Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Elle savait bien, elle avait toujours su qu'une vie n'est qu'un état transitoire. Comme dit le poète, elle se disperse au premier vent et tombent les pétales. Il en va ainsi pour toutes les choses du monde, petites et grandes, belles et laides, et même pour sa maison.
Voilà un titre qui pourrait faire penser que l'histoire est une suite de "Lettres d'Ogura" du même auteur, que j'ai présenté sur mon blog ICI et beaucoup aimé, mais ce n'est pas tout à fait le cas. Les deux romans peuvent se lire séparément.
L'histoire se passe toujours à Ogura, ce petit village un peu isolé dans sa vallée, dans lequel quelques anciens ont vécu heureux leurs derniers jours, au cœur de la nature, parfois dans une grande solitude car les jeunes générations ont déserté le village pour aller travailler à la ville.
Là vivait une vieille dame dont j'avais oublié le nom depuis ma précédente lecture, mais ni la gentillesse ni la sagesse. Hatsumi est toujours dans sa maison mais est à présent qu'elle est morte, comme cela était prévu, c'est en esprit qu'elle y revient.
Depuis elle se sent libre et légère, puisqu'elle a déserté son corps et elle peut voyager parfois loin de sa petite vallée, ou bien elle peut rendre tout simplement visite à ses connaissances, mais elle ne rend jamais visite à ses trois filles qui ont quitté la maison les unes après les autres, parce qu'elles sentiraient inévitablement sa présence et pourraient en être perturbées et, elle ne veut surtout pas les tourmenter ni les faire culpabiliser.
Elle se fait donc la plus discrète possible et son rôle désormais est tout simple : elle doit veiller sur sa petite maison désertée par les siens, et continuer à y faire vivre le passé en se remémorant tous les événements, encore présents dans ses murs ou dans ses souvenirs, qu'ils soient heureux ou douloureux.
Depuis qu'elle est devenue un "fantôme", elle est en quelque sorte la gardienne des lieux puisque ses filles sont trop occupées par leur vie moderne, mais elle n'est pas du tout un fantôme comme on les imagine, elle a une mission, elle veut faire connaître la vie paisible qui régnait à Ogura que les jeunes ne peuvent pas connaître, elle veut que les souvenirs de ce qui a été sa vie perdurent au-delà du temps même si plus personne ne vient se recueillir devant l'autel familial. Et ce qu'elle veut avant tout c'est retrouver son cher et tende époux, Keiji, parti bien trop jeune.
Arrivera-t-elle à le retrouver parmi tous les fantômes d'Ogura ?
...elle a compris une fois de plus que ses filles étaient tout ce qui comptait pour elle, tout ce qui la stimulait, sa première raison de vivre. Elles étaient comme trois planètes qui gravitaient autour d'elle...
Elle aurait voulu le leur dire, les serrer contre elle, mais pareille chose n'est pas facile. Exprimer si brutalement, si physiquement ses émotions n'est pas très naturel ni convenable. Ce n'est pas forcément ainsi qu'on montre qu'on aime.
...elle le savait déjà, que le monde est empli de ceux qui sont passés, et que même les plantes et les fleurs se souviennent qu'elles doivent renaître chaque année, ce qui est bien la marque qu'un esprit les habite.
C'est un livre court (124 p.), poétique tout en délicatesse. La vieille dame que j'avais adoré découvrir dans le précédent roman de l'auteur n'a pas changé. Elle est toujours aussi attachante. D'ailleurs au fil du roman, on oublie souvent qu'elle n'est plus de ce monde.
En évoquant tel ou tel souvenir de sa vie à Ogura, ses premières années de jeune femme, le quotidien avec sa mère, son mari, ses trois filles, ses voisins et parents, la vieille dame nous transmet les valeurs et les coutumes de son pays, celles qui étaient importantes dans les campagnes et qui régissaient non seulement la vie de famille, mais aussi la bonne entente avec le voisinage. Elle nous livre ses réflexions sur les rapports entre les jeunes générations et les personnes âgées du village, nous parle d'entraide mais aussi des liens familiaux qui, à cause de la distance, se distendent au fil du temps.
Le regard lucide et tout en simplicité qu'elle porte sur les gens toujours vivants, qu'elle observe, ou ceux qu'elle a connus qui, comme elle, ne sont plus vivants, est plein de tendresse, de respect et teinté d'humour. Ce n'est pas du tout un livre triste même si par moment un peu de nostalgie s'infiltre dans les propos. La lecture de ce roman est apaisante, rassurante même : elle est morte, certes, mais elle est toujours là près de ceux qu'elle aime.
Hubert Delahaye nous plonge avec réalisme dans le Japon d'aujourd'hui et ses contrastes, entre modernité et traditions. Il sait évoquer avec lucidité les problèmes sociaux, la désertion des campagnes, l'incompréhension qui règne entre les générations, les problèmes environnementaux...et autres.
Il sait de quoi il parle car il a passé sa vie professionnelle au sein du Collège de France dans le domaine de la sinologie. Il a été attaché à la chaire d’Histoire sociale et intellectuelle de la Chine de Jacques Gernet puis aux Instituts d’Extrême-Orient en tant que maître de conférences. Et c'est donc tout naturellement qu'il s'est intéressé de près au Japon si proche.
A noter : Les mots japonais sont écrits entre parenthèse en caractères japonais pour les amoureux de cette langue. Sauf exception, ils sont parfaitement compréhensibles lors de leur lecture dans le contexte de l'histoire.
Merci encore une fois à Pascaline et aux Editions l'Asiathèque pour leur confiance et pour m'avoir permis de lire ce roman tout en délicatesse, en avant première. Sa sortie est prévue le 28 août prochain.
Hatsumi voit passer une étoile filante. Passage trop bref pour avoir le temps de faire un voeu, mais ce n'est pas grave : elle forme en permanence celui du bonheur de ses filles. La nuit est claire, sans lune, et les lumières de la ville ne viennent pas perturber le ciel nocturne d'Ogura. Dans l'espace vertigineux, le Bouvier et la Tisserande se sont encore écartés un peu plus de la rivière d'étoiles de la Voie Lactée. Ils s'aiment, s'attirent, mais doivent se quitter ainsi chaque année en juillet depuis toujours.
Y-a-t-il plus beau symbole de la fidélité ?