Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Le ghetto intérieur / Santiago H. Amigorena

P.O.L. 2019

P.O.L. 2019

J'aime penser que Vicente et Rosita vivent en moi, et qu'ils vivront toujours dans le souvenir de mes enfants qui ne les ont jamais connus...

Il avait commencé à penser, sans forcément le dire à ses amis, que de toute façon ça ne servait à rien de savoir, d'être informé : était-il possible de faire quelque chose à douze mille kilomètres de distance ?

Comme tous les juifs, Vicente avait pensé qu'il était beaucoup de choses jusqu'à ce que les nazis lui démontrent que ce qui le définissait était une seule chose : être juif.

Depuis 1928, année où Vicente Rosenberg a quitté sa Pologne natale pour émigrer en Argentine, il a fondé une famille, a eu trois enfants et travaille dans un magasin de meubles florissant que son beau-père lui a légué pour les aider.

Rosita, sa femme, ne sait pas grand chose de son passé et il n'a jamais voulu le lui raconter. Elle lui a demandé maintes fois de partir chercher sa mère, vieillissante, restée avec ses deux autres enfants en Pologne. Mais au fond, Vicente n'a jamais réellement voulu qu'elle vienne vivre avec eux, il n'a pas cherché à la persuader de venir s'installer elle-aussi en Argentine. Il était trop content d'avoir réussi à prendre son indépendance. 

Il sait pourtant être gentil avec elle, lui écrit de temps en temps et lui envoie des photos des enfants, mais il ne répond pas pour autant à chacune de ses lettres.  Finalement sa vie lui convient comme elle est...

 

L'année 1940 arrive...

Avec des amis juifs, exilés comme lui, Vicente se demande comment interpréter les quelques rares nouvelles qui leur parviennent de l'Europe et en particulier de leur pays la Pologne, souvent d'ailleurs plusieurs mois après.

Là-bas, la situation est catastrophique et va en s’aggravant : les nazis  s'emparent des biens des juifs puis après les avoir pillés, les confinent dans le ghetto de Varsovie, où plus de cent mille personnes ne tarderont pas à mourir de froid, de faim ou de maladie, et où les survivants encore plus nombreux encore, sont condamnés à être fusillés ou déportés...Mais ça Vicente et ses amis ne le savent pas encore. 

 

Vicente se fait de plus en plus de souci pour sa famille d'autant plus qu'il ne reçoit que rarement à présent, des nouvelles de sa mère. La dernière lettre est particulièrement alarmante et il ne la fera d'ailleurs jamais lire à personne : Vicente comprend en la lisant que sa mère est en train de mourir et qu'il ne peut plus rien faire à présent pour elle... 

Alors, au lieu d'en parler il choisit de se taire, il se replie sur lui-même et sombre dans la dépression, s'éloignant de ses amis et de sa famille, passant la nuit à jouer au poker et à perdre le plus souvent les recettes de son travail de la journée au magasin.

Mais il ne peut à présent se livrer à sa femme,  lui raconter tout son passé et pourquoi il a eu tellement honte, enfant puis plus grand, des moqueries de ses camarades, parce qu'il était juif... Il ne peut lui expliquer pourquoi il a fui son pays et sa famille, il aurait fallu qu'il lui en parle bien avant, et non pas aujourd'hui que tous les mots ne servent plus à rien, alors il préfère se taire...

 

Se taire. Oui, se taire. Ne plus savoir ce que parler veut dire. Ce que dire veut dire. Ce qu'un mot désigne, ce qu'un nom nomme. Oublier que les mots, parfois, forment des phrases...

...s'il est une image que Vicente aurait voulu cessé d'imaginer à partir du moment où il avait lu les premières descriptions des camps, c'est celle de sa mère nue, éreintée, exténuée, alors qu'elle entrait dans ces douches qui n'étaient pas des douches.

Le narrateur (=l'auteur) est le petit-fils de Vicente et de Rosita. Il cherche à comprendre le pourquoi de ce silence familial qui est devenu le sien...et qui l'étouffe depuis sa naissance.

Il nous raconte par petites touches, les événements qui ont traumatisé sa famille. Le sujet n'est pas nouveau et il y a eu beaucoup de romans écrits sur le ghetto de Varsovie et la Seconde Guerre Mondiale, ainsi que sur la montée du nazisme, les Camps de concentration et leur ignoble dessein... 

Cette fois-ci, l'originalité de ce livre si je puis dire, à la fois témoignage et page d'histoire, c'est que le héros principal se trouve à des milliers de kilomètres de l'Europe puisqu'il vit en Amérique du Sud. 

 

Lorsque Vicente apprendra à la fin de la guerre que sa mère est morte dans le camp de Treblinka II, il ne s'en remettra pas et toute la famille portera ce terrible deuil depuis ce temps-là. 

 

J'ai été touchée par cette histoire douloureuse. Les références historiques sont nombreuses et le lecteur suit la mise en place du régime nazi en parallèle de la vie quotidienne plutôt tranquille au départ, de Vicente et de sa famille à Buenos Aires, puis  nous assistons impuissant à sa lente plongée dans la dépression, entrecoupée de moments de colère et d'une culpabilité qui ne le quittera plus jamais.

 

Les non-dits sont terribles et le silence alors parle plus fort que les mots. Il décrit de manière encore plus bouleversante la souffrance indicible qui envahit ainsi Vicente au fur et à mesure qu'il s'enferme dans ce "ghetto intérieur", cette  culpabilité destructive du survivant... 

 

J'ai eu par moment envie de secouer Vicente qui aurait peut-être au début de la guerre eu encore le temps d'aller chercher sa famille et de les aider à venir vivre avec lui. Car non seulement il y a sa mère mais, sa sœur et aussi son frère et sa propre famille. Il ne fait rien et ensuite, nous savons bien avant lui que c'est déjà trop tard. Qu'il n'a plus le temps... Il faut dire aussi que Vicente se pose beaucoup de questions sur son identité juive, mais n'obtient pas beaucoup de réponses, ce qui brouille aussi son ressenti et sa vision des événements. 

 

L'auteur a une belle plume, sensible, pudique et émouvante. Il ne nous épargne aucun détails que ce soit sur la guerre, le ghetto, la déportation et la prise de conscience à distance de l'horreur des exterminations, ou qu'il s'agisse de la dépression de son grand-père et de ses conséquences sur sa grand-mère et les enfants...donc par retombée, sur lui et sa fratrie. 

 

Vous l'aurez compris le sujet principal de ce roman-témoignage est bien cette autre forme de violence vécue pendant les guerres, cette culpabilité qui envahit les survivants, pour ne plus jamais leur permettre d'oublier que eux sont en vie, alors que leur place aurait dû être auprès de ceux qui ne sont plus...

Un roman-témoignage nécessaire, à lire forcément quand vous en aurez envie. 

Il avait été un homme comme tant d'autres hommes, et soudain, sans que rien n'arrive là où il se trouvait, sans que rien ne change dans sa vie de tous les jours, tout avait changé. Il était devenu un fugitif, un traître. Un lâche. Il était devenu celui qui n'était pas là où il aurait dû être, celui qui avait fui, celui qui vivait alors que les siens mouraient...

Je vous invite à aller lire la présentation de ce livre proposé par Alex sur son blog. C'est elle qui m'a donné envie de le découvrir et par chance il était juste devant moi sur le présentoir de la médiathèque et venait à peine d'être couvert et équipé pour le prêt ! Il m'attendait donc...

Et n'hésitez pas à découvrir la biographie de l'auteur ci-dessous, sur le site de l'éditeur...

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
c'est surement un très bon livre et un témoignage poignant et puissant mais pas pour moi en ce moment<br /> mais merci de ta présentation et de ton avis, tu le sais je ne te le dis pas chaque fois mais j'aime vraiment tes chroniques<br /> belle journée à toi<br /> bisous<br /> patricia
Répondre
M
C'est gentil Patricia<br /> Je suis irrémédiablement attirée par ces thèmes que veux-tu. J'aime que mes lectures me dérangent et me fassent sortir de ma zone de confort, mais heureusement j'alterne avec des choses plus légères comme celui que je présente aujourd'hui par exemple et qui m'a fait voyager dans un autre siècle...<br /> Bisous et une douce fin de semaine
M
une lecture qui n'est pas à la portée de tous.....les guerres n'ont jamais rien apportées de bons....je te souhaite un bien agréable jeudi
Répondre
C
Je pense que tu te doutes de ce que j'en pense Manou, alors désolée mais je ne le noterai pas sur ma liste celui-là ...<br /> Belle soirée, bisous !<br /> Cathy
Répondre
M
C'est pas grave...je me doutais bien que mes visiteurs seraient partagés mais je trouve nécessaire d'en parler. bisous et une belle journée (encore sous la pluie aujourd'hui)
R
I tsounds like a well written emotional story. friendship
Répondre
R
Merci pour cette présentation très complète Manou. Bisous
Répondre
S
Quelle histoire bouleversante sur les non-dits et la culpabilité, j aimerais beaucoup lire ce livre car c 'est un témoignage sur une période tellement sombre qu il ne faut pas oublier. Qui aurait pu imaginer de telles barbarie s et dire que maintenant elles font parties du quotidien, on continue de torturer, de traumatiser. ..on entend des choses terribles aux infos. Merci pour le partage !! Bises.
Répondre
M
Toute cette violence ne semble jamais devoir cesser...Alors bien entendu nous devons rester vigilants tout en prenant du recul car cela est- nécessaire aussi avec ce trop-plein d'infos, cela banalise trop toute cette violence je trouve. Bises et une belle journée
V
à lire pour ne pas oublier jusqu’où peuvent aller les hommes dans la violence.... gros bisous Manou. cathy
Répondre
F
Merci pour ce nouveau partage Manou, mais pas pour moi car trop triste<br /> Bisous et douce journée
Répondre
M
Evidemment je le comprends. Tu sais que moi j'aime être touchée par mes lectures mais j'alterne évidemment car ne lire que des choses difficiles seraient impossible...Bisous et une douce journée
M
Très belle critique. Cela doit être intéressant comme livre mais pour moi beaucoup trop triste. Bisous
Répondre
M
Je comprends Martine il faut lire ce qu'on se sent de lire...Bisous
D
certainement un beau livre, utile de surcroît
Répondre
M
Un autre point de vue rarement traité en littérature...
A
Une lecture forte, en effet.
Répondre
M
Merci de m'avoir donné envie de le lire :)
G
Il fait beau <br /> L'air est frais <br /> Allons marcher <br /> Bonne journée <br /> Bonne lecture :)
Répondre
M
Et bien l'un n'empêche pas l'autre tu sais Rose. Je ne lis pas aux heures ouvrables si je puis dire...Je suis matinale et regarde peu la TV, donc je lis le soir et le matin !! Je lis donc beaucoup mais cela ne m'a pas empêché hier de faire 8 km à pied et de rentrer avec mon mari, 5 stères de bois dans notre garage, l'après-midi...Bisous et une belle journée
C
Bonjour manou <br /> Encore une bonne idée , mais je rejoindrais assez Pascale dans son commentaire<br /> On aurait envie de lecture plus légère même en palant de sujet sérieux !<br /> Bises et bonne journée
Répondre
M
Je suis bien de ton avis et j'alterne mes lectures tout en fuyant les médias surtout télévisés qui tournent en boucle mais proposent rarement des débats ouverts et sincères sur les différents événements...bises et une belle journée
É
Bonjour Manou. Nous avons tous amis blogueurs entre 60 et 70 ans ici. Je pense, j'espère, que nous avons tous lu un jour l'histoire de l'extermination des juifs, homosexuels, communistes, handicapés... dans les camps nazis et je voudrais que les jeunes générations lisent ce genre de bouquins. Mon gendre a découvert à 30 ans l'horreur de ces camps et du régime nazi, parce que ses parents n'avaient pas fait le boulot (ou les enseignants). Je pense que le monsieur du livre n'a pas pris la mesure du danger et de la catastrophe qui se préparait pour sa famille ; l’innommable et l'horreur sont souvent difficiles à prévoir et rares ont été ceux qui ont compris ce que les nazis nous préparaient, ce qui nous attendait. Je fais beaucoup d'humour dans mon blog parce que les gens ont besoin de rire, face à la morosité des médias, de la télévision larmoyante, mais je n'oublie pas qu'il y a encore des pays en guerre, de la torture, des murs comme celui de la Palestine ou du Mexique et que la Paix est un combat de tous les jours.<br /> Merci de nous permettre, Manou, à travers ton blog, de débattre sereinement de tous ces faits de société.
Répondre
M
Les hommes ne semblent jamais tirés les conclusions de leurs actes barbares et il semble que l'Histoire doive être un perpétuel recommencement. Tu as raison, face aux médias, il faut réagir et ne pas se laisser envahir par la violence mais nous devons cependant rester vigilants...Bisous
D
Un témoignage rare, avec cette distance physique et mentale de Vicente qui découvre après coup l'horreur de ce que sa mère a vécu, et que le lecteur imagine avant lui. Un récit fort et nécessaire pour parler de la culpabilité du survivant. Merci d'avoir partagé ton ressenti.
Répondre
M
C'est vrai que c'est un sujet rarement abordé de cette façon-là. Forcément sur le ghetto de Varsovie j'avais déjà lu "le pianiste" et vu le film d'ailleurs, des oeuvres bouleversantes aussi...Belle journée à toi
É
Bonjour Manou. Belle chronique qui donne envie de découvrir ce livre, même s'il doit être très dur. Bonne journée et bisous
Répondre
D
Un roman qui doit être intéressant, l'enfer existe aussi à l'intérieur de soi.Merci pour ta rubrique.<br /> Bonne journée, bises
Répondre
M
C'est ce que vit le personnage principal...On oublie en effet que certains immigrés culpabilisent d'être en vie toute leur vie...bises et une belle journée
P
Un livre qui dit être intéressant à lire, bien que je t'avoue être saturée de toute cette violence qu'elle soit dans notre pays ou ailleurs, et dont les médias nous abreuvent. Ce monde tourne au vilain...<br /> Bises et bonne journée Manou
Répondre
M
Je prends beaucoup de distance avec les médias à cause de ce matraquage qui n'est pas de la véritable information pour moi...Comme toi je recherche plutôt l'info sur d'autres supports et grâce à internet nous n'en manquons. Alors forcément je te comprends mais tu le sais j'aime lire sur tous les sujets alors ensuite je partage et chacun puise ce qu'il aime selon son humeur du moment. bises et une belle journée
M
Un livre qui fait envie mais le temps va me manquer vu la pile qui s'agrandit et le nombre impressionnant de titres sur ma liste !<br /> Gros bisous et bonne journée<br /> Mitou
Répondre
M
La vie est faite de choix comme toi j'ai les yeux plus grands que le ventre côté lecture :) bisous et une belle journée
R
Coucou Manou<br /> Tu es vraiment une grande fan de lecture.<br /> Merci pour le partage.<br /> Je te souhaite une belle journée.<br /> Rohnny
Répondre