Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Quel lien m'ancre sur cette terre ? La peur de souffrir. Et l'image des yeux affolés de mon père lorsqu'il voit la voiture de police s'arrêter devant chez lui...
Comment avons-nous atteint cette sauvagerie ? Comment le souvenir de l'amour a-t-il pu s'éloigner de nous aussi complètement ? Les choses que nous avons dites, les choses que nous avons pensées. Mon pauvre Pat, mon adorable mari, mon garçon scintillant, mon héros. Et moi cruelle, si cruelle, je ne savais pas de quoi j'étais capable...
Melody Shee est enceinte lorsqu'elle commence à écrire son journal intime et à lui confier ses états d'âme. Son récit débute à sa douzième semaine de grossesse, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle a des idées noires.
Elle qui a aujourd'hui 33 ans, a étudié l'histoire et la littérature anglaise à l'université et obtenu son master de journalisme, se retrouve femme au foyer. Elle a fait tous les efforts possibles pour se faire connaître, n'a jamais réussi à trouver un emploi stable et bien entendu son mari, plutôt traditionnaliste, en a été fort satisfait. Jusqu'au jour où, des années après avoir mis une petite annonce pour donner des cours particuliers, le père de Martin Toppy , un homme célèbre parmi les gens du voyage car un chef respecté, est venu frapper à sa porte pour qu'elle apprenne à lire et à écrire à son fils, âgé déjà de 17 ans mais en échec scolaire.
Peu à peu, Mélody nous raconte comment elle en est venue à céder à ce jeune garçon, aux yeux si bleus...devenu malgré lui, le père de son bébé.
Elle nous livre peu à peu des détails sur sa vie de couple. Elle a été mariée trop jeune avec Pat, qui vient de la quitter en apprenant qu'elle attendait un enfant. Avec lui, elle a entretenu une relation que l'on peut qualifier de "toxique", car tous deux pendant des années se sont fait beaucoup de mal. Elle a fait de nombreuses fausses couches dans le passé ce qui a mis à mal leur couple et explique la réaction de son mari.
Elle retrace peu à peu tous les instants importants de sa vie, et en particulier ceux où elle a souffert durant son enfance avec une mère, sans nul doute dépressive, en tous les cas absente et enfermée dans sa chambre tout au long de la journée.
Elle raconte les souvenirs qui la hantent parce qu'elle continue à culpabiliser, comme par exemple, la relation qu'elle entretient avec son père, aimant et discret, ou bien encore, le suicide de son amie Breedie qu'elle avait délaissée et fait souffrir pour s'attirer les faveurs de Pat son mari. Elle repense à quel point son rôle a été négatif dans cette terrible histoire... tout cela parce qu'il était entourée d'une cour de filles, toutes amoureuses et qui ne voulaient pas, au départ, la laisser les rejoindre, sauf si elle sacrifiait son amitié et sa loyauté envers Breedie. Certes, elle n'avait que 16 ans, et à cet âge les amitiés comme les amours vont et viennent...mais elle ne se pardonne pas ce qui s'est passé ensuite et se juge responsable.
Alors qu'elle revient vers le camp où vivait Martin, et qu'elle apprend que lui et sa famille sont partis, elle fait la connaissance d'une toute jeune femme, Mary Crothery, mystérieuse et intuitive qui semble tout deviner d'elle. Elle a été rejetée par sa famille et par son mari, et vit toute seule dans sa propre caravane. Toutes deux vont se lier d'amitié...une amitié qui va devenir indispensable à Mélody qui ne pensait pas qu'elle pourrait un jour revivre des instants aussi forts à nouveau, comme quoi la vie peut parfois prendre un tournant inattendu.
Désormais son destin est bel et bien lié pour toujours aux gens du voyage, à ces trimardeurs si peu respectés, se déplaçant de ville en ville pour trouver du travail pour nourrir les leurs, et cela pour le meilleur et pour le pire...
Je n'avais jamais senti la main d'un autre homme sur ma joue, ni vu cette poignante lueur de désir dans d'autres yeux que les siens. Avec le temps, je crois que nous avons fusionné pour ne faire plus qu'un, et il est facile d'être cruel envers soi-même. C'est seulement maintenant que je peux me séparer de lui, maintenant que nous sommes séparés dans la vie.
C'est un livre à la fois terriblement triste et énormément prenant, avec des drames relatés avec émotion, et d'autres événements de la vie quotidienne qui le sont avec réalisme, parfois même teintés d'humour.
Le roman est bâti entièrement autour de la grossesse de Mélody, et chacun des chapitres se décline en suivant les semaines de la grossesse, jusqu'à la naissance et au final, terriblement émouvant, et que je n'avais, je l'avoue, pas vu venir du tout, bien qu'au cours de ma lecture, l'idée m'ait effleuré que la vie était décidément bien mal faite pour ces deux jeunes femmes, je ne vous dévoilerai rien.
C'est le premier roman que je lis de cet auteur, et j'avoue que j'avais hésité à l'emprunter à la médiathèque numérique, mais que je n'ai pas eu à le regretter tant j'ai eu du plaisir à découvrir sa plume, sa manière de suggérer plutôt que de décrire, de provoquer de l'émotion au moment où on ne s'y attend pas. Je suis étonnée même qu'un livre écrit par un homme puisse être à ce point capable de décrire les états d'âme de cette jeune femme et son ressenti durant sa grossesse.
Au début cependant, je l'ai trouvé trop triste et je me suis demandée si j'allais continuer ma lecture. Il faut dire aussi que le lecteur entre de plein fouet dans le désarroi de cette jeune femme qui se retrouve enceinte alors qu'elle n'a eu qu'une seule fois, une relation avec ce tout jeune homme. Elle se sent coupable pour tout ce qu'elle a fait dans sa vie. Elle est rongée par cette culpabilité et les regrets de ce qu'elle n'est pas arrivée à accomplir avec son mari. Elle culpabilise aussi de ne pas être à la hauteur avec son propre père et elle met du temps à lui apprendre qu'elle et son mari se sont séparés, et qu'elle est enceinte d'un inconnu. Il accepte tout, et j'ai trouvé son personnage particulièrement touchant et aimant, leur relation emplie de tendresse et de maladresse...l'image de cet homme âgé qui attend sa fille, posté derrière la fenêtre, m'a beaucoup émue.
L'Irlande, conservatrice et intolérante, croyante et "bien pensante", nous apparait comme responsable de toute cette violence qui transparait entre les différents membres des clans des gens du voyage, tenant à rester dignes et à venger les leurs de tout affront, mais aussi, dans la société irlandaise en général, qui masque les problèmes, mais n'en est pas moins violente.
J'ai beaucoup aimé ces deux beaux portraits de femmes...un auteur à découvrir et que je compte bien continuer à lire.
Toutes les traces que nous avons laissées disparaîtront, et tous les souvenirs de toutes les choses que nous avons faites mourront, et ce sera comme si nous n'avions jamais existé.