Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
La légende familiale veut que le camélia qui se dresse à l'entrée de la papeterie Tsubaki soit une bouture de celui du sanctuaire. L'Aînée, ou celle qui l'avait précédée, avait rapporté une branche cassée par un typhon qu'elle avait plantée près de l'entrée, à tout hasard ; la branche avait pris racine et poussé.
Après avoir voyagé à l'étranger, Hatoko (que l'on surnommait Poppo quand elle était enfant) revient à Kamakura, sa ville natale, car sa grand-mère qui l'a élevée, vient de mourir. A vingt ans à peine, elle reçoit en héritage la petite papeterie familiale tenue par la famille Anemiya depuis des générations. D'après ce que lui avait raconté sa grand-mère, les Anemiya formaient une lignée d'écrivains calligraphes qui remonterait au XVIIe siècle. C'est donc normal qu'elle prenne la suite. Le savoir-faire familial ne doit pas se perdre et elle compte bien, elle-aussi, faire ses premiers pas comme écrivain public.
Hatoko tout en s'installant dans la petite maison qui jouxte la papeterie, va devoir faire ses preuves, car très vite les clients affluent, sachant que la papeterie est de nouveau ouverte.
Elle doit ainsi écrire une lettre de condoléances pour un singe disparu, une lettre de rupture, une pour annoncer un divorce à tous ceux qui étaient présents au mariage, une lettre d'amour, et bien d'autres car son rôle est de répondre à la demande sans poser aucune question, en dehors de celles qui sont nécessaires pour ajouter du contenu, et enrober les demandes.
Son rôle est aussi de pratiquer certaines coutumes pour les autres, comme l'adieu aux lettres qui consiste à se débarrasser en les brûlant des courriers encombrants que les personnes n'arrivent pas à se décider à jeter, bien entendu après avoir "rendu grâce" aux lettres.
Tout cela elle sait le faire !
L'aînée, comme elle surnommait sa grand-mère, était une femme sévère et exigeante. Elle lui a tout appris de l'art de l'écriture, des différents papiers, timbres, enveloppes ou plumes à utiliser selon le type de lettres ou même le destinataire. Ce faisant, en écrivant pour les autres, Hatoko va peu à peu s'interroger sur sa propre vie, sur l'enseignement reçu de sa grand-mère, sur son éducation et aussi sur sa mère qu'elle n'a jamais connue.
Hatoko s'en est beaucoup voulu de ne pas être revenue avant la disparition de sa grand-mère, de s'être révoltée quand, devenue adolescente, elle voulait tout simplement vivre comme ses camarades de classe au lieu de passer des heures et des heures à apprendre la calligraphie. En effet, depuis ses 6 ans, et selon les propres règles de sa grand-mère, elle a du passer tout son temps libre en dehors de l'école, à écrire. Elle s'en veut aussi d'être partie si loin et de ne jamais lui avoir dit à quel point elle l'aimait, de ne jamais lui avoir écrit une seule lettre, et de ne pas avoir pu lui dire tout ce qu'elle représentait pour elle.
Elle comprend à présent que sa grand-mère cachait derrière sa froideur apparente, beaucoup d'amour.
La petite papeterie s'anime, Hatoko revoit des camarades de classes, fait connaissance avec le Baron, devient l'amie de sa voisine, Madame Barbara, et de la petite Q P, âgée de 5 ans qui comme elle n'a plus sa mère.
En aidant les autres, en leur permettant d'écrire ce qu'ils n'arrivent pas à dire de vive voix, Hatoko rend le monde meilleur à sa façon, et grâce à elle, à son talent d'écrivain mais aussi à son intelligence et à son écoute, autour de la papeterie, se tisse tout un réseau d'amitié, et de rencontres emplies de charme.
Alors que j'y arrivais facilement quand l'Aînée soutenait ma main, toute seule, le trait s'échappait sans cesse, il dérapait à droit ou à gauche, devenait fin comme un ver de terre ou épais comme un serpent, grossissait parfois jusqu'à se transformer en un crocodile au ventre plein, il n'avait jamais la même largeur...
Après tout je n'étais qu'une petite fille en cours préparatoire.
Ce message de sympathie, je l'ai rédigé avec une encre beaucoup plus pâle que d'habitude.
Délayer l'encre, c'est le signe d'une grande tristesse : les larmes tombées sur la pierre à encre en ont éclairci la couleur.
Si vous aimez les livres d'action, passez votre chemin, ce livre n'est pas pour vous ! C'est en effet un livre contemplatif, apaisant et très poétique. La première partie est tout de même un peu "technique" mais si vous êtes curieux de nature, et que l'art de la calligraphie vous intéresse, vous ne la trouverez pas ennuyeuse pour autant. Il ne se passe rien en apparence, en dehors de la vie quotidienne, des rencontres, des balades dans la ville.
Le lecteur suit donc le quotidien d'Hatoko durant toute une année et au fil des saisons. Le récit commence durant l'été et se termine au printemps suivant quand les cerisiers sont en fleurs.
Hatoko est un personnage tout en discrétion et pudeur. Elle vit la plupart du temps seule et ne semble pas en souffrir. Elle passe beaucoup de temps à s'appliquer à remplir sa mission avec délicatesse et précision et elle est heureuse tout simplement du bonheur des autres. Donner aux autres en écrivant à leur place des lettres difficiles ou que ses clients ne savent pas tourner tout simplement, lui permet de vivre dans l'instant présent ce que peu de gens de nos jours savent faire. Elle prend la vie comme elle vient, accepte ce qui lui est offert mais tout en se consacrant aux autres et en nous livrant son ressenti, ses inquiétudes du moment, mais aussi ses réflexions. Elle se penche sur son propre passé et analyse avec tendresse ce que son aînée lui a laissé en héritage.
Voilà donc une belle leçon de vie pour nous les occidentaux qui passons notre temps à courir vers je ne sais où, pour posséder je ne sais quoi !
La petite ville de Kamakura, avec ses temples, sa voie ferrée, ses restaurants et son sentier de randonnée, est un véritable havre de paix où il fait bon vivre. Vous vous perdrez peut-être comme moi dans les ruelles bien qu'un plan précis vous soit proposé au début du roman, et vous vous surprendrez à chercher votre chemin en vous y référant fréquemment comme si vous étiez vous-même en train de visiter la ville ! Vous marcherez à ses côtés pour faire le circuit des sept divinités du bonheur. Et que dire de plus quand le printemps arrive et que les cerisiers sont en fleurs...
La morale de l'histoire est intéressante : après s'être révoltée, puis tourmentée, Hatoko va connaître le bonheur, simple et facilement accessible, en perpétuant tout simplement ce que ses ancêtres ont fait avant elle et en s'ouvrant peu à peu aux autres.
C'est un roman qui fait du bien, à découvrir absolument si vous aimez le Japon et l'ambiance orientale.
L'art peut sauver, j'en faisais l'expérience dans ma chair Pour la première fois, j'éprouvais de la gratitude pour l'Aînée. Mais il était trop tard pour lui dire merci.