Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Violence révolutionnaire contre violence coloniale.
Nous voilà, nous les victimes, séparées pour un siècle. Et pourtant il y a tant d'amour non-dit entre nos deux rives qui se sourient malgré la nuit, à cause du grand malentendu qu'on leur a imposé. Oui, seules des générations neuves peuvent briser le mur d'incompréhension qu'on nous a savamment édifié.
Qu'importe, disait-on, le nombre des victimes, des martyrs, l'essentiel est d'arriver au but suprême, l'indépendance. Je l'ai cru, maintenant je révise, avec le recul, mon jugement. Aujourd'hui, je pense qu'aucune cause ne mérite qu'on lui sacrifie autant de vies humaines...
Une fois, une élève venue du Nigéria a écrit, dans un bilan de cours "En français, ce que je n'aime pas, c'est quand on nous demande d'écrire au passé. C'est compliqué d'écrire au passé. Et puis moi, le passé je n'ai pas envie de m'en souvenir. Je fais tout pour l'oublier."
Suite à leur rencontre dans une réunion littéraire, les auteurs, tous deux romanciers, décident de correspondre pour échanger leur vision de leur terre d'origine, l'Algérie.
Djilali est tout de suite attiré par les yeux bleus de Sophie. Ils lui rappellent ceux d'une jeune Juliette rencontrée à l'école.
Sophie a une envie irrépressible de mieux connaître l'Algérie, ce pays que les siens ont pourtant renié, tout en en gardant de lui, un souvenir, toujours davantage embelli d'année en année.
Ce recueil est la compilation de leurs correspondances durant tout un été : les seize courtes lettres se complètent parfaitement et surtout, se répondent.
Nés tous deux à vingt ans de distance, ils n'ont bien évidemment pas le même point de vue sur leur pays.
Sophie est fille de "Pieds-noirs". Elle vit aujourd'hui en Suisse et enseigne le français. Elle va chercher à retrouver l'Algérie telle que la lui décrivait sa mère, celle des grandes fêtes colorées et si vivantes, des rires et des chants, des mounas que l'on partageait, et des pieds nus dans le sable...
Djilali est né un peu avant la guerre d'Indépendance dans un petit village entre Alger et Oran. Pour lui, l'Algérie c'est à la fois de beaux souvenirs d'enfance, mais aussi la pauvreté, l'injustice, la dureté de la guerre et des hommes, la rancœur de certains algériens et leur légitime colère, mais aussi la joie d'aller à l'école pour apprendre toujours plus, grâce à ses instituteurs qui croyaient en lui.
Evidemment, tous deux n'ont pas vécu la même enfance, mais ils restent reliés pour toujours à l'Algérie, leur pays, celui où se trouvent leurs racines familiales.
Ce qui m'a touché dans ce récit épistolaire, c'est la sincérité des propos et le respect mutuel dont tous deux font preuve, lors de leurs échanges.
Ceux de Djilali, qui nous livre ici des propos particulièrement apaisants, sont emplis de sagesse. C'est lui le plus âgé et il fait donc preuve de maturité répondant à Sophie, lui expliquant ce qu'elle n'a pas vécu, comme par exemple la vie quotidienne des algériens pauvres, les horreurs de la guerre d'indépendance, la responsabilité des hommes politiques.
Ce recueil est une belle façon de revisiter l'histoire en croisant le regard et le ressenti de ces deux personnes différentes.
Il peut être lu dès l'adolescence même si je reconnais que ce genre de récit épistolaire n'est pas forcément facile à aborder pour des ados. Cela vaut la peine de fournir un certain effort pour entrer dedans.
Ces lettres peuvent de plus, être utilisées en classe puisqu'elles se répondent. Je suis certaine qu'elles pourront être la base de débats constructifs.
Leurs deux regards, complémentaires, dressent le portrait d'un pays meurtri auquel le silence a fait considérablement de mal, comme il a fait du mal aux hommes. Ce silence a entraîné son lot de violence, amenant les hommes à taire leur amour pour lui, et cela, des deux côtés de la méditerranée.
Le sujet glisse forcément sur le thème des migrants, de tous les temps et de la méditerranée qui depuis des décennies, a été traversée, car porteuse de tous les rêves... de déceptions et de pertes humaines considérables.
Le fait que tous deux cherchent à comprendre, remettent en questions leurs a-priori et s'interrogent, tout en tentant de trouver un chemin commun sur lequel les générations futures pourront s'appuyer pour pardonner, est un beau message d'espoir...
J'ai cependant trouvé le ton employé par Djilali, par moment trop moralisateur ce qui a un peu gâché ma découverte.
Merci à Babelio et aux Editions "Chèvre-feuille étoilée" de m'avoir permis de découvrir cet échange épistolaire. Cela me donne envie de découvrir les livres de ces deux auteurs.
Encore une fois je te propose d'avancer l'un vers l'autre et non pas l'un contre l'autre.