Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il a de la chance de faire ce voyage. Quelque part, il a de la chance de savoir qu'il va mourir très bientôt. Sans ça il n'aurait jamais pris le temps de partir, de voyager au cœur de lui-même, de voir les choses avec de nouveaux yeux.
Il n'a jamais ressenti ça, ce sentiment de plénitude et de gratitude envers l'Univers.
"Il y en a une autre que j'aime beaucoup."
Il hoche la tête pour l'encourager à continuer. "Le plus grand voyageur est celui qui a su faire une fois le tour de lui-même. C'est de Confucius."
Voici un roman que je dois être la dernière à découvrir dans la blogosphère tant on en a parlé... sur les blogs, sur Babelio et sur internet en général lors de sa sortie. Cela fait déjà plusieurs mois que je repousse sa lecture alors que je l'ai pourtant acheté en poche. Finalement, c'est pendant les vacances d'été, durant les rares journées solitaires, que je me suis décidée à le lire.
Emile 26 ans vient d'apprendre qu'il est atteint d'un Alzheimer précoce et que les médecins lui donnent à peine deux ans à vivre. On lui propose un traitement expérimental en hôpital que ses parents et Marjorie sa sœur, aimeraient le voir suivre mais que lui entrevoit comme une sorte d'acharnement thérapeutique. Or ce qu'il refuse avant tout c'est d'être considéré comme un cobaye. De plus, il ne veut pas que sa famille et ses amis le voient dépérir, par fierté certes, mais aussi parce que son désir le plus cher est de ne pas leur faire de peine, et qu'ils conservent de lui une image qui ne soit pas ternie par ses derniers instants.
Il a acheté un camping-car pour pouvoir vivre ses prochains mois loin de ses proches, pouvoir voyager librement, et aller découvrir d'autres horizons. Comme il est conscient qu'il ne peut le faire seul, il décide de passer une petite annonce.
Etonnamment une jeune femme lui répond. C'est Joanne. Elle accepte aussitôt toutes les conditions et est disponible sur le champ. Mutique, souvent triste et toute habillée de noir, elle semble cacher un lourd secret mais accepte Emile tel qu'il est. Ils se dirigent aussitôt de Roanne jusque dans les Pyrénées afin de découvrir la région et de faire des randonnées pour profiter des beautés de la montagne.
Là, au milieu d'une nature préservée éloignée du monde moderne, ils mènent une vie simple, dorment parfois à la belle étoile ou sous la tente, marchent sur les sentiers de randonnée. Ils tentent de vivre pleinement chaque instant de leur périple.
Peu à peu, ils apprennent à se connaître, Joanne commence à sourire et à lui donner son avis. Ils s'attachent l'un à l'autre. Elle l'initie à l'art de méditer en pleine conscience, lui donne envie d'écrire le récit de ses journées dans un carnet pour qu'il ait une preuve de ce qu'il a vécu lorsqu'il ne se souviendra plus de rien. Il écrit des lettres à sa famille et à ses proches qu'il poste. Puis quand il en a assez de faire des kilomètres pour les poster le plus loin possible, afin de brouiller les pistes, il les écrit directement dans son carnet qui ne le quitte jamais. Emile note aussi ses dernières volontés et signe avec Joanne, un accord secret.
Malgré l'aggravation progressive de son état, l'intervention nécessaire des médecins, il va se battre jusqu'au bout pour rendre leur voyage plus beau et vivre ses derniers instants tel qu'il les avait rêvés.
Il croit comprendre ce que veut dire Joanne quand elle déclare qu'elle préfère marcher seule, et même quand elle s'isole pour méditer dans un champ. On se retrouve plongé en soi, on n'est plus vraiment conscient de ce qui se passe autour. L'effort physique permet au mental de totalement lâcher prise...
Il y a des souvenirs qui remontent tout doucement, qui s'imposent sans provoquer d'émotions douloureuses. On les regarde avec une certaine distance et avec bienveillance.
Il marche en imaginant les mots qu'il pourra écrire dans son carnet ce soir, à la lueur des bougies que Joanne allumera. Il sait qu'il parlera de l'odeur salée des étangs, bien plus forte que l'odeur de la mer. Du soleil d'octobre, bien plus doux et agréable que celui de l'été. Des cercles formés par les mouettes dans le ciel, de leurs cris, des trainées blanches qu'elles laissent devant ses yeux. Du bruit de ses pas sur le ponton de bois...
Ils ne sont que tous les deux dans le silence total de la montagne, tous les deux au milieu de l'immensité blanche.
Ils marchent avec une lenteur infinie. Leurs pas laissent des empreintes dans la neige fraîche. Ils avancent, avec l'impression de n'être pas plus réels que le paysage, de n'être que deux mirages.
C'est le premier roman de l'auteur que je lis et son premier roman. Il a obtenu le Prix Alain Fournier en 2020. Depuis elle a publié deux autres titres.
Comme vous vous en doutez c'est un roman touchant et empli d'humanité, mais malgré la gravité du sujet, sa lecture fait du bien car au fond il n'est pas triste et comme le lecteur est prévenu dès le départ de la fin, il vit pleinement lui-aussi les différents événements présents.
Pour être tout à fait honnête, je suis consciente d'avoir gardé une certaine distance en le lisant pour me protéger du trop plein d'émotions, inévitable à la lecture de certaines pages. En effet, j'avais un peu peur en démarrant cette lecture, parce que tout simplement ma grand-mère était atteinte de la maladie d'Alzheimer et que j'ai vécu tout cela, cette perte de mémoire immédiate, cette agressivité subite, ce retour en enfance, ces moments de lucidité alternant avec d'autres où elle me prenait pour une étrangère ou une autre personne. Cela date à présent car c'était durant mon adolescence. A cette époque les maisons de retraite ne prenaient pas ce genre de malades dans ma région et ma grand-mère vivait donc chez nous. De plus, ma mère étant fille unique, elle ne pouvait pas partager les soucis. En abordant cette lecture, donc, je n'avais aucune envie de revivre certaines situations. Mais pour Emile qui est jeune, la maladie se manifeste de manière différente...
Pour en revenir à cette lecture, j'ai trouvé l'idée de ce périple superbe et tout à fait originale. Le ton sonne toujours juste sans apitoiement. Les personnages sont sympathiques et attachants autant Joanne et Emile que les belles personnes qu'ils vont croiser sur leur route et qui sauront leur tendre la main, comme Annie et sa mère Myrtille, Sebastian, Isadora par exemple.
J'ai aimé la justesse des dialogues, l'authenticité des personnages, la description des paysages pyrénéens tout comme celle des petits villages dont certains m'étaient totalement inconnus.
J'ai aimé le fait que Joanne apprenne à Emile la méditation en pleine conscience, et lui propose ainsi de découvrir avec un autre regard ce qui l'entoure, et surtout à prendre un peu de distance par rapport à son vécu. Elle met en pratique ce que lui a appris son propre père, toujours prêt à s'émerveiller de tout ce qui l'entourait, et cela malgré une vie difficile. Il lui a ouvert les yeux sur le monde et Joanne sait qu'il lui doit beaucoup. Emile va aider Joanne à se livrer un peu plus chaque jour, même si c'est presque à la fin du roman que le lecteur apprendra ce qu'elle a elle-même vécu.
J'ai aimé leur duo particulier, le fait qu'ils se reposent l'un sur l'autre et finissent par se faire confiance.
J'ai aimé les passages où Emile se remémore son passé (intact), son enfance, ses échanges avec sa famille et en particulier sa sœur qu'il adore, son amitié avec Renaud, son ami de toujours, aujourd'hui marié et père de famille, sa compagne Laura partie parce qu'il n'était pas prêt à lui faire un enfant ce qui a laissé chez lui une plaie ouverte difficile à cicatriser.
J'ai aimé la douceur de certains instants, la bienveillance qui réside dans les échanges, même si cela parait un peu trop idyllique par moment, on ne tombe pas pour autant dans la caricature, ni dans le feel-good.
L'écriture est toute douce, fluide et le livre se lit quasiment d'une traite, car le charme opère et en tant que lectrice j'ai eu envie de savoir ce qui se passait après, comment tous deux arriveraient à gérer la situation. J'ai trouvé la réaction finale de Joanne, d'une grande humanité et le geste qu'elle fait pour Emile mais aussi pour ses parents, tout à fait magnifique.
Bien que le lecteur sache par avance que le roman ne pourra se terminer que par un drame, l'auteur sait apporter un certain apaisement, même dans les dernières pages et je reconnais avoir été agréablement surprise et touchée par cette lecture.
Enfin, j'ai aimé le titre qui s'explique au fil des pages... je ne vous dirai rien de plus car je préfère ménager le suspense.
N'hésitez pas à aller lire les avis de Eve, ICI et de Brigitte ICI.
S'il existe un paradis, un lieu, tout là-haut, où reposent les morts après cette vie sur Terre, alors j'en fais la promesse solennelle, je m'arrangerai pour veiller sur elle, pour ne jamais vraiment l'abandonner.