Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Le vert des près était devenu électrique, avec des décharges invisibles, troué de trilles, et personne sur les chemins. On ne savait pas si on était heureux, mais on n'aurait voulu être nulle part ailleurs...
Depuis des années, Pamina s'est installée en montagne, au milieu de la forêt vosgienne, avec Nils son compagnon, au lieu-dit "Les Hautes Huttes".
Elle sait que la forêt est habitée par des cerfs, mais elle ne les voit jamais, ils sont invisibles. Ils connaissent l'homme et en ont peur. Ils visitent son jardin la nuit, elle devine les endroits où ils se sont couchés, mais ne les connait pas pour autant.
Un jour Léo, photographe animalier lui demande l'autorisation de construire une cabane d'affût sur son terrain. Ils se lient d'amitié et il lui propose de l'accompagner et de guetter leur venue avec lui.
Elle qui adore la nature, mais qui s'était jusqu'à présent plongée uniquement dans des livres, découvre un autre monde, celui de la patience, de l'observation, des équipements de camouflage et des observations à l’œil nu ou avec des jumelles...celui de l'affût.
Guetter les cerfs devient pour elle une véritable passion, voire une obsession. Elle va s'initier avec Léo, puis seule, à la vie du clan, à leur différent comportement selon les saisons, n'hésitant pas à affronter le blizzard et la neige, pour pouvoir les dessiner dans son petit carnet, noter ses observations, compter les ramifications de leur ramure.
Le lecteur suit le clan au fils des saisons, le brame d'automne annonçant la période de reproduction, la mue du printemps et la chute des bois, la lente repousse, suivie durant l'été par la perte du velours.
Elle leur donne des noms, ceux que Léo leur a choisi : il y a Wow, Pâris, Apollon, Geronimo, Arador, Merlin...faciles à distinguer grâce à une cicatrice, une différence dans la ramure, une couleur de pelage, ou leur prestance.
Mais au fur et à mesure qu'elle se plonge dans cette passion, elle va découvrir que les hommes qui comme elle, traquent les bêtes, ne le font pas du tout pour leur beauté, mais parce que derrière leur affût, il y a la chasse et la tuerie, la joie de découvrir et de ramener chez eux un trophée, l'argent rapporté par la vente de la viande...et ultime déception pour elle, Léo est impliqué.
Je découvrais "l'effet affût": le monde arrive et se pose à nos pieds comme si nous n'étions pas là. Comme si nous n'étions pas, tout court. On constate que le monde se passe de nous. Et même davantage : il va mieux sans nous.
C'est un roman très poétique qui débute dans le calme et la paix de la forêt et monte en puissance comme un véritable thriller.
Il faut prendre le temps de le découvrir, d'assimiler les explications, donc accepter les répétitions inévitables puisque tous les affûts se ressemblent dans leur préparation. Il faut prendre le temps d'attendre...pour voir les cerfs nous-aussi.
L'écriture de Claudie Hunzinger que je découvre avec cette lecture, est agréable, fluide, bourrée de références littéraires, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Son regard posé sur la nature sauvage fait du bien. Elle sait encore s'émerveiller en regardant ce qui l'entoure, les plus petits animaux comme les insectes, les oiseaux autour des mangeoires, ou les plus grands, comme les grands mammifères de la forêt.
J'ai appris beaucoup de choses sur la vie des cerfs que je savais en gros, sans avoir pris le temps d'approfondir mes connaissances, et de rentrer dans les détails. Mais ce n'est pas le seul intérêt du livre.
Le roman est en effet également axé sur les ravages perpétrés dans les forêts par certains hommes, en particulier sur la grosse faune. Mais je vous assure qu'il y a une différence entre le savoir et le lire, comprendre le rôle de chacun à travers le regard de l'auteur, partager sa rage et son désespoir.
L'auteur, en effet, dénonce les différents responsables : l'état, les adjudicataires de la chasse, les brigadiers de l'ONF qui jugent que les grands cervidés empêchent la régénération des forêts, et qui distribuent des bracelets aux chasseurs pour fixer le nombre de bêtes à tuer, et les chasseurs eux-mêmes qui exécutent ce sombre dessein.
Tous sont très éloignés du respect et du plaisir procurés par l'observation de la simple beauté de la nature sauvage et de ses merveilles.
Si vous n'êtes pas passionnés par la nature, passez votre chemin vous risquez de vous ennuyer...comme j'ai pu le lire sur des avis ici ou là, mais personnellement j'aurais trouvé dommage de passer à côté, même si je sais que j'oublierai certains détails, je n'ai pas regretté ma lecture.
Il a obtenu le Prix Décembre 2019.
Non, je ne savais pas que j'allais me retrouver face à la ruine, au gâchis, aux dégâts. Et que tout ce que j'avais fui allait me revenir en plein dans la poitrine, en plein cœur, je ne le savais pas, allait me revenir comme un nuage chargé de neige et de derniers temps, chargé des préludes de la fin, durant les mois qui allaient suivre.
En dix ans. Ça s'est passé en dix ans. Sous nos yeux. Et j'en ai pris conscience seulement cet été-là. En dix ans, quelque chose autour de nous, une invention, une variété des formes, une extravagance, une jubilation d'être qui s'accompagnait d'infinis coloris, de moirures, d'étincelles, de brumes, tout ça avait disparu pour laisser place à un monde simplifié, appauvri, uniformisé, accessible aux foules et aux masses où les goûts se répandaient comme des virus.