Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Le problème de la pensée est un problème circulaire, les soucis tournent, les circuits sont peu nombreux. La pensée traverse l'esprit par des conduits connus, elle fait toujours le même trajet. Il n'y a personne pour changer son chemin. Pour suggérer un autre passage vers d'autres idées.
Je rumine des scénarios de vengeance...
Je rumine, je rumine, tout en sachant que je ne pourrai rien faire, et que l'humiliation restera comme un épine enfoncée profond. Mais la haine est un vrai réconfort. Elle procure du plaisir. Elle court dans les vaisseaux comme un nouveau sang, elle donne envie de se battre.
J'en vois passer des gosses coffrés pour des motifs minables. Fiers le jour, ils pleurent la nuit. Ils sont à peine majeurs mais la prison ne leur épargne rien...
Je change, mais au fond de moi, je n'accepte pas...
Joseph vient d'être arrêté. Il a voulu aider son frère à braquer une banque et celui-ci a été abattu sous ses yeux.
Lui, le gentil de la famille, doit s’adapter à la prison, à la fouille au corps, à la brutalité des gardiens et des détenus, au froid, aux odeurs, au bruit et à la solitude, mais aussi au manque d'intimité, aux combines et surtout à ceux qui profitent de sa crédulité...maintenant qu'il est affaibli et hanté par la mort de son frère.
Mais alors que tout va mal pour lui, une explosion nucléaire vient le sauver de cet horrible cauchemar. Il réussit à sauter du camion qui emmène les détenus hors de la zone contaminée. Les rescapés sont peu nombreux et les survivants se battent pour quitter au plus vite les lieux.
Resté seul dans la zone interdite, Joseph s'installe dans une ferme abandonnée. Il reprend peu à peu goût à la vie, tout d'abord en abandonnant ses scrupules et en allant se servir dans les fermes délaissées pour se nourrir et organiser son premier hiver. Puis il prend contact avec la nature, avec la terre, le rythme des saisons, et approfondit ses connaissances en matière de culture et d'élevage grâce à des ouvrages laissés ici ou là.
Enfin, il retrouve un peu de chaleur humaine en adoptant des animaux attirés par sa présence...un bélier et un chat qu'il va couvrir d'attention et qui vont devenir sa raison de vivre.
Plongé dans la solitude, sans espoir de revoir un jour toute trace d'humanité, Joseph découvre une vie dont il ne connaissait même pas l'existence. Mais un nouveau drame bouleversera pour la troisième fois sa vie.
Il laissera alors sa détresse l'ensevelir jusqu'à la folie...
C'est un roman d'une grande force poétique qui nous amène à nous interroger sur notre besoin inné de communication, les dégâts liés à la solitude mais aussi sur notre société en général et ses rouages.
Joseph malgré sa peur d'être retrouvé et de devoir retourner en prison, rêve au fond de lui, comme le faisait Robinson sur son île déserte, d'être découvert et de recevoir un signe de vie des "autres"...
L'homme est-il fait pour vivre seul ?
C'est un roman de contraste qui nous fait passer du bruit au silence, de l'horreur de l'enfermement à la liberté, de la dépression à l'espoir d'une vie nouvelle, de la violence à la tendresse...et aussi du "je" plus intimiste au "il" d'un observateur extérieur et de l'argot de la prison à un langage plus poétique...
C'est un roman qui sonne toujours juste. Les pages sur l'accueil de Joseph en prison font froids dans le dos et celles où il déploie toute sa tendresse pour apprivoiser les animaux sont émouvantes.
L'auteur fait preuve d'une justesse de ton, d'une sensibilité et d'une finesse remarquable pour nous faire entrer dans les pensées de ce jeune homme solitaire, tout juste sorti de l'adolescence, qui va devoir survivre seul plutôt que de revivre l'enfer et c'est ce qui donne à ce roman original, une portée exceptionnelle.
A lire aussi du même auteur "Quand le diable sortit de la salle de bain" que je vous ai présenté en 2016.
A noter...
Le roman a reçu durant le mois d'octobre le Prix de la page 111, "le plus absurde des prix littéraires" d'après son fondateur ! Un prix qui existe depuis 2012 et dont je n'ai entendu parler que l'année dernière en me baladant sur le net.
Toute sa vie, il a été éduqué, habillé, noté, discipliné, employé, insulté, encavé, battu par les autres.
Maintenant, les autres, ils sont morts ou ils ont fui.