Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
ça veut dire quoi, grandir dans un ensemble de quatre barres d'immeubles d'où tombent des morceaux de balcon et d'amiante, dans une cour où les enfants jouent à côté des jeunes qui dealent...
...on ne peut pas. Les deux mondes ne communiquent pas. Il ne suffit pas de faire un trou dans le grillage et d'y passer la tête pour vivre une autre vie...
Dans les années 2000, Piombino est une petite ville industrielle de Toscane où des barres HLM ont poussé en bord de mer, à proximité de l'aciérie, la Lucchini, une usine qui fait vivre toute la ville.
En face à quelques kilomètres à peine, l'île d'Elbe attire touristes et gens aisés et apporte son lot de rêve à ceux qui n'ont que leur balcon pour toutes vacances, mais personne dans la cité n'y va jamais.
Là, dans un des immeubles, Anna et Francesca sont deux gamines encore...Elle sont amies depuis leur plus tendre enfance. L'une est brune, l'autre blonde. L'une rêve de faire un jour de la politique, l'autre n'ose pas rêver de devenir mannequin.
A presque 14 ans, elles sont belles, attirantes mais ne le savent pas encore et vont le découvrir. En ce début d'été, elles chantent et dansent des après-midi entières devant la fenêtre ouverte, tandis que leurs parents travaillent, attirant les regards des vieux libidineux de l'immeuble d'en face.
A défaut d'être totalement innocentes, elles respirent la joie de vivre et attirent forcément les garçons de leur âge. Ensemble, ils passent l'été à jouer sur la plage, à plonger dans la méditerranée, à s'asperger et à courir... Avec leur maillot mouillé, devenus transparents, elles attirent forcément tous les regards...mais aussi les jalousies.
De temps en temps, elles s'éclipsent pour se rendre à des endroits secrets, petits coins de plage où personne ne va jamais, et là, elles laissent libre cours à leurs rêves. Comme toutes les adolescentes, elles aimeraient savoir de quoi demain sera fait et imaginent un avenir meilleur que celui qui les attend en réalité. Elles en deviennent émouvantes...
A la rentrée, Anna ira au lycée général tandis que Francesca s'inscrira au lycée professionnel !
Malgré qu'elles se soient jurées fidélité... leur amitié ne va pas résister à l'été, aux changements dans leur vie et à l'éveil des sens. Anna tombe amoureuse d'un copain de son frère, tandis que Francesca découvre qu'elle est profondément émue par les sentiments qu'elle éprouve pour son amie et qu'elle sent grandir en elle.
Mais en plus, rien ne va plus à la maison. Le père de Francesca veille sur sa fille en observant tout à la jumelle. Il va tout faire pour les séparer accusant Anna de compromettre sa petite fille...et devenir violent quand elle lui désobéit.
Et le père d'Anna va choisir justement cet été-là pour s'éloigner de plus en plus de sa famille. Lui qui a toujours aimé flamber et attirer les regards va se lancer dans un trafic d’œuvres d'art qui ne peut que lui attirer davantage d'ennuis...
On est loin dans ce roman de l'image idéalisée de la Toscane, telle que le touriste la découvre en voyageant.
Dans ces barres HLM qui dominent la plage, dans la puanteur des égouts et des cages d'escalier, la chaleur est insoutenable. La lumière trop vive de l'été ne peut plus longtemps cacher la noirceur du monde qui entoure les deux jeunes filles, une noirceur que le lecteur découvre peu à peu au fil du récit : petites combines, drogue, alcool, sexe, violence sont évidemment bien présents mais l'amitié et l'amour sont bien là aussi, ainsi que les rêves qui permettent à chacun, à son niveau, de supporter le présent.
Comment faire, quand on est si pauvre, pour sortir de cet engrenage qui est le leur et de cette cité dominée par l'aciérie toute proche, pour ne pas dire écrasée par elle, cette usine noire et brûlante qui donne pourtant du travail à tous les hommes de Piombino...
Comment faire pour les hommes jeunes, ou pour les pères, pour échapper, même quand on est rentré chez soi, au danger de l'usine, un danger physique et psychologique, à la chaleur étouffante des hauts-fourneaux, échapper aussi à la crise économique qui touche le secteur et va donc entraîner des licenciements, détruire des familles et des vies, amener les hommes à boire et à devenir plus violents encore.
C'est de ce déterminisme social auquel il est difficile d'échapper, que l'auteur nous parle, et, même si certains tentent l'impossible, la nature humaine, et la noirceur des âmes y trouvent-là prétexte à toutes les dérives...
C'est le premier roman écrit par l'auteur. Il a fait grand bruit à sa sortie en Italie en 2010, car il l'a propulsé sur le devant de la scène littéraire malgré les critiques qui ont trouvé exagérée sa façon de décrire cette ville industrielle de bord de mer.
L'écriture est incisive et tous les personnages sonnent juste.
La condition des femmes est particulièrement révoltante mais tellement réaliste. Jeunes, elles attirent le regard des hommes mais dès qu'elles se marient leur rêve d'être aimées s'amenuise au fur et à mesure qu'elles vieillissent.
Je n'ai pas trouvé comme j'ai pu le lire sur certaines critiques, que le roman tombait dans la caricature même si bien entendu on aimerait que chacun se comporte différemment.
C'est donc une fresque sociologique intéressante et un roman à découvrir pour la plume réaliste et humaniste de l'auteur.
Un film éponyme de Stefano Mordini, a été tiré de ce roman en 2013.
Peut-être l'avez-vous vu ?
Ils rirent tous les deux, enlacés et fatigués, dans la lumière de l'ampoule qui pendait du plafond et de l'aube qui se levait. A ce moment-là, appuyée au chambranle de la porte, Anna apparut. Elle ne dit rien. Resta là, toute propre et les pieds nus. Elle les regardait, sans qu'ils la voient, comme un petit ange en pyjama d'été. Dans son code à elle, c'était beau. Maman avec son visage niché dans le cou de son frère, la plus belle chose au monde peut-être. Une chose pour laquelle ça valait le coup, dans la vie, de ne jamais tricher.