Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Voilà un roman, paru il y a déjà quelques années (2011) et que je n'avais jamais eu l'occasion de lire.
J'avais entendu parler de Laurence Cossé, de nombreuses fois, car elle a écrit sur la condition des femmes, entre autres et qu'elle est Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres depuis 2009. Son histoire familiale la rapproche sans lien de cause à effet, au grand Antoine de Saint-Saint-Exupéry dont elle est la petite-nièce. Enfin, elle a obtenu de nombreux prix littéraires.
La chambre habitée par Fadila est minuscule. Inhumaine- le mot saute à l'esprit. Elle doit faire deux mètres de large sur deux mètres cinquante de long, avec à peine deux mètres de hauteur sous plafond.
...
La fenêtre a beau donner sur le ciel, et quand on s'en approche, sur les toits à l'infini, l’exiguïté de la pièce suffit à expliquer que Fadila y ait des crises d'angoisse.
C'est le contraire qui serait anormal
Dans "les amandes amères", elle retrace la rencontre de deux femmes. Edith et Fadila.
Fadila fait quelques heures de repassage chez Edith. Edith est traductrice et travaille souvent à la maison. Elle ne voulait pas être dérangée, mais elle a accepté de prendre Fadila chez elle, par pure solidarité féminine.
Un jour Edith comprend que Fadila ne sait ni lire ni écrire, ne connaît donc ni les lettres, ni les chiffres et est donc bien incapable de reproduire même un numéro de téléphone, pour la prévenir de ses absences.
A près de 65 ans, elle n'est jamais allée à l'école et est "analphabète" ce qui l'handicape quotidiennement dans sa vie et explique qu'elle n'ose même pas prendre le métro.
Spontanément, Edith lui propose de lui apprendre. Très vite, malgré l'enthousiasme mutuel, l'apprentissage s'avère beaucoup plus compliqué que prévu.
Edith n'a jamais eu de formation particulière. Elle teste au jour le jour les différentes méthodes qu'elle trouve sur internet. Fadila a ses propres soucis, et ce qui semble acquis un jour, est oublié le lendemain...
En fait, peu à peu, Edith découvre que la vie de Fadila a été marquée par la violence d'un mariage trop précoce, que sa vie solitaire en France est pour elle une source d'angoisse permanente, et que les conflits avec ses proches la rendent très malheureuse. Or sans disponibilité affective, l'apprentissage à l'âge de Fadila est quasiment impossible...surtout quand il faut travailler toute la journée pour vivre.
D'ailleurs n'est-ce pas pour cette raison-là, que même les centres d'alphabétisation ne prennent plus les "personnes âgées" ?
Edith se prend d'affection pour Fadila, une amitié particulière naît, tout en sachant qu'elle ne peut l'aider davantage...elle a beaucoup à apprendre d'elle et de sa sagesse populaire. Elle a aussi beaucoup à apprendre pour mieux connaître son douloureux passé...
[Edith] elle aussi a besoin d'un minimum de confiance dans le succès. Car elle va continuer. Quoi qu'elle en ait, elle ne peut pas interrompre ce qui est commencé. Elle ne se voit pas dire à Fadila : ça ne va pas marcher, arrêtons les frais.
Une demi-heure serait le minimum, une demi-heure tous les jours. Comment demander cela à une femme lasse et révoltée qui se voit comme une vieille femme ?
Une femme déracinée, seule le soir dans une chambre minuscule, qui ne peut pas éteindre la télévision sous peine d'être happée par l'angoisse.
Mon avis
Ce roman est un tissu de douceur et d'attente...mais aussi de révolte.
L'écriture est fluide, les propos emplis d'humanité, les personnages attachants et c'est ce qui nous donne envie de poursuivre ce parcours singulier vers un objectif qui, le lecteur le comprend très vite, sera impossible à atteindre.
C'est un roman qui sonne juste. Il est parfois touchant, toujours très réaliste et souvent drôle. Il montre bien qu'aider les autres, si ça part d'un bon sentiment, n'est pas toujours chose aisée.
Edith est un personnage empli de générosité, d'une patience étonnante, d'une grande sincérité et d'une adaptabilité remarquable. On sent qu'elle a des qualités humaines indéniables et qu'elle voudrait vraiment sortir Fadila de son isolement. Elle cherche à la connaître et à la comprendre, mais ni arrive pas toujours.
Fadila est intelligente et le lecteur voit bien qu'elle n'y arrive pas uniquement parce qu'il y a des concepts qui ne font pas partie de son quotidien, ni de sa culture. Elle n'a jamais appris à écrire alors qu'elle parle couramment arabe et berbère et, comme elle le peut, le français.
L'auteur nous fait comprendre avec beaucoup de délicatesse que le problème de l'analphabétisme en France est un problème sociétal important qui ne peut être résolu, qu'au cas par cas, et en prenant le temps de bien connaître la culture d'origine des personnes et leur parcours de vie.
Et puis, avant d'apprendre à lire et à écrire le français il leur faudra d'abord se sentir en sécurité...
Combien de Fadila existe-t-il encore en France aujourd'hui ? Laurence Cossé s'est inspirée d'une histoire vraie. Elle nous fait réfléchir sur le problème pas si facile que ça de l'apprentissage d'une langue.
Je pense que ce livre devrait être lu par tous, pour mieux comprendre pourquoi ce n'est pas si facile à certaines personnes de s'intégrer.
Une belle découverte encore, pour moi...