Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Voici un roman que j'avais dans ma bibliothèque personnelle depuis longtemps. Il m'avait été offert suite à l'achat de deux autres romans en 10/18.
Il était temps que je le lise d'autant plus que j'ai découvert durant l'année, du même auteur, le poignant "Apeirogon", présenté ICI.
Avec "Zoli", l'auteur nous plonge dans l'Histoire de l'Europe, de la Tchécoslovaquie des années 30, à aujourd'hui (en 2003, en fait) à Paris. Le narrateur nous la présente selon plusieurs points de vue, ce qui ne manque pas d'intérêt.
Mais avant tout, il nous fait entendre la voix du peuple tzigane, un peuple opprimé, victime de la barbarie nazi et que les gadjé (=les hommes non-tsiganes), sous prétexte de les protéger, ont forcé à renoncer à leur errance, pourtant ancrée dans les traditions et fondements même de leur vie.
Le roman débute par une scène choc d'une terrible cruauté (il y en aura d'autres). Nous sommes en Tchécoslovaquie dans les années 30. La milice fasciste du pays, les Hlinskas, forcent les tziganes à disposer leurs roulottes en cercle sur la glace d'un grand lac. Ils sont tous là, femmes, enfants, chevaux, jeunes et vieux... désormais prisonniers. Les Hlinkas allument des feux tout autour sur la berge et ils attendent : la température monte dans l'après-midi et la glace fond...
Seuls survivants du massacre et de leur communauté, Zoli Novotna (Marienka) et son grand-père étaient partis en forêt. Zoli n'a que 6 ans et vient de perdre tous ses proches. Son grand-père ne prend pas le temps de lui donner des explications : il fuit avec elle, allant de communauté en communauté. Lorsqu'ils s'installent finalement dans un nouveau clan, la petite Zoli a grandi et se fait enfin une amie, Conka, avec qui elle va partager de nombreux jeux.
Mais ce qu'elle aime par-dessus tout, c'est chanter, et écrire (ce qui est interdit). Sa voix et sa personnalité fascinent tous ceux qui croisent sa route. Zoli a découvert le pouvoir des mots et sait les utiliser...
Il est vrai que Zoli est devenue une jeune fille forte, au caractère façonné par son peuple, et ses souffrances, mais aussi par ce grand-père aimant qui a pris soin d'elle durant son enfance, un ancêtre incroyablement conservateur et moderne à la fois, qui lui a appris en cachette, tout en parcourant les routes, à lire et écrire, (lui-même a toujours un livre caché dans ses affaires, bravant ainsi l'interdit tzigane).
Il lui a appris aussi l'histoire de son peuple (que nous apprenons en même temps). Il lui a parlé aussi du présent, du communisme et de la révolte prolétarienne.
Un jour, ses poèmes et ses chansons, dans lesquels elle raconte l'histoire des siens, sont remarqués par le poète communiste Martin Stransky qui veut faire d'elle, après-guerre, un symbole, celui de la cause du peuple tzigane. Parler, en chansons ou à travers ses poèmes, des souffrances de son peuple, la propulse sur le devant de la scène, attire du public pour l'écouter.
Zoli qui sait qu'elle n'appartiendra jamais à ce milieu, et qui ne s'y sent pas à l'aise, elle qui aime avant tout sa vie dépouillée, dans laquelle elle puise ses forces et son inspiration, pense un temps que cela va pouvoir aider les siens. Elle se trompe.
Mais ce succès donne envie au poète de publier un recueil contenant ses poèmes. Il y renonce car c'est contraire à la tradition tzigane. Livrer au gadjé ses mots, c'est trahir son peuple, c'est trahir l'âme de son peuple.
En même temps, son peuple est trahi par les autorités qui, après avoir promis l'égalité des droits aux roms, leur imposent entre autre, d'abandonner leur roulotte, pour les "parquer" dans des immeubles, où ils vont perdre leur âme : c'est la Grande Halte.
Le jeune assistant de Martin Stransky, Stephen Swann, un anglais fou amoureux de Zoli, finira par la trahir en publiant en cachette ses textes.
Elle est alors bannie par les siens et doit repartir sur les routes, désormais seule, passer des frontières bien gardées, et poursuivre son rêve de regagner un jour peut-être...Paris.
Elle qui avait été adulée par le parti communiste, doit réapprendre à vivre, tout en reniant son passé et ceux qu'elle a croisés sur sa route. Elle est libre mais paiera cher cette liberté, car ses pas vont l'emmener bien loin des siens.
Il [Stephen Swann] lui avait suggéré de toujours se promener avec un livre, pour battre en brèche leurs préjugés. Si elle ne l'ouvrait pas, ils le remarqueraient de toute façon. Il n'en faudrait pas plus, disait-il. Qu'ils te voient lire d'abord, ensuite ils seront subjugués par ce que tu écriras.
Comme si les livres pouvaient arrêter les massacres. Comme s'ils pouvaient faire plus que les harpes ou les violons.
J'ai trouvé ce roman émouvant et très prenant, malgré quelques longueurs vers la fin.
Dès les premières pages, le lecteur veut suivre Zoli et savoir ce qui va advenir de sa vie. J'ai appris beaucoup de choses sur l'histoire des tziganes et ce qu'ils ont eu à subir sous le régime nazi, mais aussi de la part des communistes qui ont été, eux-aussi, capables du pire. J'ai appris certaines des traditions de leur peuple, même si j'en connaissais déjà une grande partie.
C'est un roman difficile à résumer, tant il y a d'événements et de détails. Le récit alterne époques et narrateurs, mais l'époque est bien précisée en début de chapitre, ce qui permet au lecteur de se repérer facilement.
Ce roman nous offre un très beau portait de femme : Zoli est en effet un personnage fascinant, parfois insaisissable, mais central dans le roman...d'où le titre. Elle porte en elle toute l'histoire de son peuple, mais nous donne à voir aussi les conditions de vie de ses consœurs. Elle-même sera mariée toute jeune à un homme aimant, mais plus âgé qu'elle qui par chance la respectera, ce qui n'est pas le cas de tous les hommes autour d'elle.
Elle incarne à elle seule, la liberté, la révolte, la richesse intérieure et le courage, et ressemble à cela à son peuple, un peuple fier et courageux, auquel elle restera attachée jusqu'à la fin de sa vie, même une fois très loin de lui.
Il faut savoir que l'auteur s'est inspiré, pour le personnage de Zoli, d'une poétesse ayant réellement existé : Bronislawa Wajs, surnommée Papusza (qui signifie "poupée en romani). Un film lui a été consacré en 2013. Peut-être l'avez vous vu ?
Ce roman est un très beau livre, même si certains passages sont très durs. Je le recommande à tous ceux qui veulent en savoir plus sur ce peuple persécuté depuis des décennies, sur leurs traditions et l'importance chez eux de la transmission qui, de génération en génération, a permis de garder ces coutumes intactes...tout cela dans la joie, le partage, les chants, les danses, les fêtes...
J'ai aimé le regard attentif et bienveillant de l'auteur qui nous expose, comme à son habitude, les faits tels qu'ils sont, sans nous demander de prendre partie, et sans porter un quelconque jugement sur les événements.
Parce qu'il faut parfois oublier si l'on choisit quand même de vivre.
Il y a des choses qu'on peut voir et entendre - encore aujourd'hui, longtemps après : les fosses qu'on creusait, la terre qui tremblait, les oiseaux qui ne volent plus au-dessus de Belsen, ce qui est arrivé à nos frères de Tchéquie, sœurs de Pologne, cousins de Hongrie, quand nous autres Slovaques avons survécu, bien qu'ils nous aient frappés, torturés, jetés en prison. Ils nous ont volé notre musique, nous ont bouclé en camp de travail...
Les moyeux étaient en orme. Les rayons, dans l'ensemble, en chêne. Les jantes se composaient de sections de frêne incurvées, chevillées les unes aux autres, cerclées de métal. Beaucoup étaient peintes, certaines couvertes d'entailles et de balafres, parfois rafistolées avec du fil de fer, ou voilées par l'humidié. D'autres étaient en parfait état depuis des décennies. On partit les chercher sur les rives des fleuves, au fin fond des forêts, dans les champs, les bordures des villages. On les tira le long d'immenses routes désertes, protégées par les arbres. Il y en eu des milliers...
Les gendarmes se relayaient par équipes pour entretenir les feux...
La Grande Halte était arrivée.
J’ai demandé à Enrico pourquoi il n’avait pas demandé si j’étais gitane. Il m’a demandé pourquoi je n’avais pas demandé s’il ne l’était pas. C’est peut-être la plus belle réponse qu’on m’ait jamais faite.