Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Peu importe qui nous sommes et où nous vivons, tout au fond, nous nous sentons tous incomplets. C'est comme avoir perdu quelque chose et éprouver la nécessité de le retrouver. Quel est ce "quelque chose" ? La plupart d'entre nous ne le découvriront jamais. Et parmi ceux qui y parviennent, plus rares encore sont ceux qui partent à sa quête.
Bienheureuse et riche est votre vie, pleine et complète _à ce que vous croyez. Jusqu'à ce que quelqu'un arrive et vous fasse comprendre ce que vous avez raté tout ce temps. Tel un miroir qui reflète plus ce qui manque que ce qui est là...
Voilà un roman polyphonique qui nous fait entrer dans l'univers du soufisme et donne envie d'en savoir plus sur cette branche spirituelle peu connue de l'islam.
Ella Rubinstein a tout pour être heureuse en apparence. Une famille aimante, un foyer et une jolie maison dans le Massachusetts, pas de soucis matériels et donc une vie confortable, mais elle ne se sent pas heureuse pour autant. Maintenant qu'elle a quarante ans, elle se demande si elle n'est pas passée à côté de ses rêves. Son mari est dentiste, a une bonne situation et la famille ne manque de rien. Le seul problème est que son mari la trompe souvent sans se cacher ce qui est très humiliant pour elle. Cependant, elle ne désire pas en parler avec lui. Elle a choisi de se consacrer à son foyer, à la cuisine qu'elle exerce comme un art, et pour laquelle elle prend encore des cours, et à ses trois enfants qu'elle adore.
Alors qu'elle recherchait du travail depuis longtemps, elle finit par être intégrée en tant que lectrice, dans une équipe éditoriale. Elle reçoit un premier manuscrit intitulé, "Doux blasphème", d'un certain A.Z. Zhara, un parfait inconnu pour tous. Dès les premières lignes, elle a l'impression que l'auteur s'adresse à elle. C'est un livre passionnant qui va être pour elle un véritable révélateur et l'inciter à changer sa vie.
L'auteur y retrace la rencontre, au XIIe siècle, entre Rûmi, le futur célèbre poète mystique (voir sur Wikipedia ICI) et un derviche errant soufi, Shams de Tabriz, qui se déplace de ville en ville pour porter son message d'amour universel et de tolérance et n'hésite pas à se rebeller pour être entendu.
Au fur et à mesure de l'avancée dans cette lecture, Ella est profondément troublée par son contenu. Elle décide donc d'écrire à l'auteur pour faire plus ample connaissance et lui poser quelques questions sur son manuscrit. Tous deux se mettent à correspondre par mail de plus en plus souvent...jusqu'à désirer se rencontrer.
En parallèle de cette histoire d'amour moderne et actuelle qui bien qu'au départ assez improbable et même peu crédible pour moi, changera la vie d'Ella, le roman nous raconte l'histoire qui a unit Rûmi et Shams de Tabriz dans le passé, une découverte totale pour moi.
J'ai lu ces passages comme si je lisais un conte oriental poétique et dépaysant, car cette partie-là du livre nous ouvre des horizons nouveaux, nous fait voyager en nous permettant de pénétrer dans l'ambiance d'une ville orientale turque au XIIe-XIIIe siècle, Konya. Avec ses personnages hauts en couleurs, ses seigneurs et ses exclus, ses personnages superbement vivants, le lecteur est transporté dans un monde nouveau empreint de spiritualité...
Si tu veux changer la manière dont les autres te traitent, tu dois d'abord changer la manière dont tu te traites. Tant que tu n'apprends pas à t'aimer, pleinement et sincèrement, tu ne pourras jamais être aimée.
Ma bouche crache des vers, constamment, involontairement et, à les écouter, on pourrait conclure que je deviens poète, en effet. Le Sultan de la Langue !
Mais en vérité, pour autant que je peux le dire, ces poèmes ne m'appartiennent pas. Je ne suis que le véhicule des lettres qui les forment et qui sont placées dans ma bouche. Comme un crayon qui note les mots qu'on lui ordonne d'inscrire, ou une flûte qui joue les notes qu'on souffle en elle, je ne fais que jouer mon rôle d'intermédiaire.
L'histoire d'Ella, proche d'une romance, ne nous apprend rien de nouveau sur les relations humaines. Pourtant, en tant que femme, je reconnais que suivre son évolution psychologique m'a touchée. C'est tout à fait intéressant de voir les changements qui s'opèrent en elle, de découvrir son renoncement au fur et à mesure que sa liaison virtuelle et spirituelle au départ devient plus réelle avec Aziz. Ella en effet se détache peu à peu de sa propre vie, des biens matériels qui jusque-là étaient importants pour elle, mais aussi des problèmes de son couple ou de ceux liés à ses enfants, qu'elle aime toujours et qu'elle comprendra de mieux en mieux d'ailleurs au fur et à mesure qu'elle-même découvrira l'amour.
Pour ma part, je savais peu de chose sur le soufisme, même si je connaissais la danse des derviches tourneurs et certains principes de ce que je considère davantage comme une quête spirituelle, qu'une religion.
J'ai aimé plonger dans cette lecture, marcher dans les pas de Shams, connaître les "règles" de vie qu'il a établies, pas forcément faciles à appliquer au quotidien cependant, mais qui nous font réfléchir en profondeur sur notre relation aux autres, nous parlent d'amour, de tolérance, de lâcher prise, d'humanité et nous invitent à vivre sans porter aucun jugement sur les autres et en les acceptant tels qu'ils sont même si nous ne recevons pas l'amour espéré en retour, ce qui n'est pas facile, il faut bien le reconnaître.
Le roman est divisé en chapitres courts et alterne présent et passé mais à aucun moment le lecteur ne se perd car chaque tête de chapitre nous indique précisément qui parle et où nous nous trouvons.
Je tiens à préciser aussi que ce roman n'est pas un livre religieux même si on y parle de Dieu, de l'amour universel et d'islam. En tant que non croyante, cela n'a aucunement perturbé ma lecture. L'histoire actuelle n'apporte pas grand chose au roman si ce n'est qu'elle permet d'entrer en douceur dans les pensées et les croyances soufis...et sans doute aussi de les rendre plus accessibles aux lecteurs, de leur faire découvrir l'islam, par cette branche minoritaire qu'est le soufisme.
Ce roman nous rappelle aussi qu'islam rime aussi avec douceur de vivre, tolérance et ouverture d'esprit, ce que l'actualité d'aujourd'hui aurait tendance à nous faire oublier.
Il nous fait aussi réfléchir sur le fait qu'une "règle" sortie de son contexte, peut être interprétée de différentes manières, selon la sensibilité de chacun, et donc, finir par être appliquée parfois à l'opposé de ce que les grands maîtres spirituels avaient préconisé. Il en est de même pour toutes les religions.
Enfin il faut noter que la place des femmes dans le roman est importante. Elles sont fortes et c'est par elles que l'évolution des idées va peu à peu prendre place.
Une belle découverte à faire !
Ce monde est plein de gens obsédés par la richesse, la reconnaissance et le pouvoir. Plus ils gagnent de signes de réussite, plus ils semblent avoir besoin de davantage. Rapaces et envieux, ils font des possessions matérielles leur "qibla", regardant toujours dans cette même direction, inconscients de devenir les serviteurs des choses qu'ils convoitent...
Stupéfaite, elle comprit soudain que c'était exactement les termes qu'elle avait employés en parlant à sa fille, dans la cuisine, plus tôt ce jour-là. Elle resta un moment immobile, frissonnant à l'idée de quelque force mystérieuse dans l'univers, à moins que cet auteur, qui qu'il soit, ne pût l'espionner. Peut-être avait-il écrit son livre en sachant d'avance qui allait le lire en premier...