Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Leur trajectoire bouscule les habitudes, perturbe les évidences, souligne les contradictions. Ils échappent aux assignations strictes et aux classements définitifs, tant ils ont passé les frontières et continents, navigué dans les lieux et les sociabilités. Ils permettent ainsi d'accéder à la complexité des relations entre les cultures, les engagements, les formes de militantisme.
Ils étaient Noirs-Américains, sont devenus noirs en France...
Je vous donne tout de suite le sous-titre de ce livre qui n'est pas un roman mais se lit comme un récit d'aventure. "Des afro-américains entre lutte des classes et Black Power".
Cet essai socio-historique, qui raconte la vie de Jean et Melvin Mc Nair, des pirates de l’air militants contre le racisme aux États-Unis, avait été présenté par la libraire dans ma médiathèque comme étant avant tout un récit de vie et d'aventure sur fond d'histoire du racisme.
En effet l'auteur, maître de conférences en histoire, et passionné par la vie de ce couple sur lequel il a déjà écrit un récit plus romancé intitulé "Nous avons arpenté un chemin caillouteux" (2017), a voulu dans ce nouveau livre présenter leur vie, tout en démontrant que leurs faits et gestes, certes condamnables, ne peuvent être jugés en dehors du contexte social de l'époque et de problématiques plus larges.
Pour cela, l'auteur bâtit son récit de manière totalement linéaire.
Il part de l'enfance des protagonistes (qui sont cinq en tout en comptant le couple). Ainsi le lecteur découvre Melvin et Jean Mc Nair, et leurs coéquipiers, Joyce Tillerson, George Wright et George Brown dans leur famille et leur quartier. Comme Melvin, Jean et Joyce viennent d'un milieu modeste. Mais leur entourage familial est aimant et leurs parents savent être de vrais parents, protecteurs, avec un père présent pour Jean dont les parents ne sont pas séparés.
Melvin et Jean se rencontrent en Caroline du Nord. Ils sont étudiants, mais Melvin fait du sport à haut niveau et n'a pas beaucoup de temps après les entrainements pour réviser les cours. Ils se marient et auront deux enfants et pourraient vivre une vie tranquille. Mais la guerre du Vietnam vient perturber leur projet de vie. Martin Luther King est assassiné et ils sont fascinés par les Black Panthers. Melvin devient déserteur.
Tous sont victimes à leur façon du racisme des blancs et vivent dans des quartiers-ghettos. Mais rien ne laissait présager dans leur enfance ce qu'ils allaient vivre ou allaient faire. Ils se trouvent dans une impasse, en totale rupture sociale.
Réduits à la clandestinité, exclus de la société pour avoir refusé de partir faire la guerre du Vietnam, ils vont tenter de rejoindre l'Europe en détournant un avion, le 30 juillet 1972. C'est pour eux la seule solution pour quitter leur pays. Ils sont accompagnés de trois enfants, les deux de Melvin et Jean, Johari et Ayana (deux ans et onze mois) et la fille de Joyce, Kenya, qui a bientôt trois ans. Tout se fera en douceur et personne ne sera blessé, ce dont les témoins attesteront au procès. Certains passagers, dans l'avion détourné, ne s'apercevront du détournement qu'une fois arrivés...
Une fois en Algérie, ils n'y sont pas bien accueillis et décident de rejoindre la France où ils seront aidés par Henri Curiel et son réseau "Solidarité". Ils seront finalement arrêtés en 1976 et jugés en 1978. Mais la France "reconnaîtra la dimension politique de leurs actes". Les jurés et le juge seront étonnés de leur niveau de culture, de leur politesse et de leur comportement exemplaire en prison. La France refusera de les extrader vers les Etats-Unis...
Je n'en dirai pas plus pour vous laisser découvrir les détails ainsi que la suite si vous êtes intéressés par cette lecture.
"La prison fut mon université", écrit George [Brown] en 1978. La formule peut sembler étrange, mais c'est dans le monde carcéral qu'il se politise et connait ses premières expériences de solidarité.
Jean, Joyce, les deux George et Melvin sont des clandestins isolés, sans camarades sur lesquels compter, avec lesquels discuter. Ils se sont transformés en révolutionnaires, mais ils ne savent pas comment faire la révolution...
Mon avis
Tout d'abord j'ai découvert que le procès avait eu lieu dans les années 70 et que je n'en avais gardé aucun souvenir. Or en France il avait été l'occasion d'un grand battage médiatique. De nombreuses manifestations, pétitions et autres actions avaient rassemblé des intellectuels, des artistes et une bonne partie de l'opinion publique parmi ceux qui étaient opposés à la guerre du Vietnam et engagés dans la lutte contre le racisme. On retrouve dans leur comité de soutien Simone Signoret, Bertrand Tavernier, Michel Leiris, Michel Foucault, Théodore Monod, James Baldwin et bien d'autres, journalistes, réalisateurs, écrivains, philosophes ou scientifiques...
Ensuite même si j'avais entendu parler du Black Panther Party, je ne savais pas grand chose de précis sur leurs actions, je le reconnais, ni sur celles de son homologue en Algérie. L'auteur nous parle du mythe qui entoure cette formation mais il met aussi le doigt sur leur failles comme le sexisme par exemple qui régnait en son sein.
L'auteur nous livre donc un récit à la fois de ce détournement particulier tout en reprenant pas à pas le contexte historique et social de l'affaire, de l'Amérique à la France, tout en passant par l'Algérie devenue indépendante depuis peu.
Une façon intelligente de comprendre ces "pirates de l'air" de l'époque qui n'étaient pas des terroristes comme ils seraient considérés aujourd'hui mais des hommes et des femmes ordinaires, poussés à changer de vie pour retrouver une certaine liberté d'action et sortir du ghetto où la société américaine les avait enfermés, mais qui ont finalement été dépassés par la grande Histoire et le contexte de l'époque. Ce qui n'excuse pas leurs actes pour autant, mais permet de mieux le comprendre.
L'auteur s'est bien entendu documenté en consultant diverses archives, entretiens et comptes-rendus du procès, et le livre comporte de nombreuses notes et références.
Ce livre, même si j'ai trouvé difficile sa lecture par moment car je ne connaissais pas les fameux "80%" nécessaires à la compréhension de la partie purement historique, permet de réfléchir aux différents points de vue sur le racisme, à l'engagement politique selon les époques et leurs contextes.
Que voulait dire "être noirs américains" dans les années 70 ? Et aujourd'hui ?
Ces pirates de l'air seraient-ils jugés avec autant de clémence si les faits se déroulaient de nos jours ?
On peut se poser la question...et bien d'autres encore à la lecture de ce livre que je ne regrette pas d'avoir emprunté même si je pense qu'il me faudrait une seconde lecture un jour pour mieux comprendre le contexte mouvementé de cette époque et tous les détails de l'histoire du racisme aux Etats-Unis (et en France...).