Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Cyrille, il disait que la mer était une courtepointe. Des morceaux de vagues attachés par des fils de soleil. Il disait qu'elle avalait les histoires du monde et les digérait longuement, dans son ventre cobalt, pour n'en renvoyer que des reflets déformés ; il disait que les événements des dernières semaines sombreraient lentement dans la pénombre de la mémoire.
Catherine Day qui vient de perdre ses parents adoptifs, est proche du burn out. Elle suit les conseils de son médecin et se rend à Caplan une petite ville de Gaspésie pour retrouver sa mère biologique qu'elle ne connait pas mais qui lui a transmis un étrange rendez-vous par lettre.
L'arrivée dans la petite ville la met immédiatement dans l'ambiance. Elle fait connaissance avec le cabaretier qui commence toutes ses phrases par "Je m'en vas vous dire rien qu'une affaire". Puis elle fait connaissance avec des marins, tous des personnages hauts en couleur, dont je ne vous dirai rien...
Mais Catherine est arrivée trop tard. Vital Bujold vient de repêcher un corps dans ses filets, c'est Marie Garant, sa mère.
Pourquoi la marée a-t-elle ramené son corps jusque là, elle qui était partie depuis des années, qui partait et revenait à son gré sans jamais dire où elle allait, elle qui a laissé à quai des hommes épris d'elle jusqu'à la folie mais qui effrayait aussi lors de ses retours ceux qui la voyait s'enfoncer davantage dans la boisson et un sorte de folie destructrice, sans en connaitre la raison.
Joaquim Morales est chargé de l'enquête. Il a été muté depuis peu dans la Baie-des-chaleurs. Il vient s'installer là avec sa femme qui est sculptrice et a besoin d'espace pour réaliser ses œuvres. Elle doit le rejoindre plus tard. Alors qu'il n'a même pas débarrassé sa voiture des cartons qui l'encombrent, il est immédiatement dépêché sur les lieux pour examiner le corps de la défunte.
Très vite, il va se heurter au silence des pêcheurs et des autres habitants du village qui ne comptent pas se livrer au premier venu, en plus arrivant de la ville, un étranger certes enquêteur, mais étranger tout de même. Pourtant, ils en ont des secrets à révéler et tous cachent au fond d'eux la fascination et l'amour qu'ils portaient à celle que l'on vient de retrouver, et qu'ils connaissaient tous. Jadis, ils en avaient tous été follement amoureux.
Accident de bôme, suicide ou assassinat ? L'enquête vous le dira...
Et si la réponse était dans la mer et ses marées, cette mer qui décide du destin des hommes, cette mer cruelle, capricieuse et tellement vivante mais dont ils ne peuvent se passer parce qu'ils l'aiment elle aussi avec passion.
L'inspecteur devra découvrir la part de mensonges et de vérités dans les faits qu'on acceptera enfin de lui révéler. Catherine, elle, fera connaissance avec cette mère qu'elle n'a jamais vu, mais trouvera-t-elle pour autant des réponses à ses questions ?
Vous le saurez en lisant le roman...
Mes souvenirs d'enfance étaient magnifiques, parfaits, alors pourquoi ressentais-je du chagrin à l'idée de n'avoir pas pu jouir de ceux que la maison évoquait_ et qui n'avaient jamais existé ? Car il se passait ceci d'étrange que j'étais nostalgique de ce que je n'avais jamais connu. C'était un passé impossible et aussi mort que cette femme au teint livide retournée par la mer. Comment se faisait-il, alors, qu'il me manquait si intensément, moi que ma famille adoptive avait toujours comblée ?
Va falloir comprendre que la mer, c'est tout ça : la vague qui t'amène au large et te ramène. Un roulis d'indécisions, mais tu restes là, hypnotisé et captif. Jusqu'au jour où elle te choisit...J'imagine que c'est ça la passion...Une vague de fond qui t'amène plus loin que tu pensais et qui te rejette sur le sable dur, comme un vieux con.
Il a fermé les yeux pour revoir Marie Garant sur l'écran éteint de ses paupières.
Le roman commence par une scène choc mais tellement emplie d'humanité que déjà elle laisse entrevoir que les pêcheurs du coin sont bien des hommes rudes au cœur tendre. Un voilier est amarré en urgence dans la nuit à un autre bateau. A l'intérieur une femme est en train d'accoucher toute seule...une navigatrice hors pair qui ne cessera jamais de hanter O'Neil Poirier qui a lui-même coupé le cordon ombilical. Nous sommes en 1974. Bien entendu, le lecteur comprendra en lisant le roman l'identité de la mère et de l'enfant...
L'écriture de l'autrice est fluide, emplie de poésie et riche en dialogues. Les expressions canadiennes sont nombreuses et très imagées et ne manquent pas d'humour. Personnellement, il ne m'a pas fallu beaucoup de pages pour entrer dans l'ambiance car ces expressions sont très faciles à comprendre dans le contexte et la plupart étant répétées tout au long du roman, je n'ai pas eu besoin de traduction mais apparemment cela a bloqué certains lecteurs, vu ce que j'ai pu lire ici ou là dans les critiques.
Ce roman est avant tout une analyse psychologique toute en finesse des personnages et de leur raison de vivre, de leur amour pour la mer...et de leur façon d'aimer, et une quête d'identité pour notre héroïne principale qui n'aura de cesse de découvrir qui était véritablement sa mère.
J'ai aimé la tendresse cachée dans les relations humaines, le respect qu'elle implique. C'est une histoire qui sonne juste à chaque page, une histoire humaine et réaliste de passion.
L'inspecteur Moralès, dont nous savons qu'il a des problèmes conjugaux puisque sa femme finalement ne viendra pas le rejoindre, apparait vulnérable et un peu perdu dans cette enquête ce qui nous donne envie d'en savoir plus sur lui et de faire plus ample connaissance.
L'enquête n'est qu'un prétexte pour entrer dans la vie des habitants de cette petite région du Canada. Elle met du temps à s'installer vraiment car l'auteur passe du temps à présenter ses personnages, à permettre à son lecteur d'entrer dans l'ambiance, mais une fois bien campé dans le roman, vous ne pourrez plus le lâcher. Par contre, si vous recherchez un vrai polar passez votre chemin car vous risquez de vous ennuyer, tant pis pour vous car vous raterez l'occasion de connaître des personnages attachants, tellement humains sous leur carapace.
C'est un roman dépaysant qui nous fait voyager et nous plonge dans ce village de pêcheurs qui tous aiment la mer avec passion et fascination et dont l'autrice nous parle avec beaucoup de tendresse et de respect.
J'ai beaucoup aimé et je participe encore une fois avec ce roman au Book Trip en mer de Fanja.
Cyrille, il disait que, si on choisissait la mer, elle nous fiançait, pour le meilleur et pour le pire. Il disait qu'elle glissait à notre doigt l'anneau argenté du soleil, qu'elle promettait l'horizon et qu'elle tenait promesse. Il racontait, en chuchotant, qu'il avait connu ses danses gracieuses, ses froissements murmurants, ses tangages houleux_ et ses colères excessives, ses tempêtes nocturnes, ses hurlements furieux. Il disait, désarmé, qu'elle était dure, exigeante, mais qu'être agenouillé dans son aube était un privilège.
Je vous rappelle que ce roman est le premier volet d'une trilogie dont le second opus "la mariée de Corail", déjà lu et présenté ICI vient d'obtenir le Prix Mystère de la critique 2024, catégorie Meilleur roman francophone. Il sortira en poche le 13 septembre prochain, en même temps que le tome 3, "Le murmure des Hakapiks" très attendu, que j'espère pouvoir lire très vite.
Ce premier opus, "Nous étions le sel de la mer" a obtenu le Prix des Lecteurs Quai du Polar en 2023 après avoir été finaliste en 2015 du Prix France-Québec, du Prix Ténébris 2015, et du Prix Henry-Queffelec du roman marin (Bretagne) et avoir fait partie de la Sélection préliminaire du Prix des Libraires la même année.
La mer, c'est pas un choix, Catherine...
On va en mer parce que c'est la seule porte qui s'ouvre quand tu sonnes, parce que ça te réveille la nui, Catherine. Chaque fois que t'accostes, que t'entres dans la foule, tu sens ta différence. Tu te sens étranger. Tu vas en mer parce que t'es en porte-à-faux avec le monde et qu'y a juste dans le silence du vent que t'es à ta place.