Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Au début de la tyrannie, il s'était accroché l'étoile jaune de David sans savoir que c'était le signe de la mort, comme on marque les pins qui vont subir la hache ; et il ne s'était en fait pas éveillé à la nouvelle réalité brutale avant le jour terrible où ils avaient saccagé son atelier-dans un passé récent, la vieille synagogue du quartier où il s'était senti en sécurité dans son enfance, sous le long "talith" de son père qui l'emmenait souvent dans les fêtes, avait brûlé. Depuis, pensait-il maintenant, chaque jour ils s'enfonçaient d'un pas dans les eaux marécageuses qui finiraient par les engloutir tous.
Ce très court roman était dans ma liste de livres à lire, depuis un bon bout de temps à présent. Il est paru en 2009, donc ce n'est pas une nouveauté.
Le lecteur fait la connaissance de Daniel, déporté au camp de concentration d'Auschwitz. A son arrivée, il s'est déclaré menuisier, ce qui n'est qu'un demi-mensonge, car il est luthier de profession.
Il est souvent appelé chez Sauckel, le commandant du camp, que ce soit pour des réparations ou des aménagements, d'ailleurs, il participe à la construction d'une serre.
Pour Daniel, c'est une véritable chance de passer du temps en dehors de l'usine ou de la carrière. Cela lui permet de survivre, en luttant contre la fatigue chronique et la lassitude qui s'installent chaque jour davantage dans son corps meurtri. En effet, là-bas, les hommes s'épuisent à la tache et ne survivent pas longtemps, entre la malnutrition, la violence, l'humiliation et les punitions d'une grande cruauté.
Mais un jour, le commandant du camp qui aime aussi la musique, fait donner un concert qui risque de vraiment mal se terminer pour Bronislaw, le violoniste, qui joue faux.
Daniel ne peut pas s'empêcher d'intervenir, à ses risques et périls, pour expliquer que ce n'est pas de la faute de son ami, mais que le violon a été endommagé. Il déclare donc ouvertement son vrai métier, et propose de le réparer : le violon a une fissure dans la chambre d'harmonie, fissure qui l'empêche d'avoir la bonne sonorité. Le commandant est surpris, mais ne le punit pas. Il accepte. Minutieux de nature, Daniel va mettre toute son énergie dans ce travail. Il sait très bien que la vie de son ami, et la sienne, sont en jeu.
Peu de temps après, "satisfait" de la réparation effectuée par Daniel, le commandant lui demande de fabriquer un violon qui imite le son d'un stradivarius.
C'est comme une parenthèse "heureuse" dans la vie de Daniel : se retrouver tous les matins dans l'atelier, dans les odeurs de bois, de colle et au milieu d'outils qui auraient pu être les siens, laissés à Cracovie. Il n'en revient pas de sa chance. Mais il apprend que la réalisation de ce violon a été l'objet d'un pari, et que s'il le perd, il sera immédiatement envoyé auprès de Rascher, le médecin du camp, qui réalise de terribles et cruelles expérimentations sur les déportés...
Il se trouvait à l'un des moments les plus délicats de son travail, qui consistait à mettre en place à l'intérieur de l'alto l'âme, cette petite pièce en épicéa, aux veines fines et denses, qu'il était sur le point de laisser partir, parfaitement verticale, parfaitement droite, juste derrière le pied droit du chevalet. Mais que lui arrivait-il ? Il avait les mains moites, l'âme glissait, elle s'échappait avant l'heure ! Elle était trop courte, inutilisable. Il allait devoir tout recommencer. Mais l'alto devenait profond, profond...
Des mains qui le secouaient le réveillèrent à ce moment. L'alto se trouvait sans âme. Cela lui sembla être un mauvais présage.
Il avait parlé sans interrompre son travail, car on ne pouvait jamais être sûr de la réaction ; il avait parfois été frappé pour ne pas s'être mis au garde-à-vous alors qu'on lui adressait la parole, mais l'avait été aussi un jour où il l'avait fait, pour s'être arrêté de travailler.
Le livre débute en 1991, alors qu'un groupe de musiciens jouent ensemble à Cracovie, le jour du deux centième anniversaire de la mort de Mozart. Parmi eux se trouve Régina, une violoniste qui attire sans le vouloir l'attention d'un des invités. Ce dernier, va apprendre que le violon qu'elle possède, et avec lequel elle joue divinement bien, a toute une histoire, car il a appartenu à son oncle, déporté à Auschwitz.
C'est lui qui confiera les notes de la violoniste à l'auteur, pour qu'elle témoigne.
Maria Angels Anglada aborde à travers le récit de Régina, le terrible univers concentrationnaire. Des encarts placés en début de chacun des chapitres, nous en rappellent avec froideur et distance, toute sa cruauté comme ce sinistre état des lieux des vêtements récupérés dans les camps (page 87).
En même temps, le lecteur suit pas à pas Daniel, entre sa vie quotidienne, ses rêves et ses souvenirs.
J'ai, bien entendu, lu ce court roman d'une traite, voulant savoir si la fabrication de ce violon allait sauver Daniel.
J'ai trouvé dommage que le ton employé par l'auteur soit souvent trop froid, ce qui nous permet, certes, de garder une certaine distance, mais nous empêche aussi d'éprouver une certaine empathie pour notre luthier.
C'est un livre émouvant, écrit avec simplicité. C'est finalement ce terrible contraste entre la beauté de l'objet, l'amour que Daniel met à le fabriquer, et la cruauté des camps, qui est le fait le plus marquant du roman. Ce décalage montre bien, que la musique peut rendre un visage presque humain à un bourreau, ce qui est d'autant plus terrible au vu des faits qui lui sont reprochés, mais, à quelque part, apporte un peu d'humanité là où il n'y en avait aucune.
Ce roman peut être lu par des adolescents, car en plus de l'amour de la musique, il place aussi l'importance de l'amitié au centre de l'histoire.
Sa lecture et sa présentation en cette veille du 8 mai, jour férié où nous commémorons la fin de la Seconde Guerre Mondiale et la capitulation de l'Allemagne nazie, me permet de contribuer au devoir de mémoire indispensable à mes yeux.
Un livre à lire, et à faire lire, pour ne jamais oublier...
Bon week-end à tous !
Presque toute sa famille avait péri durant l’Holocauste, sa mère et sa grand-mère étaient mortes au ghetto de Varsovie, son père et son frère aîné à Auschwitz ; tous étaient donc morts aux mains des nazis. Je pensais qu’elle devait être toute petite à l’époque. Comment en avait-elle réchappé ? Il me vint également à l’idée que la musique avait dû beaucoup l’aider à dissiper ces ombres.