Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ainsi, je le répète, j'ai écrit "Indiana", et j'ai dû l'écrire ; j'ai cédé à un instinct puissant de plainte et de reproche que Dieu avait mis en moi, Dieu qui ne fait rien d'inutile, pas même les plus chétifs des êtres, et qui intervient dans les plus petites causes aussi bien que dans les grandes. Mais quoi ! celle que je défendais est-elle donc si petite ? C'est celle de la moitié du genre humain, c'est celle du genre humain tout entier ; car le malheur de la femme entraîne celui de l'homme, comme celui de l'esclave entraîne celui du maître, et j'ai cherché à le montrer dans "Indiana".
Je vous parle d'un temps déjà bien éloigné de nous, aujourd'hui que l'on ne compte plus par siècles, ni même par règnes, mais par ministères. Je vous parle de l'année Martignac, de cette époque de repos et de doute, jetée au milieu de notre ère politique, non comme un traité de paix, mais comme une convention d'armistice, de ces quinze mois du règne des doctrines qui influèrent si singulièrement sur les principes et sur les mœurs, et qui peut-être ont préparé l'étrange issue de notre dernière révolution.
Il y avait peut-être le sujet d'un tableau à la Rembrandt dans cette scène d'intérieur à demi éclairée par la flamme du foyer. Des lueurs blanches et fugitives inondaient par intervalles l'appartement et les figures, puis, passant au ton rouge de la braise, s'éteignaient par degrés...
Dans le manoir de Lagny (en Brie), Indiana est une toute jeune femme créole, mariée au colonel Delmare, plus âgé qu'elle, un industriel chanceux et riche, possédant de nombreuses entreprises florissantes. Il est autoritaire et brutal, et ne comprend pas les états d'âme de sa jeune épouse. Indiana s'ennuie terriblement, elle trouve sa vie morne. Elle ne peut y échapper que dans ses rêves.
De plus, native de l'île Bourbon, elle ne s'adapte que difficilement à sa nouvelle vie, et au climat qui règne autour de sa demeure, malgré le fait que son cousin, Sir Ralph, ait pu suivre le couple, afin de continuer à veiller sur elle, comme il l'a toujours fait depuis son enfance.
Un soir d'automne où tout le monde s'ennuie, et où la jeune Indiana est souffrante, un jeune noble s'introduit dans le parc du manoir. Prévenu par le majordome, le maître des lieux prend son fusil, et tire. Il le blesse légèrement, mais le fait tomber du mur par lequel il tentait de s'enfuir. Indiana va lui donner les premiers soins. C'est Raymon de Ramière, le jeune voisin, venu rendre une visite nocturne et secrète à Noun, la jeune dame de compagnie et soeur de lait d'Indiana.
Le colonel est un homme très jaloux, il pense que ce jeune homme bien-né, est venue dans le parc pour Indiana, ce qui n'est pas le cas. Mais pour elle, c'est le début d'une vie rêvée, et le début d'une idylle entre les deux jeunes gens, une idylle complexe, bâtie sur des malentendus, qui au fil du temps ne pourront que s'aggraver, car entourée de non-dits et de mensonges, tout le monde et en particulier Ralph, désirant ménager au maximum la santé et le moral d'Indiana...
Car sa femme avait dix-neuf ans, et, si vous l'eussiez vue enfoncée sous le manteau de cette vaste cheminée de marbre blanc incrusté de cuivre doré; si vous l'eussiez vue, toute fluette, toute pâle, toute triste, le coude appuyé sur son genou, elle toute jeune, au milieu de ce vieux ménage, à côté de ce vieux mari, semblable à une fleur née d'hier qu'on fait éclore dans un vase gothique, vous eussiez plaint la femme du colonel Delmare, et peut-être le colonel plus encore que sa femme.
En épousant Delmare, elle ne fit que changer de maître ; en venant habiter le Lagny, que changer de prison et de solitude. Elle n'aima pas son mari, par la seule raison peut-être qu'on lui faisait un devoir de l'aimer, et que résister mentalement à toute espèce de contrainte morale était devenu chez elle une seconde nature, un principe de conduite, une loi de conscience. On n'avait point cherché à lui en prescrire d'autre que celle de l'obéissance aveugle.
Il [Ralph] haïssait Raymon, et, d'un mot, il pouvait le chasser de Lagny ; mais il ne le fit pas, parce que Ralph avait une croyance, une seule qui était plus forte que les mille croyances de Raymon...c'était la conscience.
Il avait vécu tellement seul, qu'il n'avait pu s'habituer à compter sur les autres ; mais aussi, dans cet isolement, il avait appris à se connaître lui-même. Il s'était fait un ami de son propre coeur...
Ce roman, paru en 1832, est le premier écrit par l'auteur sous ce pseudonyme de George Sand, mais le second paru après "Rose et Blanche" publié, lui en 1831.
L'auteur de son vrai nom : Amantine Aurore Lucile Dupin est mariée et devenue baronne Dudevant. Elle a 28 ans et devient un écrivain reconnu.
C'est une belle histoire de femme. Sa lecture nous permet de poser un regard critique sur la société telle qu'elle était au XIXe siècle. Le roman dénonce en effet, les conditions de vie des femmes mariées, esclaves de leur époux, condamnées à ne jamais donner leur avis et à se taire en toutes circonstances. Il révèle en cela les souffrances faites aux femmes.
J'ai été très surprise de découvrir qu'à chaque page, l'auteur incite la jeune femme à se rebeller, à se défaire de l'emprise de son mari, et de la société bien pensante, tout comme de la religion, des préjugés et du "quand dira-t-on", pour prendre ses propres décisions et rechercher le bonheur que personne ne semble vouloir pour elle.
Ce n'est donc pas étonnant que ce roman constitue une œuvre marquante pour le mouvement féministe.
Cependant, c'est un roman assez sombre. Il nous laisse entrevoir plusieurs intrigues amoureuses qui s'entrecroisent, sans que le lecteur ne puisse voir apparaître une issue heureuse à l'une d'entre elles. En tant que roman classique, il est à la fois étude de mœurs et critique de la société du XIXe siècle. Il présente quelques longueurs, l'histoire prenant du temps pour se mettre en place.
La jeune Indiana nous livre ses états d'âme, ses tergiversations, elle ne veut pas céder aussi facilement aux avances du jeune Raymon de Ramière qu'elle trouve pourtant très attirant, et qui la séduit avec de belles promesses, sans pour autant arriver à ses fins.
Le roman aborde les thèmes du racisme, du colonialisme, de l'injustice, et de la supériorité masculine. Il nous fait réfléchir sur les relations entre les hommes et les femmes, toujours problématiques aujourd'hui dans la plupart de nos sociétés, comme hélas l'actualité nous le rappelle quotidiennement.
L'histoire nous fait voyager car elle débute en Brie, puis à Paris et enfin sur l'île Bourbon (La Réunion d'aujourd'hui). La description des paysages et de la nature tient une place importante dans l'œuvre de George Sand. Dans celui-ci le lecteur pénètre aussi dans l'histoire de l'île Bourbon ce qui est très intéressant.
Je vais pour ceux que ça intéresse, vous décrire un peu plus en détails les personnages.
Indiana est une personne fragile en apparence, qui somatise son malaise existentiel : elle s'ennuie avec un mari qu'elle n'aime pas à qui elle s'est mariée par obligation. Cela ne l'empêche aucunement de rêver à une vie meilleure, de se rebeller en silence et en n'obéissant pas aux injonctions de son mari. Elle nous montrera qu'en fait elle est capable de prendre des décisions, d'aller au bout de ses désirs mais que c'est par devoir qu'elle reste près de son mari, même une fois qu'il sera ruiné. Ce qui me frappe chez elle, c'est cette soif d'indépendance et de liberté, une soif qui apparait tellement insatiable qu'elle en tombe malade.
Le colonel est un homme jaloux de nature, et vu leur différence d'âge, il s'inquiète d'autant plus de la fidélité de son épouse. Ancien militaire, il est autoritaire et ne peut accepter aucune contestation. Cependant, Indiana par sa patience, arrivera à l'adoucir un peu à certains moments.
Raymon de Ramière est très immature et opportuniste : il ne pense qu'à s'amuser et à séduire la gent féminine, accumulant les conquêtes, sans penser aux conséquences de ses actes. Imbu de lui-même, le lecteur pressent le drame devant son attitude désinvolte. Rien ne le touche, et dès le début du roman, lorsque Noun, enceinte de lui, se suicide en se jetant dans la rivière, on pressent qu'il ne peut apporter que du malheur dans l'histoire. Il vit encore sous la coupe de sa mère qui le défend avec fougue, mais qui ne sait rien de ses frasques, tout en les devinant et en ne se faisant aucune illusion sur son fils, trop protégé et trop "gâté" dirions-nous aujourd'hui. Elle représente cependant un des personnages féminins intéressants du roman.
Sir Ralph Brown enfin, le cousin d'Indiana est un amoureux transi. Il ne peut avouer son amour à celle qu'il a connue toute petite et qu'il a toujours protégé. Il a donc un aspect plutôt froid et distant, mais bien entendu, le lecteur en assistant à son dévouement jamais démenti, va très vite comprendre ses sentiments pour Indiana et les voir évoluer avec bonheur, au fil de l'histoire.
La femme est imbécile par nature ; il semble pour contrebalancer l'éminente supériorité que ses délicates perceptions lui donnent sur nous, le ciel ait mis à dessein dans son cœur une vanité aveugle, une idiote crédulité...Il ne s'agit peut-être, pour s'emparer de cet être si subtil, si souple et si pénétrant, que de savoir manier la louange et chatouiller l'amour-propre...
Le plus honnête des hommes est celui qui pense et agit le mieux, mais le plus puissant est celui qui sait le mieux écrire et parler.
C'est une grande imprudence d'introduire la politique comme passe-temps dans l'intérieur des familles. S'il en existe encore aujourd'hui de paisibles et d'heureuses, je leur conseille de ne s'abonner à aucun journal, de ne pas lire le plus petit article du budget, de se retrancher au fond de leurs terres comme dans une oasis, et de tracer une ligne infranchissable entre elles et le reste de la société...
Cela faisait un certain temps que je voulais me replonger dans la lecture de cet auteur classique dont je ne connaissais que les œuvres lues en classe lors de mes années de collège, lectures qui commencent donc à dater pas mal. C'est chose faite.
Durant l'été, j'ai donc alterner la lecture de romans contemporains avec certaines des œuvres de George Sand que je vous présenterai donc, de temps en temps, afin de ne pas vous lasser.
Je vous rappelle ici, que George Sand est la première femme écrivain française a avoir pu vivre de sa plume. Pour cela, elle a du prendre un nom masculin. Son œuvre, malgré le fait qu'elle avait été jugée à l'époque "scandaleuse", voir dangereuse, avait fini par s'imposer dans le paysage littéraire du XIXe siècle. Etonné au départ qu'une telle œuvre ait pu être écrite par un homme, certains journalistes de l'époque soupçonnait déjà que seule une femme pouvait se cacher derrière un tel écrit...une intuition d'une grande justesse.
Elle sera attaquée ensuite par les "garants de la morale", autant pour ses écrits que pour ses engagements politiques, jugés utopistes par les journalistes et écrivains, bien entendu de sexe masculin.
J'ai lu pour le plaisir un long article (publié par Babelio) et découvert par hasard sur internet qui, à partir d'extraits de journaux de l'époque, nous invite à découvrir les différentes critiques faites à l'auteur et leur évolution au cours du temps. C'est très édifiant ! Pour ceux qui désirent en savoir plus, je vous mets le lien ICI.
N'attendez pas que je vous répète les étranges discours qu'il confia aux échos de la solitude ; lui-même, s'il était ici, ne pourrait nous les redire. Il est des instants d'exaltation et d'extase où nos pensées s'épurent, se subtilisent, s'éthèrent en quelque sorte. Ces rares instants nous élèvent si haut, nous emportent si loin de nous-mêmes, qu'en retombant sur la terre nous perdons la conscience et le souvenir de cette ivresse intellectuelle...
C'est un lieu pittoresque, une sorte de vallée étroite et profonde, cachée entre deux murailles de rochers perpendiculaires, dont la surface est parsemée de bouquets d'arbustes saxatiles et de touffes de fougère.
Un ruisseau coule dans la cannelure formée pas la rencontre des deux pans. Au point où leur écartement cesse, il se précipite dans des profondeurs effrayantes, et forme, au lieu de sa chute, un petit bassin entouré de roseaux et couvert d'une fumée humide. Autour de ses rives et sur les bords du filet d'eau alimenté par le trop-plein du bassin, croissent les bananiers, les lectchis et des orangers, dont le vert sombre et vigoureux tapisse l'intérieur de la gorge. C'est là que Ralph fuyait la chaleur et la société ; toutes ses promenades le ramenait à ce but favori...