Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Toute vie est organisée autour d'un petit nombre d'événements qui soit nous propulsent soit finissent par nous entraver. Nous passons les années entre ces épisodes à bénéficier ou à souffrir de leurs conséquences jusqu'à l'arrivée du moment déterminant suivant. La valeur d'un homme est établie par le nombre de ces situations décisives qu'il est capable de se créer pour lui-même. Il n'est pas toujours nécessaire que ce soit un succès, car échouer peut être un grand honneur. Mais il se doit d'être l'acteur principal dans les scènes significatives de son existence, qu'elles soient épiques ou tragiques.
Voilà un roman qui a obtenu le Prix Pulitzer en 2023, dont j'avais beaucoup entendu parler en bien, ce qui explique que j'étais contente de le trouver disponible à la médiathèque.
J'ai cependant mis pas mal de temps à entrer dans ce roman puis pas mal de temps pour le finir_quasiment quinze jours ce qui n'est pas de moi car en principe je lis deux heures environ tous les soirs et donc j'ai vite fait de terminer mes lectures même si je prends tout mon temps...
En fait, c'est la construction du livre qui m'a beaucoup déroutée et il faut s'accrocher pour comprendre en quoi elle est vraiment importante pour la compréhension de la suite de l'histoire. Arrivée à la fin tout m'a paru limpide !
En fait, il s'agit d'un livre bâti en quatre parties, chacune reprenant la même histoire d'un point de vue différent.
La première partie, "Obligations" la plus déroutante est un roman dans le roman, écrit par un auteur fictif, Harold Vanner, qui raconte la vie d'un homme, Benjamin Rask, haut placé dans la finance du pays et qui a su au cours de sa vie faire fortune même lors des grandes crises financières du début du XXe siècle (en particulier lors du krash boursier de 1929). Le roman nous raconte sa vie familiale, de ses grands-parents à son propre mariage avec une femme douce et compréhensive avec qui il s'entend très bien. Il nous est présenté comme plutôt réservé et distant mais attaché à sa femme. Tous deux sont plutôt solitaires. Helen va s'occcuper en créant autour d'elle tout un réseau de relations constitué d'artistes (musiciens, auteurs ... et d'associations, d'écoles ) à qui elle apporte un soutien financier conséquent. Tout se passe bien jusqu'à ce qu'Helen tombe malade...
Dans la seconde partie intitulée " Ma vie" on retrouve le couple mais sous un autre nom (le vrai peut-être ?), Andrew et Mildred Bevel. L'histoire, toujours la même, présente cependant différentes variantes...c'est Andrew qui tente d'écrire son autobiographie de manière fragmentaire en notant ici ou là des listes d'idées à développer qu'il pose peu à peu dans un plan, l'ensemble restera inachevé...
La troisième partie "Un mémoire, remémoré", nous apporte un vent nouveau. Le magnat de la finance a été très vexé du portrait qui a été fait de sa personnalité, de sa vie et de sa femme dans le roman que nous avons pu lire dans la première partie. Il décide donc d'employer une jeune femme, Ida Partenza, fille d'un imprimeur anarchiste, pour réécrire sa biographie sous sa dictée, afin que ce qui restera après eux soit le portrait exact de ce qui a été, et non un ramassis de mensonges. Ce texte restera lui aussi inachevé...
De la quatrième, "Futures" je ne vous dirai rien en détails, juste qu'il s'agit d'un fragment du journal intime d'Helen/Mildred qui permet au lecteur de comprendre sa véritable personnalité, ainsi que celle de son époux et bien plus encore !
Le lecteur s'interroge... Quelle est la véritable histoire, et qui sont les personnages réels et ceux inventés pour les lecteurs ? Faut-il comme le dit Andrew "Tordre la réalité pour mieux la faire coïncider" afin de ne jamais reconnaître ses erreurs ?
L'auteur de la même manière joue sur l'ambiguité de son titre, en effet en qui peut-on avoir réellement avoir confiance dans ce roman ?
J'ai trouvé que l'incapacité de Bevel à exprimer sa pensée était le plus beau morceau d'éloquence dont il faisait preuve depuis le début. L'homme dont le travail consistait à toujours avoir raison, l'homme qui ne s'offrait jamais le luxe du doute, ne trouvait pas ses mots.
La plupart d'entre nous préfèrent croire que nous sommes les sujets actifs de nos victoires mais seulement les sujets passifs de nos défaites. Nous triomphons, mais ce n'est pas vraiment nous qui échouons...
Au cours des épreuves et des entretiens que j'ai passés chez Bevel Investments, j'ai appris une chose que j'ai eu l'occasion de corroborer maintes fois au cours de mon existence : plus on est près d'une source de pouvoir, plus l'ambiance devient calme. L'autorité et l'argent s'entourent de silence, et on peut mesurer l'influence de quelqu'un à l'épaisseur du silence qui l'enveloppe.
Je n'avais jamais rien lu de cet auteur et c'est donc avec un certain étonnement que j'ai découvert sa plume et la construction de cet étrange roman. Le fait qu'il se passe dans le milieu de la finance dans les années 20-30, donc au début du XXe siècle, ne me disait rien du tout au départ car c'est un milieu qui ne m'intéresse pas du tout, mais ce n'est pas du tout là-dessus que l'auteur met l'accent bien qu'il ne cache rien de la puissance en société que permet d'obtenir l'argent.
La première partie ne m'a pas du tout intéressée, sauf à partir du moment où Helen en tant que figure féminine entre en jeu. La seconde partie m'a carrément ennuyée...J'ai failli à maintes reprises arrêter ma lecture, mais je ne regrette pas d'avoir persévéré car j'ai commencé à avoir du plaisir en commençant la troisième partie donc à la moitié du livre ! Il faut dire que le personnage d'Ida est vraiment intéressant et que cette partie-là nous fait entrer davantage dans la psychologie des différents personnages, prendre conscience si nous en doutions du pouvoir masculin, et de l'absence quasi totale de figures féminines dans ce milieu très fermé de la finance mais aussi, de bien d'autres choses que je ne peux vous dévoiler sous peine de spoiler le plus important. La relation entre Ida et son père donne l'occasion de passages pleins de tendresse qui font écho à la froideur de la relation entre Ida et Andrew/Benjamin.
Ce qui est très intéressant finalement c'est d'entrer dans chacune des histoires (une fois que l'on a compris la construction du roman) et de découvrir la vie de ce couple richissime avec différents points de vue. Les personnages prennent de la profondeur au fil de la lecture, l'argent devient un moyen de réparer le monde autour d'eux et la manière dont il est gagné devient accessoire, car en plus l'auteur ne manque pas d'humour et nous fait entrer dans ce milieu avec un certain cynisme, tout en décortiquant le mythe américain et la toute puissance masculine.
Le fait que ce roman nous permette de mieux connaitre le monde de la finance aux Etats-Unis me permet de participer au challenge "Monde ouvrier et mondes du travail" chez Ingannmic ICI.
En dépit de tout, j'avais constamment choisi de le respecter et de m'inspirer de lui. Je venais seulement de comprendre combien ce choix avait été actif et conscient. Parfois il me facilitait la tâche, et c'était une joie. Plus souvent, c'était à moi qu'incombait la responsabilité de faire de lui un père. Année après année, j'avais compensé ses défauts. Je l'avais aidé à être un parent pour moi. Et j'avais adoré notre vie compliquée et pleine d'adversité. Et je l'avais aimé pour ses principes et passions vagues mais néanmoins inflexibles, ainsi que pour ses notions improbables de liberté et d'indépendance. Mais à présent je devais trouver un moyen d'aimer une nouvelle idée de lui...
Plus tard, au fil des ans, à la fois au travail et dans ma vie personnelle, d'innombrables hommes m'ont répété mes idées comme s'il s'agissait des leurs _ comme si je n'allais pas me rappeler avoir eu ces pensées la première. (Il est possible que, dans certains cas, leur vanité ait éclipsé leur mémoire au point que, grâce à cette amnésie sélective, ils aient pu, la conscience tranquille, revendiquer l'authenticité de leur révélation)...