Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Et pourtant quelque chose en moi me poussait à faire un grand détour pour éviter les gens qui venaient à ma rencontre. Je contournais le cercle lumineux des réverbères, je cherchais la pénombre, et quand j’entendais des pas derrière moi, je sursautais. A un coin de rue obscur, j’entendis une voiture passer lentement près de moi. J’appelai, la voiture s’arrêta, et un cocher somnolent me ramena chez moi.
Quand je vois Dina, je suis comme un chien à la chaîne qui la surveille. Quiconque s'approche d'elle devient mon ennemi mortel. Je veux garder pour moi tout seul le moindre de ses regards, la moindre de ses paroles. Pourquoi ne puis-je la quitter, me lever et en finir une fois pour toutes ? Cela fait mal, cela me brûle au fond de moi-même...
Monsieur le baron a certainement pris froid lui aussi. Moi, je dis toujours qu'il faut prendre un quart de vin, le réchauffer, et y ajouter une écorce de cannelle. Voilà mon remède ! Avec un peu de fleurs de muscadier, un clou de girofle, le tout bien sucré. C'est un remède très efficace.
Voilà un polar facile à lire, empreint d'une touche de fantastique que j'avais déjà lu lors de sa première parution et que je voulais relire car l'auteur est un écrivain peu connu, mais qui est considéré comme un maître dans l'art du récit !
L'histoire se déroule à Vienne en 1909. Un soir où plusieurs amis se retrouvent pour jouer de la musique, dans le salon de la famille Bischoff. Le mari Eugen, un acteur connu, est retrouvé mort dans son pavillon au fond du jardin...
Meurtre ou suicide ?
Tout accuse le baron Von Yosch, le narrateur, qui nous raconte cette histoire, des années après. Il a été en effet l'amant de Dina, la femme d'Eugen Bischoff, et il ne s'est jamais remis de la retrouver mariée, à son retour de mission à l'étranger. Sa pipe est retrouvée sur les lieux, alors qu'il assure ne pas avoir mis les pieds dans la salle.
Dès le début de l'histoire, cette accusation ne tient pas.
Le suicide paraît impossible d'autant plus que personne n'a dévoilé à Eugen que son contrat avec le théâtre, qui l'emploie comme comédien, allait prendre fin et que la banque, dans laquelle il avait placé toutes ces économies, venait de faire faillite, ce qui pourtant était paru dans la presse le matin même, ce que tout le monde, y compris Dina, a tout fait pour lui cacher !
Le docteur Gorski qui a invité le baron à se joindre à eux, et l'ingénieur Waldemer Solgrub, un ami de la famille vont mener l'enquête, espérant démontrer à Félix, le frère de Dina, que le baron est totalement innocent.
Les voilà partis sur la piste de mystérieux suicidés étrangement ressemblants qui faisaient partie du milieu des artistes..Cela qui les amène sur les traces d'un hypothétique "monstre" qui pousserait ses victimes à passer à l'acte.
A partir de ce moment-là, le lecteur plonge dans l'univers de l'auteur, entre raison et folie, mystère et réalité...Vous l'aurez compris, il bascule dans un autre monde où toutes les peurs deviennent réelles et les événements les plus mystérieux, totalement plausibles.
Ainsi les enquêteurs (et les lecteurs du coup aussi) en viennent à se poser des questions loufoques : Le "monstre" est-il bien un être de chair et de sang ? Est-il italien ? Quel rapport y a-t-il entre lui et un expert en sciences occultes ? A quoi peut bien servir ce vieil atlas du XVIe siècle qui joue un rôle dans l'histoire ?
Et si le monstre était tout simplement en nous ?
Et si je vous disais en guise de réponse que le "Maître du Jugement dernier" a réellement existé !
L'enquête est menée tambour battant et le lecteur, pris au piège, termine le livre en un rien de temps...
La légèreté de ton de l'auteur, son humour, sa façon de distiller les indices et de nous perdre, tout en nous amenant là où il désire nous mener...sans jamais nous laisser le temps de réfléchir ou de nous arrêter un instant en chemin, font de ce roman un polar très prenant.
Au-delà de cette enquête pas comme les autres, c'est de l'homme que nous parle Léo Pérutz, de son imagination débordante, de ses peurs, de sa façon bien à lui de revisiter sa propre histoire pour la modeler à sa guise, la rendre présentable aux autres et trouver ainsi sa place parmi les autres...
Un excellent moment de (re)lecture qui me donne envie de ré-explorer l'oeuvre de ce grand auteur classique !