Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Comment ai-je pu être aussi ignorante? se demande-t-elle. Aussi stupide, aussi aveugle, aussi portée à l’insouciance. Mais sans cette ignorance, sans cette insouciance, comment pourrions-nous vivre? Si on savait ce qu’il va se passer, si on savait tout ce qu’il va se passer ensuite – si on connaissait d’avance les conséquences de ses actes –, on serait condamné. On ne mangerait ni ne boirait ni ne rirait ni ne sortirait jamais de son lit le matin. On n’aimerait jamais personne, on n’aimerait jamais une seconde fois. On n’oserait jamais.
Tout ce qu’il lui reste, à présent, c’est la photo. Et l’histoire de la photo.
A quoi avait-elle pensé tandis que la voiture quittait le pont, puis demeurait en suspens dans la lumière de l'après-midi, scintillant comme une libellule durant cet instant sans pareil où l'on retient son souffle avant la dégringolade ?
1945. Alors qu'elle est à présent mariée, Iris Chase connait un nouveau drame dans sa vie, sa jeune sœur cadette Laura, âgée de 25 ans, dont elle se sentait responsable, se tue en tombant du haut d'un pont en travaux. Elle conduisait la voiture d'Iris qu'elle venait de lui emprunter. Les témoins pensent à un suicide, la famille à un accident. L'affaire est étouffée. Mais Iris retrouve dans sa commode des cahiers que sa jeune sœur a soigneusement et intentionnellement caché-là.
Elle ne peut plus longtemps occulter la réalité. Toutes deux aimaient le même homme et Iris qui a accepté d'être malheureuse dans sa vie maritale pour arranger, l'espérait-elle, l'entreprise en faillite de son père, doit tenter de continuer à vivre avec ce lourd secret.
Cinquante ans après, alors qu'à 82 ans elle est bien diminuée par le temps, elle va tenter de reconstituer par écrit l'histoire de sa vie et de raconter LEUR histoire. Elle l'écrit en pensant à sa petite-fille Sabrina, qu'elle ne connaît pas et qui ne sait rien de ses origines.
Le lecteur découvre alors l'histoire bouleversante de ces deux sœurs, liées à jamais par des secrets de famille inavouables et un étrange destin.
J'en avais assez d'avoir un œil sur Laura à qui ça ne plaisait pas. J'en avais assez d'être tenue pour responsable de ses écarts et des manquements. J'en avais assez d'être tenue pour responsable, point.
Maintenant me voici immobilisée. Et furieuse contre moi. Ou pas contre moi_contre ce mauvais tour que mon corps m'a joué. Après s'être imposé à nous en égocentrique qu'il est, à réclamer à grands cris qu'on satisfasse ses besoins, à nous imposer ses désirs sordides et dangereux, l'astuce finale du corps consiste tout simplement à s'absenter. Juste quand on a besoin de lui...
Voici un roman dont la construction en déroutera plus d'un. En effet, il faut s'accrocher durant les 60 premières pages pour savoir où l'auteur va emmener le lecteur.
Il y a trois voix différentes imbriquées dans le roman : celle d'Iris âgée, qui nous parle de sa vie actuelle tout en renouant le fil de son histoire familiale. Celle du roman enchâssé dans la saga familiale, écrit par Laura, et intitulé "Le tueur aveugle" qu'Iris a fait publier et qui a fait scandale à l'époque, et enfin, celle des articles de presse informatifs qui nous en apprennent davantage sur la famille et qui eux-aussi, ont toute leur importance pour nous aider à nous repérer dans le roman, en particulier dans le contexte social, économique et politique de l'époque.
L'auteur dévoile encore une fois son talent de narratrice pour alterner les différentes voix, mais aussi entremêler les époques et les lieux, passé et présent, saga familiale et histoire sociale du XXe siècle.
J'ai aimé la saga familiale d'une autre époque mais qui montre bien qu'Iris a été finalement une femme d'avant-garde.
J'ai aimé, malgré les drames, l'histoire de ces deux sœurs, la manière souvent teintée d'humour avec laquelle la "vieille" Iris se remémore leur enfance, leurs parents et leur vie quotidienne.
J'ai aimé aussi le suspense qui va crescendo et les révélations finales qui sont amenées avec beaucoup de finesse.
J'ai aimé le personnage de Reenie, qui du temps où elles étaient gamines les a entouré de tendresse, a pansé leurs égratignures et remplacé leur mère.
J'ai moins aimé les pages du roman imbriquées dans le roman. Il est raconté par un mystérieux homme, qui se cache et retrouve sa maitresse dans des lieux toujours différents et il faut bien le dire plutôt sordides. Ces pages sont un peu déroutantes au départ. Il s'agit en effet d'un récit de science-fiction, celle du Tueur aveugle, qui ne plaira pas à tout le monde. J'y ai trouvé moi-aussi quelques longueurs...mais les discussions entre les deux amants qui ne sont pas d'accord ni sur le déroulé de l'histoire, ni sur sa fin, sont tout à fait intéressantes et même amusantes. A chacune de leur rencontre, la jeune femme demande la suite et lui se soumet car en fait ce récit est aussi leur histoire...
Cependant je tiens à dire que c'est dans ce récit qu'il y a la clé de la relation qui reliait les deux sœurs à ce mystérieux personnage dont j'ai deviné assez vite l'identité, mais sur lequel je ne vous dirai d'ailleurs rien de plus, car ce serait dévoiler un pan trop important de l'histoire.
Ce livre a obtenu en l'an 2000, le prestigieux Booker Prize.
Il y a des fois où ce qu'on ne sait pas peut faire très mal...
Il y a des gens qui ne peuvent pas dire où ça fait mal. Ils ne peuvent pas se calmer. Ils ne peuvent jamais arrêter de brailler.
Je dois avouer que je rêve d'une chose à ton sujet.
Un soir, on frappera à la porte et ce sera toi. Tu seras habillée en noir, tu trimballeras un de ces petits sacs à dos que tout le monde arbore aujourd'hui en guise de sac à main. Il pleuvra, comme ce soir...
Tu frapperas. Je t'entendrai, je descendrai le couloir en traînant les pieds, j'ouvrirai la porte. Mon coeur fera des bonds, palpitera ; je te regarderai attentivement, puis je te reconnaîtrai, toi, mon dernier souhait chéri...
Je te ferai asseoir à ma table...Puis je te raconterai une histoire. Je te raconterai cette histoire...