Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Elle sortit respirer dans le jardin. Les arbres dégouttaient, des filets de brume s'accrochaient aux branches. Elle repensa au procès, à ce qu'elle aurait dû dire, les idées s'enchaînaient, tout devenait fluide. Les meilleures plaidoiries sont toujours celles que l'on refait après.
Voilà un roman lu au printemps dernier que j'avais complètement oublié de publier bien que le brouillon soit prêt comme toujours. Je l'ai emprunté en médiathèque suite aux très nombreuses critiques positives lues dans la blogosphère et en particulier à celle de Brigitte (Ecureuil bleu ICI).
L'histoire est toute simple. Lisa, une jeune femme de 20 ans, sur le point de subir pour la seconde fois un procès, désire changer d'avocat et s'adresse à Alice Kéridreux, car elle veut à présent être "défendue par une avocate femme". Alice est en pleine introspection et doute de son métier auquel pourtant elle a consacré toute sa vie et sacrifié bien des choses en particulier les êtres qu'elle aime.
Alors qu'elle avait 15 ans, Lisa a été victime de viol et l'accusé n'est autre que Marco Lange, le maçon qui travaillait à ce moment-là pour la famille qui a écopé de dix ans de prison. Ayant toujours clamé son innocence, il a fait appel.
A cette époque, ce sont ses enseignants, inquiets de la voir se fermer, maigrir et avoir de mauvais résultats scolaires qui ont tout fait, aidés par sa meilleure amie, pour lui faire "avouer" les raisons de sa souffrance.
Depuis, ses parents se sont séparés, le père a refait sa vie et Lisa se reconstruit petit à petit. Elle a même réussi à trouver du travail.
Mais alors qu'elle discute avec son avocate, elle lui révèle qu'elle a menti et lui explique dans les détails l'engrenage des faits qui l'ont incité à le faire.
Faut-il la croire ?
Est-ce le signe qu'elle est en grande souffrance si elle se rétracte à présent ?
Alice doute... mais c'est une avocate passionnée qui décide de creuser les déclarations de la victime d'autant plus que l'accusé est en prison depuis des années à présent et qu'il a toujours clamé son innocence.
Cependant, pour Lisa, ce n'est pas facile d'être une menteuse devant la justice. De victime, la petite Lisa va devenir coupable. La difficulté va être pour son avocate, de prouver que fragilisée par des événements extérieurs ayant lieu autant au collège que dans sa famille, la jeune fille n'a pas eu d'autres choix, et a été en quelque sorte forcée à s'enfoncer dans le mensonge.
Alice va devoir déployer tous ses talents pour la défendre.
Ah ! Les merveilleux témoins ! Même quand ils ne savent rien, ils trouvent quelque chose à dire, s’agaça Alice. Elle éprouvait une fois de plus les mots justes d’Erri de Luca. "Prendre connaissance d’une époque à travers les documents judiciaires, c’est comme étudier les étoiles en regardant leur reflet dans un étang."
Dès le départ, vu le titre du livre, le lecteur sait que Lisa a menti. L'essentiel du roman n'est pas là.
Ce qui est intéressant dans ce roman, c'est l'engrenage dans lequel se retrouve la jeune fille, ses difficultés d'adolescente à supporter un corps dans lequel elle ne se reconnait pas, des seins trop tôt formés et qui attirent les regards insistants des garçons et des hommes, et sa souffrance de ne pas être aimée à la maison. Tout cela la mènera jusqu'au mensonge par peur que son secret honteux de n'avoir pas su dire non_avant que sa réputation au collège soit ternie à jamais_ soit découvert par ses proches. Ensuite, elle est prise dans l'engrenage de ses propres mensonges.
L'auteur nous parle avec beaucoup de finesse de cette adolescente fragile, à la merci d'adultes bien intentionnés qui veulent lui faire dire ce qui n'a pas eu lieu, persuadés de bien faire. L'auteur ne porte aucun jugement, expose les faits et les dires de Lisa et nous donne les clés pour la comprendre.
Je la trouve très courageuse d'avoir écrit ce roman en plein mouvement me-too car elle va finalement à l'envers de la tendance actuelle qui est de croire toute femme ou jeune femme qui s'exprime. Bien entendu, en ce qui me concerne je trouve très important qu'elles le fassent, mais il y a forcément dans toute vérité, des excès et des effets pervers, cela est dans la nature humaine et toute la problématique de ce roman est de les mettre en avant sans nuire à la parole des femmes et avec beaucoup de finesse psychologique. Pour Lisa, condamnée à vivre au collège une réelle souffrance, il n'y avait pas d'autres solutions que de mentir, et son mensonge est une vérité à prendre en compte, une parole importante quand aucune autre n'a été possible. A cet instant-là, elle n'a pas pensé aux conséquences, ni à l'accusé qui se retrouve victime lui-même par ricochet.
L'auteur, chroniqueuse judiciaire au Journal Le Monde connait bien le métier d'avocat et le déroulement d'un procès. Elle traite ce sujet du doute avec une grande intelligence, nous permettant de nous faire notre propre opinion sans jamais juger les victimes.
Ayant travaillé avec des adolescentes, je sais à quel point c'est difficile pour elles de trouver leur identité de femmes, de se sentir à l'aise dans le monde d'aujourd'hui car en perpétuel décalage entre leur ressenti et ce que la société leur impose comme image, entre les désirs des garçons et leurs attentes, et leur propre ressenti de jeune femme. Trop facile ensuite de se faire harceler et juger "fille facile" quand on ne sait pas dire non comme Lisa et qu'on cherche avant tout à être aimée.
Une agréable surprise que ce roman, un auteur à découvrir tant la justesse de ses propos et la finesse de ses analyses sonnent justes.