p.10)

 

"Ce goût pour la lecture, qui prenait l'allure d'une forme bénigne d'aliénation mentale, la poursuivait jusque dans son sommeil : même ses rêves, on peut dire qu'elle les lisait." (p.11)

 

"Et chaque matin était peint aux couleurs de ce bonheur de femme immérité et si violent qu'elle n'arrivait pas à s'y accoutumer. Au fond de son âme, elle s'attendait secrètement à tout instant à perdre ce bonheur, comme une aubaine qui lui serait échue par erreur, à la suite d'une négligence."(p.47)

 

"Elle était la fille de communiste polonais ayant fui l’invasion fasciste, chacun, par la force des choses, dans une direction différente : son père vers l’ouest, et sa mère, avec son bébé, vers l’est, en Russie. Cette dernière n’avait pas réussi à se fondre dans la masse des millions d’habitants de ce gigantesque pays et avait été charitablement déportée au Kazakhstan, où elle était morte après avoir vivoté tristement pendant dix ans, sans avoir perdu ses idéaux sublimes et absurdes. Jasia s’était retrouvée dans un orphelinat..."(p.61)

 

"Comme c’est bien qu’il ait désormais à ses côtés cette belle jeune femme, tendre et raffinée, cet être d’exception, comme lui ! songeait Sonia. Et comme la vie est bien faite, de lui avoir envoyé sur ces vieux jours ce miracle qui l’a incité à revenir à ce qu’il y a de plus important en lui, son art…" (p.89)

 

"Le soir, chaussant sur son nez en forme de poire ses légères lunettes suisses, elle plonge la tête  la première dans ses profondeurs exquises, des allées sombres et des eaux printanières." (p. 109)

 

A propos du roman...

 

Ce livre est traduit du russe par Sophie Benech...

Il a été publié en Russie, en 1995, traduit et publié en France en 1996. Il a obtenu, la même année, le "Prix Médicis Étranger", ex-aequo avec "Himmelfarb" de Michael Krüger (auteur Allemand).

 

Lorsque je regarde la longue liste des "Prix Médicis Étranger", je réalise que je n'ai pas lu grand chose de cette littérature étrangère, très littéraire, mais qui a le mérite de nous faire mieux connaître le pays d'origine de l'auteur.

 

 

Qui est l'auteur ?

 

Âgée de 67 ans (en 2011), la romancière russe, Ludmila Oulitskaïa est connue pour ses prises de position contre le gouvernement.

Elle est l'auteur de nombreux romans, nouvelles et pièces de théâtre, mais aussi de scénarios de films et a obtenu de nombreux prix en Europe. Ses livres sont traduits dans près de 30 langues différentes.

La difficulté d'être femme en Russie irrigue son oeuvre et les femmes restent les principales figures de ses romans.

 

Récemment, en 2011, elle a obtenu le "Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes"

Ce prix, créé à l'initiative de Julia Kristeva à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir (donc en 2008), a pour but de récompenser l’œuvre et l’action de femmes et d’hommes qui contribuent à promouvoir la liberté des femmes dans le monde, comme l'avait fait avant eux Simone de Beauvoir.

 

A propos de Ludmila Oulitskaïa...

Son oeuvre témoigne "d'un sens aigu de la justice et de la démocratie" ont déclaré les membres du Jury du Prix Simone de Beauvoir.

Le jury a voulu, d'après la présidente Julia Kristeva, "mettre l'accent sur la créativité des femmes, dans laquelle se manifeste et s'affirme leur émancipation ".

 

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