Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Lorsque Emmanuelle Piton, originaire du Vaucluse, expose son projet à son éditeur, elle ne sait pas encore où cela va la mener. Elle veut réaliser un docu-fiction qui mette bien en avant la problématique autour de l'eau et, elle est très enthousiaste à l'idée de descendre pour cela, la Durance. Bien qu'elle soit à présent parisienne, cela lui rappelle son enfance. Elle ne connait pas encore Stéphanie Lacombe qui est photographe et donc indispensable sur ce projet et ne sait pas si toutes deux vont s'entendre.
Mais qu'importe !
Toutes deux se rendent compte très vite qu'elles ont beaucoup à apprendre sur les usages de l'eau autour de la Durance et que les gens qu'elles vont rencontrer au fil du temps ont toujours quelque chose à leur dire, la rivière faisant partie de leur vie quotidienne.
La Durance est une rivière qui est restée longtemps sauvage et dangereuse pour qui ne se méfiait pas assez d'elle. Elle connait encore aujourd'hui des crues impressionnantes malgré les barrages installés sur son cours. Elle a donc marqué l'histoire des hommes et de leurs ancêtres. Ils ont eu de tout temps besoin d'elle pour irriguer les terres mais aussi pour boire et pour leurs autres usages domestiques. Elle est aussi le ciment des activités économiques, sociales et culturelles de la région, car elle traverse une grande partie de la Provence et coule toute l'année.
Au départ, nos deux autrices voulaient partir de la source, tout près de Montgenèvre dans les Hautes-Alpes, pour descendre au fil de l'eau jusqu'au Rhône dans lequel la rivière se jette, un peu en-dessous de la ville d'Avignon.
Finalement, elles vont faire le trajet en sens inverse et remonter vers la source. Leur périple démarre donc près de Graveson.
Les visages qu'elles vont décrire car croisés sur leur route parfois volontairement, mais aussi souvent de manière tout à fait fortuite, sont ceux de personnes riveraines qui au fil de l'eau vont leur conter l'histoire de cette rivière tumultueuse, aujourd'hui seulement en partie domptée, et les usages qu'ils en font au quotidien. Mais aussi, puisque leur périple les éloigne parfois de la rivière, elles vont rencontrer des spécialistes, historiens ou autres personnes intervenant sur le circuit de l'eau car la Durance, ce sont aussi des fontaines, des canaux, des puits, des barrages, des déviations et cela les mènera jusqu'à Marseille.
Elles vont rencontrer de belles personnes. Il y a par exemple : Michel qui connaît par cœur le trajet souterrain de la roubine des Moulins, à Graveson, un canal alimenté par la Durance ; Guillaume qui avec son frère a repris l'exploitation familiale et cultive à présent le foin de Crau (la Crau vous le savez sans doute est l'ancien delta de la Durance) ; Monsieur Chauvin qui est propriétaire du terrain sur lequel se trouve la fontaine du village ; Eric qui travaille pour le Service des eaux ; Marielle qui tient un établissement de boisson dans un petit village ; Sophie qui de chez elle, voit couler l'eau de la rivière ; Henri, un sourcier capable de trouver l’emplacement d’une source en regardant une simple photo ; Guillaume le radelier de la Durance qui maintient une tradition ancestrale en vie...Impossible de tous les citer !
Ce docu-fiction est donc une histoire d'eau et d'hommes : l'eau brute qui nourrit la terre parce qu'elle irrigue les sols, l'eau à usage domestique qui sert de boisson et doit donc être potable, l'eau qui sert aux loisirs et aide donc au développement touristique d'une région, et depuis des décennies à présent, l'eau qui fait tourner les turbines des centrales hydroélectriques sur son chemin pour produire de l'électricité...
Je reconnais que mon côté "lifestyle" de bobo parisien décomplexé a pris un sérieux coup dans l'aile lorsque j'ai appris qu'il fallait 227 litres d'eau pour faire pousser un avocat et 7 000 à 10 000 litres pour fabriquer un jean...
Lorsqu'on commence à réaliser que nous consommons de l'eau pour tout, tout le temps, la difficulté à concevoir la quantité de litres que nous utilisons par jour et par personne est d'autant plus complexe à évaluer que la plus grande part de notre consommation est invisible...
Voilà un livre joliment illustré par des photos couleurs qui est à la fois un road trip mais aussi un livre documentaire, jamais ennuyeux car étayé de nombreuses anecdotes et de témoignages vivants de personnes qui vivent auprès de la rivière et ne peuvent pas se passer d'elle.
Les personnes interviewées et parfois photographiées sont toutes d'un naturel désarmant. Tous ces riverains se livrent facilement et parlent de leur attachement à la rivière, de leur inquiétude, ou de la manière dont ils envisagent l'avenir. Ils vivent au bord de l'eau par plaisir ou parce que la rivière est liée à leur travail.
Ce sont des portraits attachants et tous sont d'accord sur un point : l'eau doit être partagée entre tous et la place de l'eau dans les villes et les campagnes s'inscrit dans les traditions de toutes les régions du sud encore davantage car ce sont des régions qui ont toujours eu à lutter contre les sécheresses et le manque d'eau fréquent en été.
Les lieux sont bien réels je vous le confirme, puisque j'habite à 10 km de la rivière ! Les interviews peuvent avoir lieu aussi bien dans une laverie, qu'une usine hydroélectrique, une place ombragée avec une fontaine, que la fontaine du Palais Longchamp à Marseille, une station de lavage de voiture, qu'un bar, une exploitation agricole qu'en bord de rivière...
Le récit est semé d'anecdotes souvent drôles et décalées par rapport au sérieux du propos, ce qui permet à nos aventurières de faire passer leur message plus facilement. Elles n'hésitent pas en effet, à étayer leur périple de leurs réflexions ou de leurs doutes, des péripéties qui parsèment leur parcours atypique. Il fait chaud et il faut beaucoup boire toute la journée, on n'est jamais très loin de l'eau car on casse-croûte à côté d'une fontaine, d'un canal ou carrément avec vue sur la rivière. Parfois on la cherche mais elle se dérobe ou bien la marche d'approche est bien trop longue sous la canicule... Parfois elles s'en éloignent pour mieux la retrouver ensuite.
Elles se sont bien amusées lors de ce périple et le lecteur le sent, mais parfois elles ont eu peur, ou ont douté...mais je vous laisse découvrir quand et surtout pourquoi !
Finalement ce qui m'a le plus amusé dans ce livre c'est le décalage entre le comportement de ces deux jeunes femmes profondément citadines et leur quête. Elles m'ont en effet souvent fait sourire. Leur récit est très humain et très imagé et le lecteur n'a pas de difficulté à se les représenter dans leur vie quotidienne. Elles ont en effet un petit côté "bobo" de la ville (je suis gentille je n'ai pas dit "parisien" mais je l'ai pensé très fort). Emmanuelle Piron le reconnait elle-même dès le premier chapitre d'ailleurs...mais elles sont sympas ce qui explique que les gens se livrent facilement et donnent le fond de leur pensée avec naturel, alors qu'elles passent peu de temps avec eux.
Vous le verrez elles font beaucoup de kilomètres parfois dans une seule journée (c'est bien un road trip) et elles ne peuvent rester que 10 jours dans la région ce qui est très court pour voir autant de choses et poser autant de questions.
Je mettrai cependant un bémol mais qui pour moi a de l'importance. Jamais elles n'abordent dans leur docu-fiction la vie sauvage liée à la rivière. Elles ne quittent jamais les hommes, certes je m'en doutais dès le départ mais tout de même, le problème de l'eau, de la sècheresse, des aménagements d'une rivière que ce soit pour irriguer, boire ou pour le tourisme ne peut pas se solutionner sans intégrer dans les actes les problèmes liés à la nature sauvage, la faune ou la flore. Pas un mot sur les anciennes gravières utilisés certes pour le tourisme mais qui accueillent une faune et une flore spécifique, pas une mot sur les berges et les animaux qui les colonisent, ni sur les migrateurs qui stationnent là pour trouver à se sustenter avant de poursuivre eux-aussi leur périple...
Il faudra attendre les toutes dernières pages pour entendre parler de biodiversité et du foisonnement de vie qui gravite autour de cette rivière. Le titre en cela m'a trompé car en lisant le sous-titre "les visages de la Durance", je ne pensais pas qu'elles se contenteraient de parler uniquement des hommes...tous importants qu'ils soient.
Dommage de ne parler des berges de cette magnifique rivière que pour dire qu'elles attirent les touristes et les sportifs avides de loisirs nautiques. Je n'en suis pas étonnée quand on voit que la publication a été soutenue par l'Agence de Développement des Hautes-Alpes, mais bon s'écarter un peu du chemin cela aurait été un vrai plus à mes yeux car les touristes peuvent aussi avoir de bonnes chaussures et des jumelles autour du cou, pas forcément qu'un maillot de bain.
Si cela m'a déçue, cela n'a toutefois pas entacher mon plaisir de lecture et qui sait peut-être que leur périple leur donnera envie de recommencer en se penchant cette fois davantage sur un autre des usages importants de la rivière, celui que les hommes doivent avant tout préserver...car si l'eau de la Durance alimente actuellement plus de 3 millions de personnes en eau potable, et que, grâce à elle près d'un million de salariés peuvent travailler dans la région, il faut savoir qu'en cas de diminution de cette ressource de seulement 10 %, toutes les activités seraient directement impactées (agriculture, industrie...) mais surtout ce dont il faut aussi avoir conscience c'est que "l'équilibre serait rompu entre ce que les hommes ont besoin de prélever à la rivière pour leurs usages et, ce que les hommes doivent laisser en libre accès pour maintenir la vie aquatique et la biodiversité".
Et cela me parait également important de s'en soucier et je tenais à le dire ici.
Merci à Babelio et à l'éditeur de m'avoir fait confiance pour découvrir ce titre.
Vous savez les sourciers, c'est comme les champignons mais à l'inverse : les champignons ça apparaît quand il pleut, et les sourciers, ça pousse quand il y a du soleil...
Moi...en cas d'échec, mes clients n'ont pas à me payer.