Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Plus d'une fois, au cours de ma vie, j'ai fait ce que je n'avais pas décidé, et ce que j'avais décidé, je ne l'ai pas fait...
Je ne veux pas dire que pensée et décision sont sans influence sur les actes. Mais les actes n'exécutent pas simplement ce qui a été préalablement pensé et décidé. Ils ont leur source propre et sont les miens de façon tout aussi autonome que ma pensée est ma pensée, et ma décision, ma décision.
Les strates successives de notre vie sont si étroitement superposées que dans l'ultérieur nous trouvons toujours l'antérieur, non pas aboli et réglé, mais présent et vivant...
"Le liseur" est un roman complexe et dérangeant dans lequel on retrouve plusieurs thèmes. On peut le diviser en deux parties comme s'il s'agissait de deux histoires distinctes et pourtant elles sont étroitement liées comme vous le verrez par la suite.
L’histoire se passe dans l'Allemagne d'après-guerre...
Michaël Berg, le narrateur, est un tout jeune homme de 15 ans quand il tombe malade en se rendant au lycée. Alors qu'il est pris d'un malaise et de vomissements dans la rue, une jeune femme va l'aider à se rafraîchir et le raccompagner chez lui. Michaël a une jaunisse qui va l'exclure de la vie pendant de longs mois.
Une fois remis, des mois après donc, sa mère l'oblige à aller remercier la jeune femme, c'est Hanna. Elle est belle, elle a trente-cinq ans, et le jeune homme qui est hanté par son souvenir, va revenir plusieurs fois chez elle jusqu'à ce que tous deux entament une relation plus intime. Il devient son amant. L'apprentissage de la sexualité et de la sensualité avec cette femme si douce et tendre, mais mystérieuse, est pour lui une belle découverte qui marquera toute sa vie, tant elle est forte au niveau de son ressenti et de l'idéalisation qu'il en fait, sans doute lié à son jeune âge et à leur vingt ans de différence.
Pendant six mois, il va revenir tous les jours chez elle et suivre tout un rituel qu'elle lui a imposé, tout comme elle lui impose ses horaires de visite. Il va lui faire à sa demande, la lecture à haute voix, puis ensuite seulement, ils feront l'amour et ce scénario se répète à chacune de leur rencontre.
Un jour Hanna quitte subitement la ville sans le prévenir. Le jeune homme ne s'en remettra jamais et n'arrivera ni à l'oublier, ni à fonder une véritable relation avec une autre femme, ce qui sera le drame de sa vie... un drame accentué par la suite de l'histoire.
Sept ans après alors que le narrateur fait un stage durant ses études de droit, il retrouve Hanna dans le box des accusés, parmi cinq criminelles toutes jugées pour avoir été gardiennes dans un camp de concentration.
Accablées par ses codétenues, Hanna n'arrive pas à se défendre et écopera de la plus lourde peine : la détention à perpétuité.
Or Michaël le sait, certains chefs d'accusation ne tiennent pas, car Hanna cache un lourd secret, qu'il vient de découvrir comme une évidence pendant le procès : elle ne sait ni lire ni écrire et ne peut donc pas avoir rédiger le rapport qui est la pièce maîtresse de l'accusation.
Doit-il intervenir pour alléger sa peine ?
Lâchement, il n'en fera rien car il ne peut entacher sa future carrière en dévoilant son attachement à Hanna. Mais pour comprendre la réaction d'Hanna, qui a préféré se taire plutôt que de subir une honte publique, en dévoilant son illettrisme, ainsi que la sienne, Michaël se met à écrire leur histoire...
A la moindre menace, je capitulais aussitôt sans condition. J'acceptais tous les torts. J'avouais des fautes que je n'avais pas commises, reconnaissais des intentions que je n'avais jamais eues. Lorsqu'elle devenait froide et dure, je mendiais pour qu'elle redevienne gentille, qu'elle me pardonne, qu'elle m'aime. Parfois j'avais l'impression qu'elle souffrait elle-même de ses excès de froideur et de raideur...
Je voulais à la fois comprendre et condamner le crime d'Hanna. Mais il était trop horrible pour cela. Lorsque je tentais de le comprendre, j'avais le sentiment de ne plus le condamner comme il méritait effectivement de l'être. Lorsque je le condamnais comme il le méritait, il n'y avait plus de place pour la compréhension. Mais en même temps je voulais comprendre Hanna ; ne pas la comprendre signifiait la trahir une fois de plus...
La première partie ne doit pas être occultée par la seconde, même si finalement elle nous révèle, la clé de ce qui va suivre, et c'est là toute la force de ce roman.
L'auteur nous parle d'amour, d'un amour véritable et sincère, auréolé certes de mystère, mystère qui sera éclairé par la seconde partie, mais qui explique l'attitude des différents personnages, l'apparente lâcheté de Michael, comme les silences d'Hanna, sa dureté occasionnelle et son incapacité à se défendre contre des accusations infondées.
Le roman touche du doigt le problème de l'illettrisme et de la honte ressentie par ceux qui ne savent ni lire ni écrire, ce qui les exclut du monde. Hanna préfère cacher ce secret plutôt que de le dévoiler ce qui l'innocenterait en partie.
Mais le principal sujet du roman reste celui abordé dans la seconde partie : c'est la question de la responsabilité ressentie par les générations futures, en ce qui concerne les actes perpétrés par les générations passées, qui ont soutenu le régime nazi durant la seconde guerre mondiale.
Michaël est -il responsable des actions commises par Hanna dans sa vie antérieure ?
Doit-il se sentir coupable d'être tombé amoureux d'elle... sans se douter un seul instant des crimes qu'elle avait commis pendant la guerre ?
C'est en tous les cas, une lecture dérangeante quand le lecteur découvre (en même temps que le narrateur) qu'Hanna, en tant que gardienne de camp, a commis des actes horribles pendant la guerre. Alors qu'elle travaillait chez Siemens, et qu'on lui proposait une promotion, qu'elle a décliné pour n'avoir pas à avouer son secret, elle choisit de s'engager dans les SS en 1943. Elle est coupable d'avoir participé à cette violence incommensurable mais bien entendu ce qui est troublant, c'est que son parcours n'est pas celui qu'on imagine d'un bourreau.
Malgré toute l'horreur du procès et des faits qui lui sont reprochés, le lecteur se positionne du côté du narrateur et de son ressenti, de ses contradictions. Il aime toujours Hanna et ne peut en son fort intérieur la juger, et pourtant toute sa génération abhorre (et nous aussi) les actes commis par les nazis pendant la guerre.
D'ailleurs, l'auteur n'apporte pas de réponses aux nombreuses questions que le lecteur formule en découvrant que lui non plus n'arrive pas à croire à la totale culpabilité de la jeune femme et aimerait qu'elle se défende davantage. Hanna nous touche malgré nous, alors qu'on la sait pourtant capable du pire.
Les criminels nazis ne méritent pas d'être aimés et pourtant nombreux sont les bourreaux qui ont eu une famille qui ne s'est jamais doutée de leurs crimes. L'auteur en nous mettant devant cette contradiction nous oblige à comprendre le ressenti de toute une génération de jeunes allemands, d'après-guerre, qui s'est trouvé confrontée à un problème majeur de devoir "juger" les actes de leurs parents.
La fin du roman que je ne vous raconterai pas apporte encore plus de trouble et de questionnements. C'est là toute l’ambiguïté de ce roman qui ne manquera pas de susciter de nombreux débats ce qui explique que ce soit une oeuvre souvent proposée au lycée.
Un livre à découvrir...
Un film éponyme a été tiré de ce roman en 2008. Perso, je n'ai pas eu l'occasion de le voir au cinéma et je le ferai maintenant que j'ai lu le livre car j'aime toujours découvrir une oeuvre en lisant d'abord le roman.
Depuis quelques années je laisse notre histoire tranquille. J'ai fait la paix avec elle. Et elle est revenue, détail après détail, et avec une espèce de plénitude, de cohérence et d'orientation qui fait qu'elle ne me rend plus triste...