Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce roman vient d'obtenir le Prix Goncourt du premier roman 2015 le 5 mai dernier ! Voilà pourquoi j'actualise cet article du blog écrit il y tout juste un mois et que je désire le partager sur la communauté.
Je vous invite à visiter la page facebook de l'auteur, consacrée au roman ICI.
Haroun est un vieil homme tourmenté par la frustration. d'Oran, devant un universitaire (sourd et muet mais ça on le saura plus tard dans le roman...). il rumine sa solitude et sa colère contre les hommes et contre
Il décide donc de
"...celui qui a été assassiné, est mon frère. Il n'en reste rien. Il ne reste que moi pour parler à sa place, assis dans ce bar, à attendre des condoléances que jamais personne ne me présentera" (p.11).
L'arabe s'appelle donc Moussa... On apprend qu'il était grand, mince et très brun, qu'il avait des yeux sombres et un visage anguleux, qu'il aimait boire du café et voir ses amis et qu'il travaillait au marché du quartier.
" Moussa était donc un dieu sobre et peu bavard, rendu géant par une barbe fournie et des bras capables de tordre le cou au soldat de n’importe quel pharaon antique."
Sa mère et lui apprennent qu'un "gaouri" (= un non-musulman) a tué un arabe sur la plage, d'abord, croit-on, le fils d'un voisin...qui essayait de défendre l'honneur d'une femme. Puis dans la nuit, la mère comprend que c'est son propre fils.
M'ma et Haroun quittent alors Alger pour aller s'installer chez un membre de leur famille, puis à Hadjout (là où la mère de Meursault meurt dans le roman de Camus...).
, il tente ainsi de maintenir le fil ténu qui le relie à sa mère, car lui ne compte pas pour elle...seul Moussa a grâce à ses yeux de mère.
" Pour lui prouver mon existence, il me fallait la décevoir. Ce lien nous a unis plus profondément que la mort".
Haroun mène des années durant, une véritable enquête pour essayer d'en savoir plus, enquête qui le ramènera à Alger à plusieurs reprises.
La mère ne rêve que de vengeance...
Elle le poussera dans sa folie obsessionnelle, vingt ans plus tard, à devenir lui-même un meurtrier en tuant de sang-froid un français, le lendemain de la proclamation de l'Indépendance.
En effet, en 1962,
Ainsi se fera le deuil vingt ans de souffrance.
Moussa est vengé, mais Haroun n'est plus une victime maintenant : il est du côté du bourreau et s'identifie à Meursault...
L'auteur n'a pas pour autant l'intention de reparler de la guerre. Il ne l'a pas vécu et ne veut plus être culpabilisé parce qu'il ne l'a pas vécu.
Haroun a comme tous les algériens, un rapport très fort avec sa mère (et la mère patrie) mais aussi un sentiment de rejet et un rapport ambigu avec la langue française.
Le héros de Daoud a donc lui aussi un problème avec sa mère, qui, elle, est encore en vie mais ne l'aime pas moins ; il tue gratuitement un homme sans véritable raison ; il aime une femme passionnément mais pendant peu de temps, il déteste la religion et tout ce qui l'entoure et le crie haut et fort...
et tout est question de dates...
Ce roman est un exercice littéraire symbolique et un hommage à la langue française que le narrateur s'est approprié et que l'auteur maîtrise parfaitement.
Ce roman est aussi une sorte d'hommage à Camus, car Camus appartient à la culture algérienne. "Même ce qui nous a blessé nous appartient" dit l'auteur dans une interview.
L'auteur n'est pas un disciple de Camus pour autant et n'a pas voulu non plus le critiquer...
De nombreuses citations de Camus (en italique) étayent le texte et à la fin, le lecteur retrouve même, des paragraphes entiers.
Ce roman a fait partie des quatre finalistes du prix Goncourt et n'a pas obtenu le prix, à une voix près. C'est dommage car le peuple algérien aurait eu bien besoin de cette reconnaissance...
Mais, il a eu pour l'instant, deux autres prix :
C'est une raison suffisante pour le lire !
Quelques extraits
« C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai appris à parler cette langue et à l’écrire ; pour parler à la place d’un mort, continuer un peu ses phrases. Le meurtrier est devenu célèbre et son histoire est trop bien écrite pour que j’aie dans l’idée de l’imiter. C’était sa langue à lui. C’est pourquoi je vais faire ce qu’on a fait dans ce pays après son indépendance : prendre une à une les pierres des anciennes maisons des colons et en faire une maison à moi, une langue à moi"( p. 11-12)
"Une langue se boit et se parle, et un jour elle vous possède ; alors elle prend l'habitude de saisir les choses à votre place, elle s'empare de la bouche comme le fait le couple dans le baiser vorace".(p.17)
" Il ne l'a pas nommé, parce que sinon, mon frère aurait posé un problème de conscience à l'assassin : on ne tue pas un homme facilement quand il a un prénom." (p. 62)
"Arabe, je ne me suis jamais senti arabe, tu sais. C'est comme la négritude qui n'existe que par le regard du blanc. Dans le quartier, dans notre monde, on était musulman, on avait un prénom, un visage et des habitudes. Point.Eux étaient "les étrangers", les roumis que Dieu avait fait venir pour nous mettre à l'épreuve, dont les heures étaient de toute façon comptées : ils partiraient un jour ou l'autre, c'était certain"... (p. 70)
"Un point me taraude en particulier : comment mon frère s’est-il retrouvé sur cette plage ? On ne le saura jamais. Ce détail est un incommensurable mystère et donne le vertige, quand on se demande ensuite comment un homme peut perdre son prénom, puis sa vie, puis son propre cadavre en une seule journée. Au fond, c’est cela, oui. Cette histoire – je me permets d’être grandiloquent – est celle de tous les gens de cette époque. On était Moussa pour les siens, dans son quartier, mais il suffisait de faire quelques mètres dans la ville des Français, il suffisait du seul regard de l’un d’entre eux pour tout perdre, à commencer par son prénom, flottant dans l’angle mort du paysage." (p.71)
« Peut-être la bonne question, après tout, est-elle la suivante : que faisait "ton" héros [=Meursault] ) sur cette plage ? Pas uniquement ce jour-là, mais depuis si longtemps ! Depuis un siècle pour être franc (…) Cela m'importe peu qu'il soit français et moi algérien, sauf que Moussa était à la plage avant lui, et que c'est ton héros qui est venu le chercher » (p.73).
"As-tu remarqué que les vendredis, généralement, le ciel ressemble aux voiles affaissées d’un bateau, les magasins ferment et que, vers midi, l’univers entier est frappé de désertion ? Alors, m’atteint au cœur une sorte de sentiment d’une faute intime dont je serais coupable. J’ai vécu tant de fois ces affreux jours à Hadjout et toujours avec cette sensation d’être coincé pour toujours dans une gare désertée.
J’ai, depuis des décennies, du haut de mon balcon, vu ce peuple se tuer, se relever, attendre longuement, hésiter entre les horaires de son propre départ, faire des dénégations avec la tête, se parler à lui-même, fouiller ses poches avec panique comme un voyageur qui doute, regarder le ciel en guise de montre, puis succomber à d’étranges vénérations pour creuser un trou et s’y allonger afin de rencontrer plus vite son Dieu."(p.81)
En décembre 2014, un dirigeant salafiste algérien a demandé au gouvernement de son pays de condamner et d'exécuter le journaliste-écrivain Kamel Daoud, auteur de "Meursault, contre enquête", pour le crime d'apostasie, passible de la peine de mort aux yeux de la loi coranique.
Kamel Daoud a en effet critiqué le rapport des musulmans à leur religion sur une chaîne française.
Pour en savoir plus à ce sujet et vous faire votre propre opinion, les articles suivants dans Paris Match ; le Huffingtonpost ; le Monde ; Libération ; et bien d'autres encore sur le net.
D'autres vidéos sont en ligne sur le site d'Actes Sud (http://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/meursault-contre-enquete)