Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Peut-être l'été évoque-t-il pour vous des images de campagne, de prés verdoyants, de montagnes et de lacs scintillants sous le soleil ? Mais il ne suggérait rien de tel au peuple de Packingtown. La formidable mécanique continuait à tourner impitoyablement, indifférente aux vertes prairies. Les hommes, les femmes, les enfants qui tous en constituaient les rouages, n'apercevaient jamais la moindre verdure, pas même la moindre fleur.
Jurgis Rudkus, le personnage principal, et sa famille quittent leur pays natal, la Lituanie, pour traverser l'Europe et l'Atlantique et venir s'établir en Amérique comme tant d'immigrés à l'époque. Ils atterrissent à Chicago et trouvent tous du travail chez Durham et Compagnie, le trust de la viande qui n'hésite pas à employer pour des salaires de misère, hommes, femmes et enfants.
Ils découvrent très vite que la vie en Amérique est beaucoup plus chère que prévu et que leur salaire à tous ne suffira pas pour vivre. Les enfants ne pourront pas aller à l'école et ils resteront au bas de l'échelle malgré leur ardeur quotidienne à la tâche.
De plus les conditions de travail sont déplorables, l'été il fait une chaleur étouffante dans les locaux, l'hiver les mains et les pieds gèlent, les cadences sont infernales et les accidents quotidiens (gelures, coupures, intoxications, évanouissement, morts). Le lecteur découvre effaré et choqué, les conditions de travail déplorables y compris pour les enfants, l'absence d'hygiène y compris pour les consommateurs futurs, rien n'étant jeté y compris la viande avariée ou celle des animaux malades...tout est transformé et mis sur le marché. Et je ne parlerai pas de la cruauté insoutenable qui règne dans les lieux.
La famille décide d'acquérir une petite maison que l'agent immobilier prétend neuve ce qui leur permettrait d'être chez eux un jour. Ils ne savent pas que cela précipitera leur perte, en cas de non paiement, la maison leur sera retirée sans compensation des sommes versées. Ils ne parlaient pas un mot d'anglais et donc c'était facile pour les exploiteurs de les tromper.
Il n'est pas étonnant que dans de telles conditions et devant les drames que doivent vivre la famille de Jurgis, celui-ci craque, se batte avec un supérieur qui a abusé de sa femme, et se retrouve en prison précipitant la famille dans la misère. Se retrouvant sur liste noire, il est impossible désormais pour lui de retrouver du travail à sa sortie. Il fera pourtant tout ce qui est en son pouvoir, partira sur les routes, tentera sa chance tout en essayant de survivre.
Les ouvriers ne peuvent dans ces conditions se rebeller car ils perdent tout, les femmes se prostituent, les enfants croulent sous la pénibilité du travail.
Pourtant malgré la déchéance physique, la perte de l'espoir, des solutions se profilent, appartenir soi-même à la mafia dirigeante ou au contraire se tourner vers cette nouvelle idéologie montante que l'on appelle le socialisme ? Jurgis devra choisir pour retrouver un sens à sa vie et sauver peut-être ce qui peut l'être.
Depuis qu'il avait perdu ses illusions, il s'était juré de ne faire confiance à personne, sinon aux membres de sa famille ; or il découvrait qu'il avait là des compagnons de détresse et des alliés. Leur seule chance de survie était de s'unir. La lutte devenait une véritable croisade.
...ces prédicateurs étaient à mille lieux de la réalité dont ils parlaient ; ils étaient incapables de résoudre les difficultés matérielles du commun des mortels. D'ailleurs, ils en portaient partiellement la responsabilité : ils appartenaient à l'ordre établi, à cette classe possédante qui écrase et anéantit les travailleurs, qui affiche ses insolentes richesses.
"Vous écoutez mes paroles, disait l'homme, et vous pensez :"Oui, c'est vrai. Mais n'en a-t-il pas toujours été ainsi" Ou bien encore : "Ce jour viendra peut-être, mais je ne serai plus là pour le voir. Alors, à quoi bon ?" Et là-dessus vous reprenez votre routine quotidienne et vous retournez entre les mâchoires de la puissante machine à produire du profit qui fait tourner l'économie mondiale...."
On ne pouvait demeurer longtemps devant ce spectacle sans être porté à philosopher, à y voir des symboles et des métaphores, à entendre dans les cris de ces porcs la plainte déchirante de l'univers.
Je suis restée abasourdie par cette lecture-choc, dure et tellement réaliste que l'on se demande comment un tel monde a pu exister et malheureusement existe encore de nos jours avec les conséquences de la mondialisation, plus d'un siècle après l'écriture de ce livre qui a fait scandale lors de sa sortie en 1906.
Impossible de s'habituer à voir une telle souffrance animale ou humaine...un tel désespoir face à l'avenir et à l'effondrement de tant de vies d'immigrés gâchées pour toujours, qui ont cédé à l'attrait d'un monde meilleur. C'est un récit effroyable mais qui fait écho à l'actualité, à la montée de la pauvreté, au racisme ambiant, aux immigrés qui se noient en méditerranée et à notre monde où l'argent prime sur l'homme, et où les plus riches méprisent encore et toujours ceux qui leur ont permis d'acquérir leur richesse et de vivre leur vie de nantis et je ne parle pas de la classe politique corrompue.
Ce livre poussera le président des Etats-Unis de l'époque (Roosevelt) à enquêter sur les installations et les conditions d'hygiène et à créer une loi sur l'inspection sanitaire, mais aussi à enquêter sur les conditions de travail ce qui a permis à des réformes du droit du travail de voir le jour.
Certes, nous savons à présent que les conditions de vie des ouvriers ont évolué et que les millions d'hommes et de femmes, grâce aux grèves gigantesques de 1920, sont arrivés à faire entendre leur voix. Mais tout cela ne peut que nous mener à une terrible constatation, trop peu de choses ont changé dans certains pays.
La lecture de ce livre terrible mais indispensable, me permet de participer au challenge "Lire sur le monde ouvrier et les mondes du travail" chez Ingannmic ICI.
Merci à mon fils de me l'avoir prêté.
L'âme de Jurgis avait été tuée puisqu'il avait renoncé à espérer et à lutter, qu'il s'était accommodé des humiliations et de la désespérance.
La vie était une lutte : les forts l'emportaient sur les faibles, avant d'être eux-mêmes vaincus par plus puissants qu'eux. En général, les perdants disparaissaient, mais certains, en s'unissant parvenaient à échapper à l'extermination, preuve qu'ils avaient trouvé là une force supérieure d'un genre nouveau. C'était ainsi que les animaux grégaires étaient venus à bout des prédateurs. De même, dans l'histoire de l'humanité, les peuples avaient fini par renverser les rois.