Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
C'est la nuit je regarde l'enfant qui dort. Un tout petit enfant, il ne sait rien du monde, il ne sait rien faire. Un enfant ce n'est pas fait pour la vie, cette vie-là je veux dire qui est immense et brutale devant lui devant nous...
Je n'ai pas le goût du sang des bêtes. Je chasse parce qu'il faut de la viande pour se nourrir et peaux pour vendre. Je chasse par nécessité.
Je chasse parce que je l'ai choisi quand même.
Parfois je me demande ce que cela veut dire et comment qualifier les sensations enivrantes quand je cours une piste pendant des jours, comment dire encore que je n'aime pas la chasse alors que je vis par elle et pour elle alors je rectifie dans ma tête : je n'ai pas le goût de la mort des bêtes. Mais il faut bien que les bêtes meurent pour les manger et prendre leur fourrure ou leur cuir, il faut qu'elles meurent pour que je vive et Ava et le petit.
Ce thriller a obtenu le Prix Renaudot des Lycéens et le Prix Jean Giono 2022.
Voici un roman noir à couper le souffle, d'un auteur dont je ne me lasse pas de découvrir les œuvres, tant elles sont marquantes et fascinantes à la fois.
On ne sait pas où se passe exactement ce roman, mais c'est dans une région isolée, une nature sauvage loin du monde où le climat rude ne permet pas de commettre la moindre erreur quand vient l'hiver. Je la situerai, vu les paysages et les animaux, dans le nord du Canada et peut-être même en Alaska.
Liam vit là-bas quasiment en autarcie, avec Ava sa femme et leur petit garçon de 5 ans à peine, Aru. Liam aime avant tout chasser, pister et vivre avec le gibier. Ce soir-là quand survient le drame, il comprend tout de suite que quelque chose ne va pas : le petit Aru ne se précipite pas à sa rencontre comme chaque fois qu'il revient de la chasse.
Dans la cour devant la maison, un ours est passé par là, il a tué sa femme tant aimé qui a protégé sous son corps son petit garçon qui lui, est miraculeusement vivant.
Liam sait très bien que la vie qu'il mène dans ces contrées sauvages ne conviendra jamais à un si petit garçon. Qu'en fera-t-il quand il ira chasser et quittera la maison pendant plusieurs jours ? De plus, il ne sait pas faire : s'en occuper était l'affaire de sa femme ! Il prépare donc les chevaux et décide d'emmener le petit jusqu'à la ville où il compte bien le confier à l'oncle et à la tante...mais l'oncle n'en veut pas.
Alors fou de rage, Liam reprend sa route. Il en veut à Aru d'être encore en vie, alors qu'Ava qu'il aimait tant, n'est plus de ce monde. Des pensées d'une grande violence l'envahissent, faisant douter le lecteur à chaque page quand à l'issue de leur périple.
Le voyage est long, très long dans ces montagnes et de nombreux imprévus vont les dévier de leur route. Les pièges sont partout et la sauvagerie des hommes surpasse souvent celle des animaux sauvages qui eux, tuent seulement pour sauver leur peau ou pour se nourrir.
Je n'ai pas les mots pour le dire je le perçois dans ma poitrine et c'est gigantesque et le petit court vers moi il ne court pas vite il est petit. C'est là que c'est bizarre chaque fois ça me fait quelque chose dans le ventre et c'est de l'émotion que je n'arrive pas à retenir, de l'émotion de voir qu'il m'attend et qu'il n'attend que moi et sur son visage le bonheur qu'il a je ne peux pas l'expliquer c'est immense...
Je ne peux pas traîner Aru dans la montagne avec moi, c'est trop dur ce que je lui demande. En fait, je ne suis pas capable de changer de vie alors c'est lui qui va en changer et c'est comme ça, j'ai choisi pour lui je pense qu'il vaut mieux que je l'emmène ailleurs.
Voilà un roman magnifique, saisissant de réalisme et profondément bouleversant et dur, très dur même. Vous êtes prévenus. Ce père perdu et révolté, d'une dureté et d'une rugosité incroyables envers son petit garçon totalement démuni et dépendant de lui, va passer par tous les ressentis possibles avant de comprendre qu'il doit aussi se remettre en question...et accepter de devenir père.
Le lecteur suit le fil de ses pensées contradictoires, de ses peurs inavouables, de sa rage. Il est happé dès le début du roman par la succession et l'enchainement des événements et il est soulagé de voir le cœur de l'homme se fissurer peu à peu au fil des pages.
C'est un roman d'une rare intensité qui à chaque page nous fait battre le cœur si fort que j'ai redouté par moment de lire la suite, tout en ne pouvant pas faire de pause en cours de lecture.
L'histoire se passe dans une nature superbe, vivante (j'allais écrire vibrante !) et tellement omniprésente qu'elle en devient étouffante. C'est un roman noir très dérangeant, car il présente les rapports père-fils d'une manière totalement innovante.
Encore une fois dans ce roman, comme dans toute l'œuvre de Sandrine Collette, la nature ne fait pas de cadeaux aux hommes et leur demande de lutter à chaque instant pour ne pas perdre leur humanité.
Si vous le désirez, vous pouvez aller lire les chroniques de Zazy ICI, de Eve ICI, et Alex ICI.
Quand Aru court la montagne pour me retrouver, quand il chevauche à côté de moi ou qu'il me sourit c'est le ciel qui nous enveloppe. ça me rentre au fond de la poitrine et je sais que cet air-là n'existe pas vraiment, enfin ce n'est pas ce que je respire chaque jour- celui-là a quelque chose de particulier, quelque chose qui me rend bon et je voudrais que la paix soit sur le monde pour les cent mille ans qui viennent...
Le chant des loups nous appelle parce que c’est notre chant et aussi loin qu’on puisse remonter il y a l’éclat d’un animal en nous, c’est pour ça que ça m’émeut et que des larmes viennent brûler le bas de mes yeux.
Ce n'est pas du chagrin c'est une émotion profonde viscérale racinaire et ceux qui ne ressentent pas ça ils ont tout oublié, ce sont des gens déjà morts. Il n'y a pas de mots pour définir ce qui m'étreint et je me dis que c'est pour ça que je vis ici, pour toucher du doigt, du bord du coeur, le territoire sauvage qui survit en moi et à ces moments-là quand les loups hurlent dans la montagne je sais que je ne suis pas seul.
Je suis devenu le père de mon fils vraiment. Maintenant je voudrais presqu'il reste petit toute sa vie et que je le protège et ça ne marche pas comme ça bien sur, alors chaque jour qui passe je compte les heures en espérant qu'elles seront les plus longues possible. Dans la lenteur il y a une plénitude et une justesse et je sens les vibrations de la terre dans ma poitrine, mon cœur bat à son rythme et les pulsations jusqu'au bout de mes doigts.