Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Elle songe aux débuts de l'homme dans le service. Elle l'a vu étudier, noter, soigner, chercher, découvrir ce qu'aucun n'avait découvert avant lui, penser comme aucun n'avait pensé jusqu'ici. A lui seul, Charcot incarne la médecine dans toute son intégrité, toute sa vérité, toute son utilité...Elle se sent fière, oui, fière et privilégiée de contribuer depuis près de vingt ans au travail et aux avancées du neurologue le plus célèbre de Paris.
La foi inébranlable en une idée mène aux préjugés. T'ai-je dit combien je me sentais sereine depuis que je doute ? Oui, il ne fait pas avoir de convictions : il faut pouvoir douter, de tout, des choses, de soi-même. Douter. Cela me semble si clair...
L'histoire nous emmène à l'hôpital de la Salpêtrière au XIXe siècle. Le professeur Charcot, le célèbre neurologue y règne en maître. Des jeunes femmes ou des moins jeunes, originaires de familles pauvres ou riches, sont enfermées sous divers prétextes parfois pendant des années.
Là, travaille Geneviève. Elle est infirmière et intendante. Elle a consacré toute sa vie à aider le professeur qu'elle admire profondément, sans jamais avoir reçu de sa part, un seul mot de remerciement. Elle est responsable de ces femmes ; elle tente de les apaiser, de les comprendre et de les aider quand elle le peut, sans pour autant leur manifester d'affection. Elle les rassure aussi lorsque le professeur Charcot vient les examiner et leur faire "subir" une de ses séances d'hypnose, avec lesquelles il espère guérir leur crise d'hystérie, ou tout du moins à défaut, l'étudier de plus près pour mieux en comprendre le déroulement et en limiter la venue. Pendant ces séances, les jeunes femmes se retrouvent exposées devant un public entièrement masculin de jeunes étudiants très attentifs à l'enseignement du maître, mais moqueurs et pas toujours respectueux de la "folle" qui est objet de l'étude.
A l'asile, la grande joie de l'année, c'est à la mi-carême, quand un grand bal est organisé au sein de l'hôpital, "le bal des folles". Pendant des semaines, les femmes travaillent à leur costume, font des essayages, s'égaient dans les couloirs ou les dortoirs et l'ambiance est presque légère et améliore notablement l'humeur de toutes. De plus, ce bal attire les foules. Les membres de la bonne société bourgeoise sont tous invités et peuvent ainsi venir satisfaire une curiosité mal-placée, le temps d'une soirée. Côtoyer ces femmes qui font peur mais fascinent, les font aussi fantasmer.
Charcot espère leur montrer que ces jeunes femmes sont comme les autres. Ce faisant, il les expose comme des animaux et non comme des êtres humains ! Qu'elles soient dépressives, hystériques, maniaques, ou en proie à des crises d'épilepsie, qu'elles aient été enfermées là parce qu'elles étaient seulement éprises de liberté, veuves jugées trop joyeuses, femmes de mauvaise de vie, ou jeunes filles de bonne famille trop délurées, toutes sont traitées à la même enseigne.
En plus de Geneviève, le lecteur va côtoyer la toute jeune Louise, abusée par son oncle qui deviendra hémiplégique suite à une séance d'hypnose, Thérèse une ancienne prostituée qui tricote à longueur de journées des châles pour ses copines de dortoir, mais mais qui se sent tellement plus en sécurité à l'asile qu'elle ne désire plus en sortir. L'extérieur fait peur quand on est enfermé trop longtemps et qu'on n'a plus de place dans la société, plus de famille, plus de lien avec la vie réelle.
C'est alors que les préparatifs du bal battent leur plein qu'Eugénie arrive à la Salpêtrière. Depuis toute petite elle "voit" les disparus et dialogue avec eux, ce qui est épuisant pour elle car ils lui transmettent souvent des messages. Quand son père apprend que ce mal dont elle souffre depuis l'enfance et qu'elle cache à son entourage, est toujours bien présent, il ne peut en supporter davantage et se sépare d'elle sans état d'âme. Abandonnée des siens, elle arrive à émouvoir Geneviève, qui va décider d'aider la jeune fille...
C'est un moment étrange, lorsque le monde tel qu'on le pensait jusqu'ici, lorsque les certitudes les plus intimes sont soudainement ébranlés - lorsque de nouvelles idées vous font appréhender une autre réalité. Il lui semble que jusqu'ici elle regardait dans la mauvaise direction, et que désormais on l'a fait regarder ailleurs, précisément là où elle aurait toujours dû regarder. Elle repense aux mots de l'éditeur : " Ce livre saura vous éclairer sur beaucoup de choses, mademoiselle"...
Voilà un premier roman dont on a beaucoup parlé à l'automne dernier et qui a reçu le Prix Renaudot des Lycéens. J'aime pendre du temps pour découvrir les prix littéraires et les romans dont la presse nous parle beaucoup trop, ainsi, quelques mois après, je me fais plus facilement ma propre opinion et je ne suis pas influencée par le battage médiatique.
Pour moi, ce roman est une très belle découverte, le genre de livre dans lequel on apprend beaucoup de choses sans s'en apercevoir et que l'on termine à regret, désirant savoir ce que vont devenir les personnages, imaginant pendant plusieurs jours une suite car nous avons du mal à les quitter.
J'ai beaucoup aimé sa lecture et j'ai eu du mal à m'arrêter de lire pour faire autre chose. Je me suis immédiatement attachée aux personnages et en particulier à Eugénie. J'ai aimé aussi les pages qui décrivent l'ambiance de la vie dans la capitale au XIXe siècle.
J'ai découvert la teneur des expériences de Charcot sur les "hystériques" de la Salpêtrière dont bien entendu j'avais déjà entendu parler. Le lecteur entre dans les pensées de l'époque et la manière dont les femmes différentes, parfois réellement malades mais parfois non, étaient considérées et traitées. On a l'impression de participer à ses cours, de faire partie du public sans pouvoir agir. Les expériences effectuées par Charcot ne prennent pourtant pas beaucoup de place dans le roman, mais elles sont très présentes en arrière-plan.
Cet ouvrage est un bel hommage fait à ces femmes.
Faire connaître leur destinée aux jeunes générations est une bonne chose et je vois que le public lycéen y a été sensible en lui attribuant un prix.
Malgré la gravité du sujet, le ton sonne juste et c'est un roman à la fois profond et émouvant, mais qui reste facile à lire malgré quelques scènes choquantes. J'ai trouvé la plume de l'auteur très réaliste et imagée. Elle sait sans pathos provoquer notre colère et notre révolte devant les faits qui sont énoncés. Je suis heureuse de ne pas être née à cette époque, moi qui aie toujours été très curieuse de nature et encline à poser de trop nombreuses questions et à m'opposer à la normalité de la société...
Au-delà de ce retour sur l'histoire et sur les débuts de la psychiatrie, l'auteur nous parle donc de la condition des femmes au XIXe siècle, de la façon dont elles sont considérées par la gent masculine, de la facilité pour un père ou un mari de faire enfermer une femme parfois sur simple dénonciation d'un autre membre de la famille afin de ne pas entacher le prestige familial et cela quel que soit le milieu social...ça fait froid dans le dos !
A découvrir...mais peut-être l'avez-vous déjà fait ?
Les chaînes et les haillons laissèrent la place à l'expérimentation sur leurs corps malades : les compresseurs ovariens parvenaient à calmer les crises d'hystérie ; l'introduction d'un fer chaud dans le vagin et l'utérus réduisait les symptômes cliniques ; les psychotropes...calmaient les nerfs des filles...et avec l'arrivée de Charcot au milieu du siècle, la pratique de l'hypnose devint la nouvelle tendance médicale.
La folie des hommes n'est pas comparable à celle des femmes : les hommes l'exercent sur les autres ; les femmes, sur elles-même.