Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Sur le rivage, la nuit se levait, éveillait les villages. La lumière filtrait autour des fenêtres et formait des gouttes d'or suspendues dans la nuit.
La guerre, non, la guerre n’a rien d’essentiel ; les choses essentielles sont le vent, le goût des pierres chaudes, le soleil, les ailes des oiseaux, les cris des enfants sur la plage.
Présenté avec enthousiasme par une de mes amies lectrices, lors d'une des dernières réunions du Cercle de Lecture auquel j'appartiens, je ne pouvais pas passer à côté de ce roman, qui aborde le sujet sensible de la guerre d'Algérie et de ses conséquences pour les hommes des deux côtés de la méditerranée.
Ce premier roman à la fois très cinématographique, réaliste, poétique raconte tout en finesse, la vie de plusieurs jeunes gens avant et après la guerre d'Algérie.
Le pire, ce n'étaient pas les cris, ou l'odeur. Le pire, c'était de voir. Il avait suffi d'une seconde, un coup d’œil de rien du tout, pour que ça entre en lui et que son cerveau commence à fabriquer des images dont il ne pourrait plus se débarrasser. Il entendait les hurlements, les ordres, les menaces, les coups, la chair déchirée...
...moi ces choses je les sens. Elles m'étouffent, la nuit, c'est comme, comment dire, comme des gouffres, des voix qui me hantent. Ces choses, elles me rongent, elles sont là et elles ne passent pas.
Le lecteur fait la connaissance durant l'été 1964, de quatre jeunes gens, Antoine, Florence, Rose et Louis et leurs amis.
L'indépendance de l'Algérie a été proclamée deux ans auparavant. Ils sont jeunes et insouciants et ne pensent qu'à s'amuser, à sortir, à flirter, à boire et à danser...
Leurs parents sont tous des français venus s'installer en Algérie pour travailler dans une compagnie pétrolière, restée sur place au milieu du désert et dans laquelle Louis est devenu ingénieur.
Dans une première partie du roman, le lecteur découvre Rose. Elle aime particulièrement s'amuser et comme les contraires s'attirent toujours, elle tombe amoureuse de Louis, si différent des autres.
Il est souvent mutique et n'aime pas danser.
Dès leur mariage, elle va se rendre compte, qu'il porte un lourd secret et que la guerre l'a marqué au-delà de ce qu'elle pouvait imaginer : ses nuits sont peuplés de cauchemars et de larmes et la situation se dégrade d'années en années, malgré la naissance de leur petite Violette.
Que cache-t-il ainsi à sa famille et à ses proches ? Pourquoi s'absente-t-il si souvent ? Quels événements traumatisants, vécus durant la guerre affectent ainsi sa vie quotidienne ?
Dans une seconde partie, c'est Louis que le lecteur va suivre. Il a quitté l'Algérie pour s'installer avec Rose et Violette à Marseille. Nous sommes dans les années 70. Bien sûr le lecteur découvrira au fil de l'histoire, ce qu'il ne peut révéler que sur le tard à sa famille.
La seule chose que je peux dévoiler c'est que toute sa vie, il assumera ses choix et qu'il restera relié à l'Algérie...
...il eut ces quelques mots qui allaient la hanter longtemps, jusqu'au jour où, des années plus tard, elle serait enfin capable d'en mesurer l'ampleur :
"Il y a un temps pour la guerre. Il y a un temps pour l'amour. Il y a un temps pour l'oubli."
Malgré le visage stupéfait de Violette quand il commence à crier, chaque mot est un cri qui lui déchire la bouche, il demande pourquoi, pourquoi elle est incapable de pardonner, pourquoi elle n'a jamais essayé, même un tout petit peu, incapable de pardonner, alors que lui, il pardonne tout, il ne sait pas à qui, peut-être à la vie de l'avoir noyé dans le sang quand il avait vingt ans, de lui avoir tenu la tête dans cette mer de sang, de l'avoir empêché de respirer, de dormir, de vivre...
Par d'habiles retours en arrière qui nous transportent au début des années 70, puis en 1959, au cœur de la guerre d'Algérie, pour nous retrouver enfin le 12 juillet 1998, date fatidique pour nos héros alors émigrés à Marseille, l'auteur nous raconte 40 ans de la vie des personnages.
Le suspense va crescendo au fur et à mesure des révélations.
Beaucoup d'éléments vont s'éclairer à la fin.
Nous découvrons comment ces jeunes gens apprendront à passer d'une vie légère et insouciante à une vie marquée par les conflits racistes, l'insécurité, l'enfermement__réel ou imaginaire_ et comment tout cela va les poursuivre toute leur vie.
Ce n'est pas un roman facile par sa construction et l'immersion dans l'histoire n'est pas immédiate. Il nous faut le temps d'entrer dans l'ambiance, mais au fur et à mesure de notre lecture, nous avons de plus en plus envie d'en connaître la suite.
L'écriture est fluide malgré les retours en arrière, les chapitres sont courts et le livre se lit quasiment d'une traite.
Ce roman est un bel hommage, je trouve, à ces vies meurtries par les guerres, à ces personnes qui ont vécu tellement de violences physiques ou psychologiques que leur vie ne sera plus jamais la même et qu'ils ne pourront plus jamais aimer comme ils l'auraient voulu.
Mais c'est aussi un bel hommage à leur famille, qui comme Rose, ont tout fait pour les comprendre, sans jamais y arriver, et à leurs enfants, eux-même meurtris qui devront apprendre à pardonner, pour ce qu'ils n'ont jamais reçu et qui pourtant leur était dû.
C'est aussi un roman qui nous donne l'espoir qu'un jour le pardon sera possible entre les peuples et que la paix pourra enfin éloigner pour toujours la violence.
Ne passez pas à côté de cet émouvant roman, dont on a trop peu parlé dans les médias, enfin, si le sujet vous intéresse bien évidemment.
Il leur faut plusieurs secondes pour se reconnaître vraiment, pour extraire des profondeurs de l'existence les hommes de vingt ans qu'ils ont été un jour ; il faut en une minute abolir la durée d'une vie entière...