Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Comme dans un miroir, je me suis vue en lui. Celle que j'étais. La Valentine qui avançait en posant avec fermeté le pied sur le sol, cette gamine qui ne croyait pas plus aux contes de fées qu'aux princes charmants, cette ado qui voulait découvrir et conquérir le monde, cette graine de femme affirmée qui ne s'envisageait que dans une relation de couple égalitaire.
Quel chemin ai-je donc pu prendre pour me déporter si loin de la route que je m'étais tracée ?
J'ai rapidement appris à mes dépens que le premier pardon était souvent une erreur. Et que le deuxième signait un arrêt de mort à petit feu. Mais l'amour rend aveugle. Il force l'espoir. Et face à l'indicible, on commence par se mentir à soi, avant de mentir aux autres. Par honte. Par peur. Par désespoir.
Je me terre, et je m’enterre. Ma seule évasion, encore et toujours, ce sont les livres. Leurs héros supplantent mes malheurs, leurs fantômes m’habitent avec persistance une fois l’histoire terminée. Ils restent en moi et je m’accroche à leur courage, à leur destinée, à leurs pensées qu’il m’arrive de faire miennes pour me donner l’illusion d’être ce qu’ils sont et non plus ce que je suis moi. Les personnages sont devenus mes seuls amis.
Voilà un livre écrit par un auteur que je n'avais jamais lu, mais dont j'avais beaucoup entendu parler non seulement dans la blogosphère, mais aussi dans les médias car conseillé comme lecture d'été. Assez éloigné de ce que je lis habituellement, il a été pour moi une véritable surprise bien que le sujet soit très grave et nous invite à nous poser beaucoup de questions. Décidément même en vacances, je tombe toujours sur des livres émouvants, des sujets sensibles...il faut dire aussi que je ne lis jamais les 4ème de couverture !
Valentine Ravier habite dans une petite résidence avec Daniel, son mari et son jeune fils de 6 ans, Nathan. Elle ne travaille qu'à mi-temps mais comme elle aime particulièrement les livres, elle se plait dans le rayon librairie de la Grande Surface de sa ville.
Mais sous son sourire avenant, elle cache une réalité bien triste. Elle est victime de violences conjugales. Son mari la brutalise sous n'importe quel prétexte et l'éloigne du monde. Il a posé peu à peu différents interdits, même celui de sortir promener avec Nathan, la surveille de près, et explose pour un oui pour un non quand il suspecte qu'elle a enfreint les règles imposées.
La lecture est pour elle un de ses rares exutoires. Elle a également décidé depuis peu d'écrire dans un journal ses ressentis et elle cache ce cahier dans le coffre à jouets de Nathan, un endroit où son mari ne peut aller le chercher.
Son fils est son seul trésor, c'est un petit garçon intelligent, gentil et protecteur, qui comprend tout de la situation et fait tout ce qu'il peut pour ne pas attiser les colères de son père : il sait que sinon celui-ci s'en prendra à sa maman.
Mais Valentine vit dans la peur. L'angoisse au ventre, elle attend avec anxiété l'heure où son mari va rentrer à la maison, tellement au moindre un faux pas, tout peut basculer...et recommencer.
Un jour dans l'appartement d'en face un couple âgé s'installe. Suzette est plus âgée que Valentine, mais devient très vite son amie. Pour Valentine qui n'en a jamais eu et qui n'a pas connu sa mère, être prise ainsi en affection est tout simplement bouleversant. Leur vie s'améliore peu à peu car Valentine et Nathan vont partager des fous rires autour des petits gâteries et des goûters concoctés par Suzette. Nathan qui ne connait pas ses grands-parents s'attache énormément à Guy.
Peu à peu Suzette va comprendre que Valentine n'est pas heureuse et pour l'amener à lui faire des confidences, elle va elle-même dévoiler une partie de sa vie...
La réaction de Valentine était habituelle. Venir frapper à cette porte et se confier comme elle venait de le faire était un premier pas immense. Ce qui comptait était de garder le contact avec elle pour les accompagner au mieux, elle et son enfant.
Je connais l'origine de son malaise.
Elle sait.
Et elle sait que je sais qu'elle sait.
...
Je n'en ai aucune idée. Mais force est de constater qu'elle craint la contagiosité de tout "ça".
Elle observa avec gratitude son fils se dépenser sans compter. Heureux, il courait d'un arbre à l'autre, découvrait, sentait, touchait les feuilles, mousses et écorces dont Guy lui révélait le nom, tout en lui racontant de petites anecdotes sur la vie secrète des hôtes des forêts.
Suzette également observait Nathan. La timidité et la gentillesse de ce petit bonhomme la touchaient. Mais l'inquiétude qui flottait dans ses yeux la peinait.
Dans ce roman, le lecteur sent tout de suite que l'auteur s'est vraiment documenté en profondeur avant d'écrire l'histoire de Valentine, et qu'elle a été touchée par les témoignages qu'elle a découverts. La réalité est terrible et le roman ne cache rien des violences conjugales, de l'enfermement psychologique pour les victimes, du chantage de l'homme jaloux, de son emprise sur sa compagne, qui va elle par contre, culpabiliser et penser que tout est de sa faute, qu'elle ne vaut pas la peine d'être aimée tout en éprouvant de la honte, un sentiment qui l'empêche d'accepter l'aide d'autrui.
Le ton sonne juste, les ressentis sont réalistes et la violence hélas aussi, certaines scènes étant quasi insoutenables. Le sujet est abordé en douceur avec finesse et le lecteur est le premier surpris quand tout dérape la première fois, lui prouvant que tout le monde peut se tromper sur les apparences, croire ce qu'il voit et non se qu'il devine derrière les sourires, la façade, la vie quotidienne.
Valentine, et encore davantage son petit Nathan, sont des personnages attachants. Nathan fait preuve d'une incroyable maturité pour son âge. Il est tétanisé en présence de son père. Il voit sa mère masquer avec du fond de teint ses bleus, et nouer un foulard autour de son coup et même s'il se cache au fond du lit, il vit dans la peur...et devine tout, même si sa mère fait tout pour le rassurer.
C'est pour lui que Valentine va sortir de son enfermement et de son sentiment d'impuissance, pour ne plus voir son regard triste et apeuré, pour le voir sourire...et le sentir léger comme il est en présence de Guy.
J'ai aimé aussi Suzette et ses conseils avisés, même si je trouve que certaines choses la concernant, dévoilés à la fin, sont un peu cousues de fil blanc, l'histoire se tient.
Même si nous croyons tout savoir sur le sujet nous apprenons encore en lisant ce roman. L'auteur éveille en nous des images impossibles à effacer tout en nous montrant sans fioritures, la réalité de la vie d'une femme battue, anéantie par la violence et la jalousie de son conjoint. Elle nous fait entrer peu à peu dans le piège de la culpabilité, de la peur, de la dépréciation de soi. C'est très réaliste et cela ne peut que nous toucher en plein cœur.
Quand on sait que cela arrive dans tous les milieux, quand on connait des personnes de notre entourage qui ont vécu cette violence, on ne peut que se révolter qu'autour de Valentine et de Nathan il y ait tant d'indifférence, que certains voisins mettent la télé pour ne pas entendre et avoir à intervenir même pour appeler la police.
A noter aussi, car ce n'est pas fréquent... que la situation soit décrite du point de vue des enfants, de leurs peurs, et de l'impact qu'une telle violence peut avoir sur eux...et c'est aussi ce que j'ai trouvé bouleversant dans ce roman qui se lit d'une traite tant on veut savoir ce qui va advenir de cet adorable petit garçon et de sa maman, Valentine, savoir si elle va s'en sortir, avoir le courage d'aller frapper à la porte de cette association dont lui a parlé Suzette et de demander de l'aide pour préparer son départ.
Je trouve dommage que l'édition de poche, sur sa couverture, incite davantage le public féminin à ouvrir ce roman car les hommes devraient aussi se sentir concernés par ces problèmes bien entendu. D'ailleurs dans le roman le frère de Daniel qui est policier vient s'excuser auprès de Valentine, de n'avoir rien vu, ni rien compris.
Ce roman a obtenu le Grand Prix des Lecteurs Pocket / Littérature française en 2022.
Il est vrai que nous avons naturellement tendance à croire que les types qui battent leur femme sont des psychopathes, des alcooliques ou que les violences conjugales ne s'exercent que dans les milieux défavorisés...Or nous savons maintenant que ceux qui cognent sont des hommes généralement bien insérés dans la société. Qu'ils peuvent aussi être cadres supérieurs. Et qu'ils jouissent souvent d'une belle respectabilité.