Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
...pour l'heure, la route était déserte et les deux garçons pédalaient vite, face au soleil, poursuivis par leurs ombres. Après les chaleurs de l'après-midi, les bois environnants se laissaient retomber dans un soupir et le déclin du jour faisait comme un compte à rebours.
A l'horizon, le ciel avait pris des couleurs exagérés. Grisé il lâcha le guidon et ouvrit les bras. La vitesse faisait battre les pans de son débardeur. Il ferma les yeux un instant, le vent sifflant à ses oreilles. Dans cette ville moitié morte, étrangement branlée, construite dans une côte et sous un pont, Anthony filait tout schuss, pris de frissons, jeune à en crever.
Prix GONCOURT 2018.
Durant l’été 1992 à Heillange, (sans doute Hayange) une petite ville située dans une vallée de l’est de la France, c’est la canicule !
Anthony 14 ans et son cousin plus âgé tentent de s’occuper. Ils font connaissance avec des jeunes de leurs âges. Stéphanie en particulier avec sa queue de cheval et sa jolie poitrine ronde, attire immédiatement Anthony. Mais elle le repousse et se moque de sa timidité…ils ne sont pas du même milieu. Pourtant elle aussi ne rêve que d'une chose, se tirer de la vallée !
Un soir pour rejoindre une fête assez éloignée où les deux cousins espèrent bien croiser les filles, Anthony pique la moto de son père. La soirée se passe entre beuverie, joints et drague. Au petit matin, quand Anthony émerge de la fête, la moto a disparu : c'est Hacine un petit caïd de banlieue qui l'a volé.
Pour Anthony, rien ne sera plus pareil après ce bel été. Ses parents se séparent, ses rêves s'envolent et le lecteur le retrouve deux ans plus tard. Il a grandi mais c’est encore sur Steph qu’il fantasme. C’est ainsi que le lecteur va suivre Anthony et les autres adolescents dans leurs rêves, leur vie quotidienne, leurs petits boulots, leurs amourettes, pendant quatre étés de 1992 à 1998, au moment de la coupe du monde, quand le pays en effervescence sera entièrement tourné vers l’exploit à venir des bleus...
Sur la terrasse, le volume sonore monta d'un coup et tout le monde dressa l'oreille.
C'était ce truc qui passait en boucle sur M6. En général, ça donnait envie de casser une guitare ou de foutre le feu à son bahut, mais là, au contraire, chacun se recueillit. C'était presque encore neuf, un titre qui venait d'une ville américaine et rouillée pareil, une ville de merde perdue très loin là-bas, où des petits blancs crades buvaient des bières bon marché dans leurs chemises à carreaux. Et cette chanson, comme un virus, se répandait partout où il existait des fils de prolo mal fichus, des ados véreux, des fumeurs de shit et des élèves de Segpa. A Berlin, un mur était tombé et la paix, déjà s'annonçait comme un épouvantable rouleau compresseur. Dans chaque ville que portait ce monde désindustrialisé et univoque, dans chaque bled déchu, des mômes sans rêve écoutaient maintenant ce groupe de Seattle qui s'appelait Nirvana.
Le lecteur suit ainsi de près l'évolution de ces jeunes : Hacine qui après son larcin va retourner au bled avec son père, pour y faire du trafic de shit ; Anthony qui se laisse parfois emporter par la fougue de sa jeunesse et finira par s’engager dans l’armée ; Stéphanie qui finira par décrocher son bac avec mention et partir faire les études dont elle rêvait...
Dans cette vallée perdue où la désindustrialisation est en marche car les Hauts-fourneaux se sont éteints les uns après les autres, où les pères boivent trop parce qu’ils n’ont plus de boulot, deviennent violents et font souffrir leur famille, une sorte de malédiction pèse sur la petite ville.
Tous les jeunes semblent englués dans leurs actes au point de ne plus savoir comment trouver leur propre voie…
Un regard, une main qui se balade, une descente à moto cheveux au vent, une chanson…suffisent à faire déborder leur trop-plein de vie qu’ils n’arrivent pas à contrôler mais c'est ce qui les relie comme un fil invisible et leur fait sentir leur appartenance à cette vallée. Quoi qu’il advienne, elle les engloutit et elle est tellement présente dans leur vie qu'ils ne pourront jamais l’oublier, même en la fuyant…
Ces ados, sont-ils condamnés pour autant à revivre la vie menée par leurs parents avant eux ?
En s'appuyant sur ses propres souvenirs d'enfance, l’auteur a choisi de nous décrire la vie quotidienne de cette France-là, à travers le ressenti de ces jeunes adolescents qui étouffent tout simplement sous leur intense désir de vivre, d’être libre, d’aimer...
Le style est clair et précis, sans fioriture, ou formules inutiles.
L’auteur nous décrit les gens de sa région sans jamais porter aucun jugement sur les actes des uns ou des autres, comme s’il voulait lui-même en écrivant sur eux, prendre de la distance par rapport à ce qu’il a vécu enfant.
Mais s'il fait preuve de réalisme et d'une grande justesse de ton, il ne manque jamais non plus ni d'une certaine forme de tendresse, ni d'empathie pour ses personnages et nous livre ainsi un roman formidablement humain...
A lire absolument !
Comme des milliers de gosses de pauvres qui n'avaient jamais été heureux à l'école, il partait pour se trouver une place, apprendre à se battre et voir du pays. Coïncider avec l'idée que son père se faisait d'un homme, aussi...
Tous partageaient le même genre de loisirs, un même niveau de salaire, une incertitude identique quant à leur avenir et cette pudeur surtout, qui leur interdisait d'évoquer les vrais problèmes, cette vie qui se tricotait presque malgré eux, jour après jour, dans ce trou perdu qu'ils avaient tous voulu quitter, une existence semblable à celles de leurs pères, une malédiction lente. Il ne pouvait admettre cette maladie congénitale du quotidien répliqué. Cet aveu aurait ajouté de la honte à leur soumission...
Vous pouvez lire ci-dessous l'avis d'Hélène, elle a adoré et l'a lu bien avant de savoir qu'il allait avoir le prix Goncourt !
Leurs enfants après eux de Nicolas MATHIEU - Lecturissime
♥ ♥ ♥ ♥ "L'éducation est un grand mot, on peut le mettre dans des livres et des circulaires. En réalité, tout le monde fait ce qu'il peut. Qu'on se saigne ou qu'on s'en foute, le résult...
http://www.lecturissime.com/2018/10/leurs-enfants-apres-eux-de-nicolas-mathieu.html