Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Tout est paisible ici, comme autrefois. Rien n'a changé, ou si peu, à part le pain blanc qui tente de remplacer celui de seigle. Les gens vivent encore à l'ancienne, vont au moulin, au four, à la fontaine et au lavoir, élèvent de beaux enfants, vieillissent et meurent en paix, au travail, sous les toits de toute une vie....
Déjà vêtu, le père venait d'entrer dans la pièce. Son visage laissait apparaître une mine quelque peu réjouie, sans plus. Car cet homme des bois et de la terre n'était pas, ne serait jamais démonstratif quant aux sentiments qui l'habitaient, quels qu'ils soient. Il était rustre d'apparence, ce paysan, alors que son cœur pouvait être surprenant de compréhension et de bonté. A pas lents il s'avança vers son fils qui venait de couper un morceau de fromage dur comme du bois. Les deux hommes s'embrassèrent sans effusion particulière. Il leur suffisait d'être ensemble, face à face, se comprenant sans éprouver le besoin de se parler.
La Margeride c'est un plateau aux confins du Cantal, de la Haute-Loire et de la Lozère, un plateau battu par la burle et souvent enneigé durablement en hiver. Les conditions de vie y sont rudes et ont forgé des hommes au caractère dur et tranchant, en apparence. L'Histoire, la Grande ne les a pas épargnés. Ils ont vécu tant d'événements traumatisants qu'ils ne veulent plus entendre parler de la guerre. Le Mont-Mouchet n'est pas loin et veille sur ses disparus.
Là, dans le petit hameau de la Vachellerie, près de Paulhac-en-Margeride, vit la famille Sembadel. Le père est éleveur et bûcheron. Il cultive aussi ses champs pour nourrir sa famille et ses animaux, dont Reine, sa belle Aubrac. Avec Maria, sa femme, ils ont eu 5 enfants dont un n'a pas survécu. Les deux aînés sont partis fonder une famille et vivent leur vie à présent, tandis que Jean le plus jeune fils, fait le déménageur à Paris pour se faire trois sous avant son service militaire.
Seule Linette, la petite, quinze ans à peine, est restée à la ferme. Ce qu'elle aurait voulu, elle, c'est continuer ses études et devenir institutrice, mais on ne lui a pas attribué de bourse alors elle est restée là. Mais elle n'est pas malheureuse pour autant. De temps en temps, elle va aider la famille du charpentier pour les gros travaux domestiques, et gagne un peu d'argent. Elle se contente de son troupeau de biquettes et de sa vie quotidienne tout en rêvant...un jour c'est certain elle partira vers le sud faire les vendanges et cueillir les fruits juteux qui ne poussent pas par ici !
Mais la Guerre d'Algérie pointe son nez et Jean le jeune fils, va poursuivre son service militaire là-bas comme tous les jeunes français de sa génération. Le père doit assurer seul de plus en plus de travaux pénibles et la mère et Linette l'aident comme elles le peuvent. Pourtant dans leurs cœurs, malgré l'inquiétude de savoir Jean au loin, tous sont confiants et savent profiter de leur bonheur et de la chance qui va mettre des personnes généreuses sur leur route...
Ce roman du terroir est une belle leçon de vie.
Dans un cadre bucolique proche de la Haute-Loire que j'aime, l'auteur nous raconte la vie quotidienne des habitants de cette région, dans les années 60. Il donne la parole aux éleveurs et paysans, nous montre leur travail de tous les jours, mais nous parle aussi de leurs rêves et des valeurs qui font leur richesse : la fierté du travail bien fait, la générosité, l'entraide, entre autre. C'est un monde rural simple et rude mais qui réconforte et fait chaud au cœur, comme le ferait une bonne tartine de confiture sur du pain chaud juste sorti du four !
Le style est simple et direct sans fioriture. Le lecteur entre dans la vie de cette famille, ses angoisses, ses désirs et ses regrets. Il participe aux fêtes importantes, suit le rythme des saisons et les changements de la nature, et découvre ceux liés à l'avancée du progrès pas toujours bien vu par le père.
Le roman est étayé de nombreux mots en patois, que je me suis amusée à copier. Dommage pour les novices, qu'une erreur de l'édition (entre les pages 72 et 232) ait décalé les notes de bas de page concernant ces mots,.
Heureusement je ne me suis pas perdue dans leur traduction car beaucoup ressemblent au patois du sud !
C'est un roman émouvant et qui sonne juste. Il faut s'habituer au style de l'auteur, à sa façon de mener les dialogues et de nommer les gens souvent par une périphrase.
C'est un livre que j'ai reçu en cadeau et que j'ai lu avec grand plaisir !
Les jeunes...ils n'entendent rien ou ne veulent rien entendre. Ils n'écoutent que les beaux parleurs, ceux qui n'ont jamais retourné une pelletée de terre...
Ils rêvent d'abattre les haies...
Et même, là les bras m'en tombent, de saler la terre qu'on a défrichée, nous, avec nos bêtes et nos bras, d'y mettre un genre de gros sel. Des engrais qu'ils disent...
Ils veulent que tourmenter la terre, la ruiner...
Edmond Bordes, est né dans le Puy-de-Dôme en 1941. Sa famille était originaire de la Haute-Loire. Il est très attaché à sa région et il est vrai que la vie d'antan n'a pas de secrets pour lui. Il sait de quoi il parle !
Autodidacte, il sait aussi laisser parler son cœur et raviver les souvenirs des anciens.
Ce serait dommage en effet que tout cela tombe dans l'oubli !