Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce court recueil de nouvelles de 91 pages à peine, se lit très vite. Il contient dix nouvelles écrites par l'auteur entre 1998 et 2021, pour certaines parues dans la revue "Étoiles d'encre", une revue trimestrielle parlant des femmes en Méditerranée, les autres nouvelles étant inédites.
L'auteur nous parle de l'Algérie, de son histoire et surtout des femmes qui y vivent ou y ont vécu, ainsi que de ceux qui les entourent, les pères, les frères, les enfants. Ils parlent toutes les langues, vivent en ville ou dans un petit village perdu du bled, sont nés ou pas sur cette terre, mais tous ont en commun de l'aimer.
Les femmes sont toutes différentes, rebelles ou dociles, parfois elles sont mères, elles veulent vivre et aimer, être libres et sont prêtes à tout pour cela.
Elle dit aussi qu'elle est arrivée seule, à dos de mulet, avec ses bagages et que la pluie d'orage, un déluge, a failli l'emporter au fond du ravin. Les hommes, les anciens l'ont accueillie, les femmes l'ont aidée dans sa maison d'école, vide, les enfants, garçons et filles l'ont mise à l'épreuve, elle a résisté, ils l'ont adoptée, elle a même appris la langue de la montagne. Peut-être ma grand-mère a récité les fables de la Fontaine ?
Pour elle, les tisserandes ont fait le plus beau tapis et un burnous d'homme, l'hiver il neige, elle dit qu'elle n'a pas eu froid, parce que dans ce village on l'aimait et elle aussi elle a aimé cette vie.
Pour ceux qui veulent en savoir plus, voici un bref aperçu des thèmes abordés dans ces dix nouvelles. Elles sont présentées dans le recueil dans l'ordre chronologique de leur écriture.
Mère et fils, nous parle de la guerre civile en Algérie, durant ce qu'on a appelé la décennie noire. La détresse des mères est terrible...et exprimée en deux pages à peine.
De l'autre côté de la mer, c'est loin, nous parle d'un père qui a ramené avec lui en Algérie son fils, né de son union avec une femme française. Sa nouvelle femme veut que l'enfant l'aime. Pourtant il n'est pas le sien, mais elle est une mère, donc solidaire de l'autre femme (de l'autre côté de la mer) à qui l'enfant a été enlevé. Le fils est malheureux, elle va tenir tête à son mari pour arriver à ses fins...
Le monologue de la prisonnière, nous est raconté par une visiteuse, ancienne institutrice. Le lecteur apprend pourquoi cette jeune fille se retrouve emprisonnée, car pour l'aider à se confier, elle lui a fourni du papier...et de quoi écrire.
Dans Mémoire de l'arbre, un arbre centenaire se souvient d'une toute jeune fille réfugiée dans ses branches... Il sait que, quoi il advienne, les femmes sont fortes et reviendront au village, pour continuer à y vivre, mais il aimerait tant pourvoir parler et raconter ce qu'il a vu.
Safia, tu es revenue, nous raconte l'histoire d'une petite orpheline, solitaire car aucune fille n'a le droit de jouer avec elle. Seuls les garçons l'acceptent dans leur groupe, mais la narratrice l'envie, car elle est libre, sans famille, et s'habille en garçon. Un jour, Safia quitte la petite maison et devient soldat puis là-bas en France, elle gagne sa vie grâce à sa jolie voix, en chantant dans les cabarets...un jour, elle revient au pays.
Elles font le boulevard. Qui sont ces jeunes filles insouciantes qui vivent dans la ville coloniale ? Elles s'amusent d'un rien en chantant le long du boulevard. Elles ne savent pas que demain, il leur faudra tout quitter comme le fils du colon aux yeux verts, né pourtant ici. Pour l'instant, l'Algérie c'est la France....
L'Orient instantané. Dans le bordel d'un quartier, les filles se préparent. Elles sont très jeunes. Une d'entre elles a été choisie par le français...
La Maison bleue est en ruine. Elle a été réquisitionnée par l'armée puis abandonnée participant ainsi aux légendes racontées au village par les anciens, presque tous des vieux pêcheurs. Mais voilà qu'elle reprend vie. Une riche propriétaire vient d'acheter le domaine...
Des fleurs blanches. Quelque part en France, elle avait tout pour être heureuse. Elle avait étudié, faisait la fierté de sa famille, portait un prénom qui laissait présumer qu'elle aurait une vie magnifique...mais le destin est en marche.
Augustin, l'enfant perdu de la Légion étrangère. C'est "l'histoire" d'Augustin, le frère aîné (ou demi-frère ?) d'Isabelle Eberhardt.
Il apprend l'arabe, l'espagnol, les jeux des garçons, le "sigle", pourquoi ce nom-là pour jouer aux roseaux taillés avec un petit couteau bien aiguisé ? Les osselets, les "pignols", des noyaux d'abricots, on les frotte sur une pierre et on siffle, le "carrico", une planche sur roulements à billes qui dévale en hurlant des pentes abruptes.
Ce qui est important dans ce recueil c'est la parole des femmes, ce qui est dit ou pas, de leurs vies.
L'ambiance est très particulière. Le ton est juste, à la fois nostalgique et douloureux, ou bien poétique, comme le titre d'ailleurs, et parfois drôle et plus léger. Ainsi, parfois, vous vous promènerez le long des boulevards, sous les oliviers ou dans les vignes, admirerez la couleur rouge des fleurs de grenadiers, sentirez l'odeur du bougainvillier...
Les textes sont courts (parfois 2 à 3 pages à peine) mais percutants. Les langues, les nationalités se mêlent pour ne former plus qu'une seule voix devenant au fil des pages, intemporelle.
L'auteur nous livre ici de magnifiques portraits de femmes, volontaires, protectrices, amoureuses, fortes ou farouches, mais libres.
Les nouvelles parlent toutes de ce besoin vital d'aimer que ce soit entre natifs de l'Algérie ou pas, que l'on soit algérien ou colon. Mais en filigrane, la guerre d'Algérie est passée par là. Il ne reste que la douleur de la séparation, de l'exil, de la perte de l'être aimé, et de cette terre qui ne sait plus à qui elle appartient désormais.
Au cœur du texte, les références littéraires ne manquent pas.
Le seul bémol est que peut-être ces beaux textes ne parleront pas suffisamment aux jeunes lecteurs qui ne connaissent rien, ou trop peu, de l'histoire de ce pays. L'histoire de la colonisation est abordée, la Guerre d'Algérie bien entendu, mais aussi la guerre civile des années 90.
Désormais, tous ceux qui ont aimé l'Algérie, qu'ils soient nés en France ou au pays, ne se sentiront plus jamais nulle part chez eux. Qu'ils soient nés d'un côté ou de l'autre de la mer, sont-ils condamnés à être pour toujours... des étrangers ?
La préface est de Sabrinelle Bedrane. Elle est intéressante car elle permet de mieux comprendre certaines nouvelles sur le plan symbolique, de se situer dans le temps ou dans l'Histoire, et par rapport à la vie de l'auteur. Les superbes aquarelles qui illustrent la couverture, ou l'intérieur du recueil, sont de Sebastien Pignon.
J'ai lu avec grand plaisir ce recueil, reçu lors de la dernière masse Critique de Babelio. Il me donne envie de poursuivre ma découverte de l'auteur. Merci à l'éditeur et à Babelio pour leur confiance.