Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Pour la troisième fois, il saisit le bord de la glace et, donnant de vigoureux coups de pied, il tente de se soulever. Il accroche son coude droit à la surface, puis sa paume gauche. Il plante le coude et, haletant et gémissant sous le terrible effort, il s'oblige à se hisser jusqu'à ce que son menton et son cou, d'abord, puis une petite partie de son torse dépassent le niveau de la banquise...
Patrick Summer un ancien chirurgien de l'armée britannique qui a été chassé de l'armée des Indes pour faute grave (le lecteur apprendra la raison au cours de sa lecture), embarque sur le Volunteer, un baleinier en route pour le Grand Nord comme médecin de bord. Son seul souhait c'est de continuer à se perdre dans l'opium dont il ne peut plus se passer et qui lui seul, lui permet d'oublier les scènes horribles qui passent et repassent dans sa tête et l'empêchent de trouver le sommeil.
Le capitaine Brownlee sait que la commercialisation des produits dérivés de la baleine (dont la graisse) est en plein déclin...mais il surprend son entourage par sa volonté de réussir ce qu'il sait être sa dernière campagne de pêche. Baxter, l'armateur, lui a minutieusement choisi un équipage hétéroclite, constitué d'hommes rudes qui n'ont rien à perdre et plus rien à prouver.
L'ambiance est particulièrement noire et angoissante. Les premières baleines font leur apparition, il faut les traquer, les dépecer, supporter la promiscuité. Les hommes doivent travailler dur et sans relâche. Ils sont sales, couverts de sang et de graisse et en plus très grossiers et violents entre eux.
Le lecteur sait dès les premières pages qu'Henry Drax, un des précieux harponneurs, est particulièrement horrible et qu'il ne recule devant rien pour assouvir ses pulsions. Mais Summer le comprendra seulement lorsqu'à bord, le corps d'un jeune mousse est retrouvé, brutalement assassiné après avoir subi des sévices sexuels et que Drax fait accuser par son témoignage mensonger, un autre que lui.
La confrontation entre les deux hommes devra avoir lieu mais elle devra attendre, car le capitaine en les menant directement vers les eaux glaciales du Grand Nord, a d'autres projets en tête pour son baleinier et son équipage...
Summer est le seul à apporter un peu d'humanité dans ce huis-clos brutal mais se sentant seul au monde, il aura du mal à faire entendre sa voix, la voix de la raison.
Et c'est avec effroi au fur et à mesure que les intentions de chacun se précisent, tandis que le lecteur découvre les drames qui se succèdent, qu'il comprend trop tard tout comme l'équipage que le baleinier entreprend là, en effet, ce qui sera son dernier voyage.
Et les hommes que vont-ils devenir ? Le suspense monte crescendo !
Il respire, il marche, l'ours le précède toujours, tout ensanglanté, enveloppé de vapeur, laissant de larges traces rondes comme des assiettes à soupe.
A chaque minute, il s'attend à voir l'ours tomber, faiblir, commencer à mourir, mais ce n'est jamais le cas. L'animal s'obstine. Summer éprouve tantôt une haine farouche à son endroit, tantôt une sorte d'amour maladif...
Pour Summer, les hommes qui viennent à lui ne sont que des corps : des jambes, des bras, des torses, des têtes. Leur chair forme la totalité de ses préoccupations. Quant au reste de leur personne – leur caractère moral, leur âme –, il y est tout à fait indifférent. Il estime qu’il n’a pas le devoir de les instruire ou de les guider vers la vertu, qu’il n’a pas à les juger, à les consoler ou à sympathiser avec eux. Il est médecin, il n’est ni prêtre, ni magistrat, ni conjoint. Il guérit leurs lésions, il trouve un remède à leurs maladies, quand c’est possible, mais, au-delà de ça, ils n’ont aucun droit sur lui, et lui, dans son état actuel de désarroi, n’a aucun réconfort à leur prodiguer.
Voilà un roman d'aventure, un roman sur la mer et la chasse à la baleine, et un roman très noir, violent pour ne pas dire machiavélique qui nous tient en haleine jusqu'à la fin. Je reconnais que malgré un début très rude, j'ai eu du mal à le lâcher avant les dernières pages tant l'action est omniprésente, les rebondissements surprenants, et les scènes réalistes.
L'histoire se situe à la fin du XIXe siècle. L'auteur, avec son écriture très crue et toute en fluidité, sait retranscrire avec brio l'ambiance de la chasse à la baleine. Les pêcheurs sont des êtres rudes qui ne savent pas vivre autrement. Leur âme est noire, et leur violence inqualifiable et impardonnable.
Le roman débute par une scène effroyable qui se situe sur les docks. Henry Drax cherche sa proie et le lecteur découvre avec horreur et sous la plume hyperréaliste de l'auteur et les détails les plus sordides, ce dont il est capable. L'auteur sait particulièrement bien ménager le suspense et le lecteur découvre avec effroi que le plus horrible des personnages n'est pas forcément celui que l'on croit..
Le seul qui nous apparait un peu plus humain c'est Summer, obsédé par ses années de guerre et la violence de ce qu'il a du endurer en Inde. Le lecteur découvre peu à peu des brides de sa vie, les erreurs commises dans le passé et ressent de l'empathie pour lui.
Tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce roman un bon roman d'aventure mais aussi un roman sur la survie en milieu extrême et la noirceur de l'âme humaine, mise à nu par les conditions de vie extrême, la rudesse des éléments et la peur de la mort. Tout cela ne peut que faire voler en éclat les apparences, la bienséance, tout ce qui fait que nous sommes des êtres humains sociaux...et non des bêtes.
Heureusement, dans la seconde partie un peu d'humanité va se glisser entre les lignes, de la poésie aussi face à la description magnifique des paysages, des animaux, un peu de légèreté dans ce monde de brutes...histoire de souffler un peu avant la fin.
Ce roman a été classé parmi les dix meilleurs livres de 2016 par le New York Times. Il a été le premier roman de l'auteur traduit en français.
Il a reçu le Prix Gens de mer au Festival Etonnants Voyageurs en 2017. J'intègre donc cette lecture dans le Book Trip en mer de Fanja.