Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Je m'appelle Fatima.
Je porte le nom d'un personnages symbolique en islam.
Un nom auquel il faut rendre honneur.
Un nom que j'ai déshonoré.
Je dis mon amour tout bas, les yeux remplis de larmes, la voix tremblante, le cœur lourd. Je jure de ne plus recommencer, d'être à la hauteur, d'alimenter ma foi, de cultiver ma croyance et mon adoration.
Je jure sans promettre.
Pourtant, il y a cette voix derrière, qui prend toute la place.
C'est comme si c'était une partie de moi, non, quelque chose de plus fort, de plus grand, mon double. Le double qu'on ne peut pas faire taire...
Voici un roman-témoignage dont je voulais vous parler depuis longtemps et que beaucoup d'entre vous ont peut-être déjà lu.
Nous faisons la connaissance de Fatima, la petite dernière d'une famille venue d'Algérie. Elle est française car née en France. Sa famille est musulmane et pratiquante, et elle vit à Clichy, en banlieue.
Voilà pour le décor.
Élève douée pour les études, la jeune Fatima devient rebelle à l'adolescence, à la grande déception de sa famille et de ses enseignants qui croyaient en elle.
Un psychologue n'aurait aucun mal à comprendre pourquoi, mais elle, malgré sa thérapie, ne se livre pas et se referme de plus en plus. Elle est tiraillée entre sa culture, ses croyances religieuses, son éducation et son désir de vivre selon ses envies, dans la société qui est la nôtre. Du coup, depuis qu'elle est toute petite, elle ne trouve pas sa place. En plus, sa famille désirait ardemment un garçon, veut-elle par son comportement inconsciemment le remplacer ?
Un jour, elle rencontre Nina dont elle tombe immédiatement amoureuse. C'est le début d'une révélation, son homosexualité... qui va peu à peu, changer sa vie, et lui permettre de comprendre le pourquoi de son mal-être.
Au fil des chapitres, le lecteur entre dans son intimité, apprend à mieux connaître cette jeune femme instable, révoltée, perturbée, mais si fragile, si sincère et tellement attachante. Elle est terriblement seule, en mal d'amour et de reconnaissance.
Nous, les lecteurs, ne pouvons que la remercier de nous offrir cette confession, touchante et sincère et parfois, quasi désespérée.
Je me sens obligée de jouer à la justicière, de défendre les autres, de parler à leur place, de porter leurs paroles, de les rassurer, de les sauver.
Je n'ai sauvé personne, ni Nina, ni ma mère.
Ni même ma propre personne.
L'auteur raconte ici sa vie, telle qu'elle l'a vécue jusqu'à présent (et même au-delà car elle est plus jeune que l'héroïne de son "roman donc se projette vers l'avenir). Pour elle, l'écriture est devenue thérapie.
Sans jamais porter de jugement sur sa famille, ni sur la religion qui est la sienne et qu'elle pratique toujours, elle nous montre à quel point aller contre, est pour elle une véritable épreuve au quotidien, car elle est totalement inadaptée à la vie qui l'entoure et est terrifiée à l'idée de devenir elle-même. Elle souligne avec beaucoup de réalisme, au fil du récit, ses propres contradictions.
Le livre aborde donc le thème de l'homosexualité féminine, avec beaucoup de pudeur et de finesse, ce qui permet au lecteur de mieux comprendre, sans l'excuser pour autant, l'homophobie existante dans cette communauté religieuse.
Elle nous parle de son enfance, de sa famille et aussi beaucoup de sa période rebelle, souvent violente verbalement envers ses enseignants, mais aussi de sa maladie chronique (l'asthme) une maladie handicapante qui "étouffe" littéralement celui qui la vit. Elle nous décrit sa joie lors de vacances en Algérie, là encore elle voudrait rester auprès de sa famille, tout en songeant qu'elle ne reviendra jamais. Elle va chercher des conseils auprès des imams, sans pour autant se dévoiler totalement... parlant de sa vie comme de celle d'une amie.
Le style est simple et sans fioriture, mais percutant. L'emploi du "je" facilite l'entrée dans la confidence. Chaque chapitre commence par les mêmes formules : "Je m'appelle Fatima" ou bien "Je m'appelle Fatima Daas". Au début, c'est surprenant pour le lecteur, mais ensuite bien entendu, le déroulé de l'histoire est différent, et apporte chaque fois une nouvelle pierre à l'édifice, dans un ordre non linéaire choisi par l'auteur.
Personnellement au début du livre, j'aurai aimé qu'elle approfondisse certains passages, et que l'ensemble soit moins brouillon, et surtout moins répétitif, mais je me suis habituée à son style au fil de ma lecture, et je n'y ai plus fait du tout attention par la suite.
Merci à elle d'avoir eu le courage de nous raconter sa vie, avec autant d'authenticité et de sincérité. Cette quête d'identité a été douloureuse dans le contexte qui est le sien. Son récit nous permet de vraiment comprendre à quel point cela a été difficile pour elle de ne pas culpabiliser devant une telle situation, et de s'accepter comme elle était, de trouver sa place dans notre société, tout en refusant de choisir entre l'islam, ses croyances et sa pratique, sa famille et sa sexualité.
En l'écrivant, l'auteur dit qu'elle a recherché une certaine musicalité dans son texte qui peut donc aussi se lire comme on le ferait d'un long poème en prose, style slam, ce qui pourra dérouter certains lecteurs.
Ce livre a obtenu le Prix des Inrockuptibles en 2020.
Vous pouvez aller lire l'avis d'Alex, ICI, celui d'Hélène ICI, et de Eve, Là !
Depuis le temps que j'ai lu leurs chroniques, il était urgent que je suive leur conseil de lecture, ce que je ne regrette pas d'avoir fait aujourd'hui.
Je crois que c'est terrible de dire "Je t'aime".
Je crois que c'est aussi terrible de ne pas le dire. De ne pas réussir, s'en empêcher.
L'amour, c'était tabou à la maison, les marques de tendresse, la sexualité aussi.
Je m'appelle Fatima.
Je regrette qu'on ne m'ait pas appris à aimer.