Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Les loyautés, ce sont les liens invisibles qui nous attachent aux autres -aux morts comme aux vivants-, ce sont les promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l'écho, des fidélités silencieuses, des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes...
Dès qu'elle aperçoit Théo en classe, Hélène Destrée est persuadée qu'il est maltraité. Son entourage la pense dépressive et tous lui démontrent qu'il n'en est rien. Mais elle ne veut rien entendre : dans les tripes, elle sent que cet adolescent de 12 ans cache quelque chose.
Des souvenirs douloureux de sa propre enfance remontent à la surface, au fur et à mesure qu'elle perçoit, comme un cri silencieux, les agissements de l'adolescent.
Elle a beau convoquer la mère, faire un esclandre auprès de la prof d'EPS qui a humilié le jeune garçon devant toute la classe, voir à plusieurs reprises le chef d'établissement, tout le monde est aveugle et lui conseille d'un air désolé... de se reposer.
C'est vrai que Théo ne porte aucune marque de sévices. Il présente simplement un retard de croissance, mais elle ne peut pas expliquer pourquoi...elle le sent !
Ce qu'elle ne sait pas par contre, c'est que Théo et son ami Mathis, se cachent derrière l'armoire sous l'escalier de service, pour boire des alcools forts qu'ils achètent grâce à l'argent que Mathis vole à sa mère...
Le lecteur assiste désarmé à la descente aux enfers de ces deux jeunes ados qui ne peuvent demander l'aide de personne.
Le doux et raisonnable Mathis a compris qu'il y avait un problème entre ses parents mais n'en devine pas la cause.
Quant à Théo, il mène une vie compliquée entre la semaine passée chez sa mère avec qui il a une vie bien rangée, son meilleur ami Mathis qu'il ne fréquente qu'au collège et, la semaine triste et emplie de désespoir, qu'il passe chez son père, au chômage de longue durée et qui perd peu à peu les pédales et se noie dans sa dépression...
J'ai pensé que le gamin était maltraité, j'y ai pensé très vite, peut-être pas les premiers jours mais pas longtemps après la rentrée, c'était quelque chose dans sa façon de se tenir, de se soustraire au regard, je connais ça, je connais ça par coeur, une manière de se fondre dans le décor, de se laisser traverser par la lumière.
Ce roman intimiste et profond est bouleversant, comme beaucoup de livres de Delphine de Vigan.
L'auteur se place tout de suite du côté des enfants. Elle dresse le portrait de deux ados en détresse pour des raisons familiales différentes et qui deviennent amis. Leurs parents ne remplissent pas leur devoir de parents et ne font rien pour protéger leurs enfants.
L'auteur aborde le thème de la loyauté sous plusieurs facettes :
La loyauté d'un ami : En ne parlant pas des difficultés de Théo à un adulte, Mathis va le mettre en danger.
La loyauté d'un adulte à l'enfant qu'il a été : c'est le cas d'Hélène et de ce qu'elle cache de sa propre enfance.
La loyauté de l'enfant par rapport à son autre parent en cas de divorce. C'est le cas de Théo qui a promis de ne rien dire sur les problèmes de son père.
C'est un roman choral où chacun des personnages prend tour à tour la parole.
Hélène d'abord, puisque c'est elle qui est au centre du roman, elle qui parce qu'elle a connu aussi la maltraitance, va tout faire pour être entendue et aider le jeune garçon à s'en sortir.
Théo ensuite, qui est un enfant meurtri. Il n'a qu'un seul souvenir de ses parents ensembles. Sa mère ne veut pas savoir ce qu'il fait chez son père, alors il lui ment ou ne démentit pas ses propos. Il ne lui dit rien sur l'ambiance à la maison, ni sur le manque de nourriture et d'argent, ni sur l'état dépressif de son père.
Mathis, son meilleur ami, est lui-aussi un ado solitaire. Il est très sensible et a peur pour Théo car il sent que son ami ne va pas bien, mais il est totalement démuni et ne sait pas que faire. Il pense qu'en se taisant, ainsi il le protège.
Cécile, la maman de Mathis, est elle-aussi en souci pour son fils. Elle pense à tort que Théo a une mauvaise influence sur lui. Elle-même ne va pas bien depuis qu'elle a découvert que son mari avait une double vie, non pas avec une autre femme, mais en devenant un autre personnage en dehors de la maison. Depuis elle parle toute seule et consulte un psy.
Voilà un roman subtil et tout en finesse. Il nous parle de maltraitance et des loyautés...qui parfois mettent les autres ou nous-même en danger.
Un roman qui force à réfléchir et à se poser des questions, qu'aurai-je fait moi, dans une telle situation...
A lire absolument surtout si vous travaillez avec des enfants ou des ados.
Je parle toute seule, oui, pour me rassurer, me consoler, m'encourager. Je me tutoie, parce que malgré tout les deux parties de moi-même se connaissent depuis longtemps. J'ai bien conscience que cela peut paraître ridicule. Ou inquiétant. Mais le fait est que cette partie de moi qui s'adresse à l'autre se montre toujours confiante , et rassurante.