Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
J'ai longtemps hésité à me lancer dans ce gros volume de 670 pages. J'ai toujours peur quand je n'ai pas le temps de lire tous les jours d'oublier ce que j'ai lu précédemment, de mélanger les différents personnages ou de perdre le fil de l'histoire.
Avec Philippe Meyer, il n'en est rien.
D'abord, le roman commence par un arbre généalogique qui sera très utile pour se repérer surtout avec les personnages dont on parle peu.
Ensuite, chaque chapitre donne la parole à un des trois personnages principaux appartenant à trois générations différentes, qui deviennent les porte-paroles de l'histoire familiale.
Le lecteur passe d'une génération à l'autre, d'une époque à une autre et d'un lieu à l'autre même si tout se passe au Texas.
De quoi ça parle ?
Le roman raconte le tragique destin d'une grande famille texane, les MC Cullough, de de 1830 à nos jours.
Né en 1936, le jour où le Texas devient une République indépendante, Eli McCullough est enlevé par les Comanches alors qu'il a tout juste 12 ans et que son père est parti à la poursuite de voleurs de chevaux. Il voit sa mère et sa sœur, être violées et tuées, son frère massacré et sa maison brûlée...
Adopté par le grand chef Toshaway, il
Il va vivre avec eux trois années avant de les quitter pour retrouver les Blancs et la "civilisation". Après quelques années d'aventures, où il prend part, par obligation, à la conquête de l'Ouest puis s'engage dans la guerre de Sécession, il va fonder une famille et un empire.
Il deviendra pour toutes les générations futures, le "Colonel".
Pour Eli, la vie est un combat qui ne peut se gagner que dans le sang. Formaté par les Comanches, il comprend très jeune que ce qui compte c'est de se retrouver du bon côté et de détruire ses ennemis (à défaut de les scalper). Il a construit la fortune familiale dans le sang.
Puis c'est Peter, le fils d'Eli qui prend la parole. C’est son journal intime qui compose les chapitres qui lui sont dédiés.
Peter symbolise la prise de conscience par les Blancs de leur violence et de leur excessif besoin de posséder encore plus, besoin qui les a poussé à exterminer les Indiens et à chasser les Mexicains qui étaient déjà installés au Texas.
Elle a grandi dans le ranch, au milieu des chevaux et de ses frères.
Devenue adulte, c'est grâce à elle et Hank, son mari, que le ranch a pu continuer à vivre et à assurer la transition avec la modernité et l'exploitation des puits de pétrole.
En véritable héroïne moderne, elle a sauvé la fortune familiale en tout misant sur l'or noir....
Alors qu'elle va bientôt mourir (le lecteur comprendra pourquoi à la fin du roman), Jeannie regrette que ses enfants aient tous quitté le ranch, que ses petits-enfants soient plus intéressés par la télévision que par la Terre. Elle sait qu'après elle, il n'y aura plus rien et que le lien profond qui unissaient les hommes et leur terre s'éteindra.
Mon avis
Ces trois récits s'imbriquent et forment les éléments d'un puzzle qui se met en place au cours de la lecture...
On assiste à la construction d'un pays (le Texas) en contre-partie de la destruction d'un monde (celui des Indiens), construction qui s'est faite dans le sang et qui nous montre la face cachée de l'Histoire du Texas.
Car la saga familiale des MC CULLOUGH n'est qu'un prétexte pour nous raconter l'Histoire du Texas.
Les personnages principaux occupent toute la place. Ils nous tiennent en haleine tout au long du roman. Seul le personnage de Peter a été pour moi difficile à cerner au début du roman puis lorsqu'il rencontre Maria, le lecteur comprend mieux le rôle qu'il va jouer dans cette histoire familiale et la fin confirme son intuition.
Car le fils (qui a donné le titre du roman), c'est sans nul doute Peter, le fils rebelle, celui qui scelle le destin familial par sa différence, sa révolte et son amour "impossible" pour Maria...mais le fils, c'est sans aucun doute aussi, le dernier fils de la famille, Ulises...mais chut à vous de le découvrir.
Il ne s'agit donc pas d'oublier pour autant les personnages secondaires, toute une galerie de personnages, tous indispensables au déroulement du roman, à l'ambiance...
Cette saga est un moment de lecture. Il y a de l'émotion, de la révolte, des scènes familiales pétries d'humanité, de la violence (entre autre l'enlèvement quasi cinématographiques d'Eli par les Comanches), des descriptions historiques...
Certains passages ne manqueront pas de vous rappeler quelques westerns bien connus ou autres films de la Conquête de l'Ouest qui vous ont marqués.
Eli s'adresse directement au lecteur à la première personne du singulier, comme s'il était le porte-parole de l'histoire familiale...
Peter raconte son histoire au travers de son journal intime.
Quant à Jeannie, un narrateur extérieur emploie la troisième personne du singulier pour nous raconter la sienne....
L'auteur ne porte aucun jugement mais nous montre bien que les hommes sont tous à leur niveau des "sauvages", violents prêts à voler, tuer, violer les autres.
En effet, si Eli, qui a été adopté par les Comanches, est souvent décrit comme un "sauvage" au cours de sa vie, les Blancs ne sont pas en reste : il abattent les Indiens sans arrière-pensée et quand ce n'est pas avec leurs balles, c'est avec les maladies qu'ils apportent, certes sans le savoir, mais qui exterminent à coup sûr toute la tribu. Les Indiens de leur côté pillent les maisons des pionniers qui se sont installés sur leur territoire de chasse et n'hésitent pas à tuer les hommes, violer et enlever les femmes, tuer ou enlever les enfants. Et la même violence se retrouve quant il s'agit des Mexicains qui pourtant occupaient le pays bien avant l'arrivée des premiers américains.
A lire absolument !
Extraits :
"On a prophétisé que je vivrais jusqu'à cent ans et maintenant que je suis parvenu à cet âge je ne vois pas de raisons d'en douter. Je ne meurs pas en chrétien bien que mon scalp soit intact et si les prairies des chasses éternelles existent, alors c'est là que je vais." (p.13)
(p.15)
(p.128)
" Quand il ne faisait pas trop chaud, ils partaient [Jeannie et Eli] se promener tous les deux., se frayant un chemin dans les hautes herbes sous le ciel dégagé, s'asseyant pour se reposer près d'un bosquet de chênes ou d'ormes à larges feuilles, ou le long d'un ruisseau quand il y avait de l'eau. Elle ratait toujours quelque chose : un cerf à queue blanche, un renard, le mouvement d'un oiseau ou d'une souris, une fleur hors saison ou un nid de serpent. Elle voyait deux fois plus loin que lui, mais se sentait aveugle en comparaison..."(p.186)
" Je ne peux pas m'empêcher d'avoir de l'empathie pour les Mexicains. Leurs voisins blancs les considèrent à peu près comme des coyotes qui seraient nés sous forme humaine, et c'est en coyotes qu'on les traite encore quand ils meurent. Mon réflexe est de les soutenir, et pour ça, ils me méprisent. Je me reconnais en eux ; ils se sentent insultés. Peut-être qu'on ne peut pas respecter un homme qui possède ce qu'on a pas. Sauf si on l'estime capable de nous tuer...N'être qu'un animal, comme mon père, libre de toute mauvaise conscience-de toute conscience en fait. Dormir profondément, rempli de certitudes tranquilles, toute vie humaine ne pesant que son poids de viande." (p 202)
"Jadis, le Texas fourmillait de chevaux sauvages, cinq millions, dix millions, personne ne savait. Mais la pluaprt avait été capturés et envoyés aux Anglais, pendant la Grande Guerre. Entre le conflit et le recyclage des déchets de l'abattoir, il n'y avait quasiment plus de mustangs dans tout l'Etat. Quand elle était petite, presque tous les vieux chevaux du ranch finissaient bêtes de labour dans l'Est, mais l'arrivée du tracteur avait changé ça. Les vieux canassons servaient maintenant à nourrir les autres animaux.
Le pétrole, voilà ce qui comptait." (p.342)
"...Un être humain, une vie - ça méritait à peine qu'on s'y arrête. Les Wisigoths avaient détruits les Romains avant d'être détruits par les musulmans, eux-mêmes détruits par les Espagnols et les Portugais...Le sang qui coulait à travers les siècles pouvait bien remplir toutes les rivières et tous les océans, en dépit de l'immense boucherie, la vie demeurait."(p.502)