Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Sur le manteau de la cheminée, de part et d'autres des armoiries de la famille Shuttleworth, deux figurines en plâtre, qui devaient faire la moitié de ma taille, montaient la garde : Prudence et Justice. Parfois, j'imaginais qu'elles étaient mes amies. Le dos droit et la raideur de ma mère devant l'âtre la plaçaient exactement entre les deux. Elle aurait pu parfaitement passer pour la troisième sœur : Calamité.
Je suis arrivée peu après la tombée de la nuit. Une nuit sans lune, cachée par les nuages, de sorte que tout était plongé dans le noir. J'ai néanmoins réussi à discerner la forme imposante du manoir qui se détachait devant moi, et la lueur de la cheminée qui rougeoyait dans une pièce du rez-de-chaussée. Je m'étais juré de ne jamais revenir en ces lieux. Je ne voulais pas revoir la chambre que je partageais avec ma mère. Je ne voulais pas revoir le salon dans lequel mon enfance avait pris fin le temps d'une brève absence de ma mère. Je ne voulais pas revoir la cage d'escalier qui craque, les hauts plafonds froids ou la cage vide dans laquelle j'avais retrouvé le cadavre de Samuel un matin d'hiver, après qu'on l'avait laissé trop près de la cheminée.
Nous sommes en 1612 dans le Comté de Lancaster (Lancashire aujourd'hui). Fleetwood Shuttleworth, une jeune châtelaine à peine âgée de 17 ans, attend pour la quatrième fois un enfant. Mais elle désespère de mener cette grossesse à terme et de donner un héritier à Richard, son mari, qu'elle aime sincèrement. En effet, lors de ses trois dernières grossesses, la délivrance est arrivée bien trop tôt, ne permettant pas à l'enfant de vivre. Elle est très angoissée car elle vient de découvrir une lettre dans les affaires de son époux qui lui fait douter de lui. En effet, dans ce courrier qu'elle n'aurait pas dû lire, le médecin évoque que cette nouvelle grossesse pourrait lui coûter la vie.
Alors qu'elle se balade seule dans les bois, comme elle aime le faire pour se détendre, elle fait la connaissance d'Alice Gray, une sage-femme de la région, guérisseuse de son état qui finit par accepter de l'aider et lui prescrit quelques herbes aux vertus médicinales. Fleetwood se sent très vite beaucoup mieux, ses nausées disparaissent et ses angoisses s'éloignent.
Mais un des amis de la famille, Roger Nowell, juge de paix de son état, aspirant malgré son âge déjà avancé à devenir un jour Sheriff, a mis en place dans la région une véritable chasse aux sorcières. Il a arrêté une partie de la famille Device, des femmes qui, d'après les témoignages, sont capables de jeter un sort ou d'amener des hommes vers une mort certaine. C'est Jennet, la plus jeune de la famille qui a trahi les siens en les dénonçant un à un et en racontant à Roger ce que finalement il désirait entendre. Et par un fait totalement dû au hasard, Alice s'est retrouvée en contact avec cette famille...elle va donc être inscrite elle-aussi sur la liste noire, arrêtée et accusée du meurtre d'une petite fille, celle de son ancien amant.
Fleetwood est bien décidée à tout faire pour empêcher son exécution, d'autant plus qu'elle s'est liée d'amitié avec la jeune femme et que sa grossesse arrive bientôt à son terme. Elle veut coûte que coûte voir naître son enfant et vivre. De plus, Alice lui a permis de découvrir certains secrets bien gardés par son mari et sa propre mère. Elle lui a donc ouvert les yeux, ce qui n'est pas rien, sur son sort de femme et la manière dont elle est considérée au sein de sa propre famille.
Alice me dévisageait d'un air inquiet. Le feu crépitait, et le couteau dépassait du morceau de fromage comme un poignard fiché dans un tronc d'arbre.
Je me suis penchée vers elle et, pour la première fois, mon ton s'est fait plus pressant. Le sentiment de désespoir qui m'étreignait depuis que je l'avais rencontrée, et qui n'avait cessé de croître depuis des mois, s'est brusquement épanché en supplications sincères.
- Je vous en prie. Dites-moi que vous allez m'aider.
Sans m'en rendre compte, j'avais agrippé les accoudoirs de mon fauteuil.
Il faut que vous me sauviez la vie, et avec elle une autre vie.
Voici un roman historique prenant et riche en rebondissement qui nous fait entrer dans l'intimité d'une famille anglaise aisée, au début du XVIIe siècle. Fleetwood n'a pas toujours eu une vie facile, car sa mère, veuve très tôt, a été obligée de la marier toute jeune une première fois, avant de rompre le mariage et de la donner à Richard, alors qu'elle n'avait que 13 ans. Il se trouve être un mari respectueux et aimant malgré les apparences. Fleetwood va cependant se sentir maintes fois trahie par lui, tout comme par sa propre mère qui la considère encore comme une enfant, car à cette époque on ne faisait guère cas de l'avis d'une femme, et c'était les intérêts de chacun qui primaient.
Le contexte de l'époque est bien rendu, les faits bien décrits, ce qui plonge immédiatement le lecteur dans l'ambiance. Il faut dire aussi, fait important, que les Sorcières de Pendle ont réellement existé et que l'auteur s'est donc inspiré, bien que tout à fait librement, de ces faits réels pour nous raconter cette histoire.
Tout démarre lorsque Alizon Device croise sur sa route un colporteur et que n'étant pas d'accord avec lui, elle lui jette un sort, le condamnant à avoir une attaque. Si elle avoue être responsable de son état, toutes les autres sorcières arrêtées, clamèrent toujours leur innocence, et le fait est que les accusations provenant le plus souvent d'une famille rivale, l'affaire fut plus compliquée que prévu.
Le procès de ces sorcières est le plus célèbre et le mieux documenté de l'histoire anglaise. Parmi toutes les sorcières arrêtées, une seule sera relâchée pour une raison inconnue encore aujourd'hui, dix autres exécutées par pendaison. Vous pouvez vous référer à l'article de Wikipedia (ICI) qui est plutôt intéressant à lire, mais après la lecture du roman de préférence, afin de ménager le suspense.
Dans le roman, le procès lui-même est presque survolé et donc les faits historiques peu approfondis, ce que j'ai trouvé dommage, mais le lecteur comprend vite que les juges font du zèle pour plaire au roi, Jacques Ier (fils de Marie Stuart et successeur d'Elisabeth Ier), et espérer ainsi une meilleure place, souvent plus proche de Londres.
C'est révoltant et édifiant à la fois, de découvrir le sort de ces jeunes femmes érudites qui connaissaient parfaitement les vertus des plantes médicinales, et se transmettaient ce savoir, souvent de mère en fille, mais étaient accusées de sorcellerie pour cela. Elles vivaient la plupart du temps de mendicité car n'avaient aucun autre moyen d'existence. J'aurais d'ailleurs aimé que le roman consacre davantage de pages à ces femmes dites sorcières. Je pense qu'elles ont été en leur temps des pionnières en ce qui concerne la médecine populaire et que beaucoup de nos ancêtres lointains leur doivent la vie.
D'un autre côté, dans les milieux aisés, le sort des femmes n'étaient guère plus enviable, quoi qu'en apparence plus facile. Fleetwood est là pour faire honneur à son mari et surtout se taire même quand il s'agit d'accueillir des amis. Il est de bon ton de rester à sa place de femme et de ne parler que toilettes, vertugadin et bijoux, choses futiles donc. Je doute que les jeunes châtelaines de l'époque aient pu avoir autant de liberté et de latitude dans leur vie quotidienne que la jeune Fleetwood de notre roman, mais c'est une pensée qui n'a pas entaché mon plaisir de lire, la lectrice que je suis ne demandant qu'à y croire.
C'est donc un roman historique léger, bien traduit, et facile à lire dont le côté historique, peu approfondi, pourra laisser sur leur faim les amateurs du genre. Mais j'ai eu du plaisir à le lire durant les vacances et je me suis attachée aux personnages en particulier à Fleetwood, tellement moderne pour l'époque ainsi qu'à Alice, mystérieuse, fuyante mais loyale.
Je remercie Babelio et les éditions Pocket pour l'envoi de ce roman, reçu dans le cadre d'une Masse Critique privilégiée.
De mon vivant, j'avais été un petit fantôme et bientôt je m'exilerais dans le néant. J'ai posé une main sur mon ventre, en me représentant ma mort. Elle viendrait sans tarder, mais sans la douceur de la lumière qui quitte le ciel. Ce serait une mort douloureuse, terrifiante et solitaire, sans une main fraiche sur mon front, ni un regard d'ambre calmement posé sur moi. A l'instant du procès, Alice mourrait, je mourrais moi aussi, fauchées l'une comme l'autre par la fatalité. J'ai fermé les paupières et pensé à mon enfant, et à quel point j'aurais voulu que nous vivions. Ma vie terrestre arrivait à son terme. La fin était proche.
Stacey Halls est journaliste. Née dans le comté de Lancashire, elle est depuis toujours fascinée par le funeste procès des sorcières de Pendle qui s'y est déroulé en 1612. Les Sorcières de Pendle est son premier roman
A noter aujourd'hui mardi 9 novembre Overblog nous informe qu'une opération de maintenance aura lieu sur les commentaires à partir de 10 heures et pendant 24 heures. Désolée pour ce contre-temps. N'insistez pas si, lorsque vous venez lire cet article, la fenêtre des commentaires ne fonctionne pas !
Merci de votre compréhension...