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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Le Grand Nord-Ouest / Anne-Marie Garat

Actes Sud, 2018

Actes Sud, 2018

Tant de gens qui cherchent une oreille tombent sur la mauvaise, indifférente, stupide, paresseuse ou malveillante, autant jeter sa pierre au puits. Rare est l'oreille disposée à entendre, incrédule par intermittence mais réceptive, inquiète, et puis captive, comme d'un livre ouvert par hasard qu'on ne lâche plus une fois commencé, cela dépend d'une qualité d'attente, d'une vacance de l'esprit, et aussi du narrateur, de sa voix, de la façon dont il raconte.

Si l'aigle royal nous souhaite la bienvenue, tous les autres animaux sauvages, la forêt, les montagnes, les glaciers, tout ce que cet immense pays réserve de prodiges nous sera également favorable, me disais-je, le cœur empli d'allégresse et de gratitude pour ce signe du destin. J'avais six ans.

Nous sommes à  la fin des années 30.

Jessie fête ses six ans avec ses parents et tous leurs amis.

Au petit matin, son père, Oswald Campbell, un riche producteur hollywoodien, est retrouvé mort, noyé. Lorna del Rio, la mère décide alors de s'enfuir  avec Jessie. C'est le début d'un périple inoubliable, imposé à la petite fille, mais que sa mère donne l'impression d'avoir bien préparé depuis fort longtemps. 

Jessie n'est pas très rassurée et ne comprendra que plus tard que ce départ est sans retour possible. Lorna, personnage fantasque mais énergique et oh combien pugnace, compte bien en effet, monter vers le Grand Nord-Ouest, à la recherche de ses origines supposées, avec en poche une simple carte crayonnée à la main, une mallette pleine d'argent pris dans le coffre de son mari, des papiers importants, un colt et un couteau.

Si leur périple commence sur les routes, puis par la mer, elles continueront ensuite sur des pistes impraticables, fréquentées depuis des années par les seuls trappeurs, chercheurs d'or et indiens. Elles vont, par le simple fait du destin, se retrouver au cœur des terres indiennes, dans la cabane d'un couple de Guwich'in, Kaska et Hermann, vivant isolés en autonomie, sur les berges de Kloo Lake.

Finie la vie de paillette hollywoodienne, finis aussi les mensonges de Lorna, les changements de noms pour brouiller les pistes, et les secrets cachés dans leurs bagages.

Tout en écoutant Lorna raconter son histoire à Kaska, la petite fille apprend les gestes amérindiens ancestraux, l'importance du travail quotidien pour amasser les provisions à entreposer avant l'hiver, la fabrication des habits chauds indispensables pour se protéger du froid intense de ces contrées, le respect dû aux animaux...que l'on chasse ou pas. Kaska en profite aussi pour lui parler de la magie des totems, des forces chamaniques et des lois de la nature et pour la rebaptiser "Nez-de-Renard", puis "Qui-donne-ses dents".

Mais des personnes étrangères recherchent activement Lorna et Jessie, et, même au fin fond de l'Alaska, toutes deux ne sont pas passées inaperçues.

Encore aujourd'hui quand j'y repense, c'est ainsi que m'apparaît notre périple : un rêve inversé dans lequel ma mère est une petite fille et moi la personne sensée qui doit la protéger comme si elle était mon enfant imprudente prenant pour jeu le danger...

Une quinzaine d'année après, Jessie devenue adulte raconte les détails de leur road movie à Bud Cooper, dans la banlieue d'Anchorage. Il nous transmet fidèlement sa parole, sans qu'on sache le rôle qu'il a pu jouer dans l'histoire, le lecteur ne l'apprendra qu'à la toute fin (c'est un membre du FBI). 

J'ai retrouvé la plume complexe et détaillée, mais tellement poétique de Anne-Marie Garat que j'avais découvert en lisant "La source" présenté ICI sur mon blog. Ces dons de conteuses sont indéniables et les légendes amérindiennes et traditions ancestrales, peuplent ces récits avec brios. Les personnages, tous hauts en couleurs, sont assez nombreux pour que le lecteur s'y perde un peu, à moins de se laisser porter par les aventures qui ne manqueront pas de les relier les uns aux autres, au fil du roman. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'auteur accumule les détails, et les péripéties, rendant parfois le récit un peu long. J'ai fait des pauses, d'autant plus que le roman n'est pas découpé en chapitres, et présente son lot de retours en arrière et de zones d'ombre, que le lecteur peut finalement combler à sa guise et en fonction de son imagination. 

La nature magnifique, mais la plupart du temps hostile, l'importance des objets, et celle des souvenirs parfois modifiés par la mémoire, le rêve qui se mêle à la réalité, font de ce roman original, un roman à la fois d'aventure souvent loufoque et décalé, mais aussi une épopée onirique qui peut dérouter le lecteur, et présenter quelques longueurs, faute de compréhension en particulier dans la seconde partie. 

Malgré ces longueurs, ce roman est un bel hommage aux Indiens de ces contrées qui ont vu leur vie bouleversée par l'arrivée massive des blancs, venus chercher fortune, des hommes qui ont bâti pour les déserter ensuite des villes entières sur leurs terres, qui leur ont apporté maladie et dépendance à l'alcool, et ont ensuite coupé les pistes et les terres, par une longue route, bâtie par l'US armée en 1942, seul accès encore aujourd'hui au cœur des terres indiennes.  

J'ai fini par comprendre, et c'était infiniment bon à penser, que Kaska me protégeait plus sûrement qu'elle ne me répudiait ou me chassait et que, plus fidèle au pacte qu'elle ne le trahissait, elle m'épargnait son chagrin pour que le mien me grandisse, renonçait à l'amour pour le garder intact au nord du Grand Nord-Ouest où définitivement il demeure...

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