Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
C'était un camping connu des Landes. Trois étoiles au cœur d'une forêt de pins, au bord de l'océan. Piscine avec toboggans, aire de jeux, écran de karaoké, salle de fitness, soirées à thèmes. Il y avait là beaucoup d'ados venus pour la fête, et puis des familles nombreuses, des vieux couples hollandais, des colos de surf et les chiens autorisés.
Oscar est mort parce que je l'ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d'une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n'était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On se serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Qui qu'il en soit, je n'ai pas bougé. Tout en a découlé.
Ce court roman surprenant et même dérangeant pour nous adultes, nous parle de l'adolescence et de ses contradictions, et recrée l'ambiance particulière d'un été de vacances dans un camping des Landes, surchauffé à tous les sens du terme.
Pas étonnant que les jeunes l'aient apprécié et que ce roman ait obtenu le Prix Fémina des lycéens 2019.
Ce roman a aussi obtenu le Prix Littéraire de la Vocation 2019, qui récompense un jeune romancier d'expression française, ayant entre 18 et 30 ans.
La haine et la colère, je les avais accumulées sagement. Ce n'était pas un accident. J'avais laissé mourir Oscar. J'aurais pu le sauver et je ne l'avais pas fait...
Il aimait parler de son bonheur aux amis tristes, il n'y résistait pas, il ne s'en rendait même pas compte, peut-être. Il s'est redressé et tout son corps s'est animé pour me raconter, me mettre mal à l'aise, détruire le peu de désir qu'il me restait.
L'été est torride dans ce camping trois étoiles, où de nombreuses familles se tassent espérant profiter de la mer et de vacances bien méritées.
Là sous les pins, Léonard 17 ans se retrouve avec ses parents, son chien, son jeune frère et sa sœur pour quinze jours "de rêve" que ses parents ont attendu toute l'année.
Mais pour lui cela n'a rien d'un rêve : lui déteste être là, écouter la musique mise en fond sonore, s'amuser avec ceux de son âge, danser sur la plage, trop boire et participer aux espérances des autres ados. Les filles lui font peur, les garçons ne cherchent que la bagarre pour arriver à leurs fins...perdre enfin leur pucelage et, si cela est déjà fait, avoir une amourette de vacances.
Bref Léonard est mal dans sa peau, timide, plutôt réservé et ne sait pas comment se comporter pour s'amuser comme les autres et entrer "dans le moule" ce qui rassurerait ses parents, inquiets de le voir si solitaire.
Un soir où il a fui ses camarades pour rester seul, il découvre dans le parc pour enfant, Oscar, un des jeunes du camping, assis sur une balançoire. Mais celui-ci est dans une étrange posture : la corde de la balançoire est passée autour de son cou, volontairement ou accidentellement, Léonard ne cherche pas à le savoir. Il est paralysé, ne fait rien pour tenter de le sauver. Pire, par un geste irréfléchi, complètement paniqué, il commet l'irréparable, dont je ne vous dirai rien...
Est-ce à cause de cette terrible chaleur que son esprit lui a dicté ce comportement étrange, lui qui n'avait jamais commis de bêtises en 17 ans de vie ? Est-on coupable de ne pas agir ? "Rester immobile, est-ce pareil que tuer ?", se demande-t-il.
Oscar n'était pas son ami, Léonard sait juste que lui et Luce, une fille géniale qui habite dans le coin, étaient très proches et avaient même commencé à s'embrasser à la fête. Il lui en avait voulu pour ça, pour cette assurance affichée devant tout le monde, une assurance que Léo est loin d'avoir.
Dès le lendemain, hanté par cette soirée et son geste, Léonard pense qu'il va être accusé, bien entendu, le temps passe et personne ne se soucie d'Oscar, ni sa propre mère qui croit qu'il a trouvé une copine et a tout simplement passé la nuit avec elle. A son âge c'est bien normal, n'est-ce pas quand on est en vacances et qu'on a 17 ans ? Ni Luce qui en l'absence de l'intéressé, se tourne désormais vers d'autres garçons et en particulier vers Léonard, ce à quoi il ne s'attendait pas. Les jeunes filles sont tellement imprévisibles et bizarres parfois et aussi tellement mystérieuses...
Pour Léonard, cette ultime journée de vacances va ressembler à un parcours du combattant, entre angoisse incontrôlable et découvertes adolescentes. Il tente bien de se livrer à son ami Louis, mais celui-ci est bien trop occupé par ses vacances et ses propres émois...
J'aurais voulu plus de musique. L'aube était passée depuis longtemps : le soleil avait traversé le ciel et dérivait déjà vers la mer, il tomberait derrière, en même temps que les désirs frustrés, les caresses retenues, les mots gardés pour soi. Les gens continuaient à rire et à courir. La mer montait. Il fallait s'empresser d'être heureux...
Mon avis
Comme je vous l'ai dit en introduction, ce roman court (139 pages à peine) est dérangeant mais d'une rare intensité pour un premier roman.
L'écriture est limpide et l'auteur sait dès le départ créer une ambiance très prenante, qui va captiver, voire même fasciner le lecteur et l'obliger à ne plus lâcher sa lecture.
L'auteur, né en 1994, fait montre d'une maîtrise de l'écriture et de l'art de conter exceptionnelle pour un premier roman et pour son jeune âge.
Dès les premières pages, le lecteur est pris au piège car le roman débute en effet par la description du suicide d'Oscar, un adolescent incompris que tout le monde pensait heureux dans ce camping où tout est fait pour s'amuser, mais où finalement la solitude, face au bonheur des autres, est une véritable souffrance pour ces ados déchirés par leur désir de vivre.
Ce qui est dérangeant aussi c'est le comportement de Léonard, en perpétuel décalage par rapport à ce qu'on attend de lui. Le lecteur découvre qu'il est un adolescent comme les autres, finalement, assez solitaire mais qui rêve de s'intégrer au groupe tout en ayant peur de trop s'engager. Rien ne laissait présager le drame. C'est un adolescent sans histoire, sauf que sous le calme, la tempête couve, sous la sagesse, la violence, et sous l'apparente indifférence... un désir qui le consume, comme cette chaleur caniculaire que le lecteur ressent à la lecture de ce roman et qui devient au fil des pages, un personnage à part entière.
Le poids de son secret est tellement lourd à porter qu'il va provoquer chez le lecteur un sentiment plein d'ambivalence, fait de rejet pour l'acte qu'il a commis mais dont il n'est pas réellement coupable finalement, mais aussi d'empathie pour ce qu'il va vivre ensuite.
La vie des adolescents de cet âge est remarquablement bien décrite de manière réaliste, avec bien entendu mis en avant le charme de leur jeunesse, le bouleversement hormonal qui perturbe leur vie, leurs désirs de reconnaissance et d'amour, la passion des premières fois, les relations parents-ados souvent difficiles mais teintées de tendresse et d'inquiétude mutuelles, les excès en tous genres, les contradictions, tout cela sur fond de musique, de barbecue, de plage et de sable, de canicule, d'animations "débiles" (c'est Léonard qui le dit pas moi) et de vacances dont il faut profiter à tous prix tant elles passent vite...des vacances plutôt superficielles et banales comme celles que peuvent vivre la plupart des gens en camping à la plage.
Mais au-delà des faits, la mort d'Oscar est aussi un symbole car j'ai douté à plusieurs moments de l'existence réelle de ce jeune homme dont personne ne semble se soucier. C'est le symbole de l'enfance qui s'en va, du difficile passage de l'adolescence à l'âge adulte qui oblige les jeunes à prendre leur responsabilité, à s'engager, à faire fi des peurs et de la timidité...et à oublier ce corps si compliqué qui change tout le temps et ce flot d'émotions si difficile à endiguer et à maîtriser.
Un jeune auteur à suivre !