Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Avec l'écriture, j'ai enfin trouvé un moyen de me raconter sans parler de moi.
L'itinéraire emprunté par les uns ignore celui des autres, roulant à sens unique loin du carrefour banalisé des esprits en détresse.
Une fois n'est pas coutume, avant de vous donner mon ressenti sur ce premier roman, de vous parler de cette belle découverte faite au hasard de mon périple dans les rayons de la médiathèque de mon petit village...je vais vous dire quelques mots sur l'auteur.
Sous le pseudo de Babouillec se cache Hélène Nicolas. Elle est autiste, elle n'a jamais appris officiellement à écrire, ni à lire, ni à parler.
Mais à défaut de savoir parler, elle veut communiquer avec son entourage, et sa mère découvre un jour qu'elle sait lire et écrire.
Lire...elle a appris seule à le faire car elle comprend, analyse et retient tout ce qu'elle a sous les yeux.
Écrire...elle le fait avec des lettres qu'elle assemble devant elle sur une feuille blanche car elle n'a pas la coordination nécessaire à l'acte d'écriture.
Dans ce premier roman poignant, inutile de vous dire que l'histoire n'est que prétexte à ses propres réflexions sur la différence et les difficultés de s'intégrer au monde qui l'entoure...et plein d'autres choses encore.
Si je ne suis pas concernée dans ma vie personnelle par l'autisme, j'ai eu l'occasion de côtoyer dans mon travail des enfants et des adolescents qui présentaient un ou plusieurs des troubles qualifiés d'autisme.
J'ai eu aussi l'occasion d'avoir pendant quelques mois dans mon équipe un jeune autiste, lorsque j'étais encore bibliothécaire. C'est donc un sujet qui m'intéresse beaucoup...
Et quand on sait qu'en France seulement 15% des enfants autistes sont scolarisés, on ne peut que se révolter devant tant d'injustice. C'est impensable que notre société traite ainsi un être, simplement parce qu'il est différent.
Cette pensée me trotte dans la tête, il existe des refuges pour les pensées égarées. Je suis passée maître en la matière, collectionneuse de pensées sans refuge, les miennes.
Ce roman est l’histoire toute simple d'Éloïse, surnommée Miss Othello. Elle est danseuse. Elle travaille avec des amis, Mario et Loubie qui sont tous deux marionnettistes. Ensembles, ils préparent un spectacle.
Mais Miss Othello ne va pas bien car elle vient de rompre avec Moshé, son amoureux et elle veut se faire aider. Liz, une de ses précieuses amies lui conseille de consulter et c'est ainsi qu'elle croise Mme Sanchez.
Elle a une vie la plus "normale" possible, sort avec ses amies, regarde la TV le soir, discute des soirées entières pour refaire le monde, ou chercher à le comprendre.
Mais c'est dans l'écriture qu'elle va trouver, un bénéfique salut qui lui permettra non seulement d'oublier ce qui se passe dans son cerveau "embrouillé"...mais aussi de guérir.
Si Éloïse a la chance d'être autonome dans la vie, de pouvoir travailler et vivre libre, ce qui n'est pas le cas de Babouillec, elle n'en est pas moins son double, son miroir, celle qu'elle voudrait être et c'est aussi pour cela que ses propos nous touchent...
D'ailleurs le livre qu'Éloise écrit dans le roman, s'appelle aussi "Rouge de soi" ("Rouge comme les interdits, le sang, l'intimité, l'émotion suprême, la timidité, le dépassement de soi dans la profondeur de l'identité, le carrefour des sens interdits"page 125).
La liberté d'opinion est un acte précieux inscrit dans les droits de l'homme.
A-t-on le mode d'emploi pour s'en servir lorsque nos opinions froissent notre famille, doit-on élire à l'unanimité les opinions permises ?
Comment se construisent les identités profondes individuelles, dans un fonctionnement préétabli ?
Comme je vous l'ai dit ce roman est indescriptible et ne rentre dans aucune case.
L'histoire n'est que le prétexte à de nombreuses réflexions philosophiques qui nous font pénétrer dans la bulle de l'auteur. Une bulle qui n'est pas du tout synonyme d'enfermement mais d'ouverture, de créativité et de poésie.
Chaque court chapitre indique clairement le sujet des réflexions : l'intention, le plaisir, la raison, le tri, la vie, la délivrance...
Barbouillec à travers le personnage d'Éloïse nous observe, elle cherche à comprendre le monde, à trouver sa propre identité au sein de notre société complexe. Elle philosophe, nous explique sa vie avec humour, s'amuse de nous et de nos travers.
Et nous ne pouvons nous empêcher de nous questionner...
Qui est réellement différent, elle ou nous ?
Qui a la tête embrouillée...elle ou nous ?
Qui est -elle vraiment ? Qui sommes-nous ?
J'ai été charmée et émue par ses questionnements incessants et la poésie de ses propos.
J'ai été surprise par les tournures de phrases, les références littéraires, le vocabulaire soutenu, mais je ne mets nullement en doute la véracité de l'écriture, en disant cela.
Les phrases sont courtes et percutantes. Il y a beaucoup de dialogues rendant ainsi l'appropriation des idées, plus facile.
Un court roman sur la difficulté de vivre quand on est différent...142 pages à découvrir absolument !
Le mouvement terrestre, la marche du temps, sont-ils des ancrages indélébiles ou des invitations au voyage ?
Chaque pas suscite des interrogations. Le sable chaud du désert transporte-t-il les mêmes informations que la terre glaise galvanisant sous la semelle des chaussures ? Les poètes marchent-ils sur la Lune pour être dans la bonne texture au bon moment ?
Sommes-nous des interprètes, des traducteurs, des lecteurs ou écrivains du sens du monde ?
En 2016, Julie Bertucelli, cinéaste, avait réalisé sur cette jeune artiste, un documentaire poignant que je n'ai pas vu et qui s'intitule, "Dernières nouvelles du cosmos". Peut-être le connaissez-vous ?
Elle nous dit dans la préface de "Rouge de soi" :
"Plus je lis Babouillec, plus je suis émue et pense profondément qu'elle est l'une des plus grandes poétesses-écrivaines-autrices du XXIe siècle...
Je ne la remercierai jamais assez d'être ce qu'elle est et d'être venue sur terre pour nous rencontrer !"
Je vous propose donc de visionner la bande-annonce du documentaire, ci-dessous.
Je vis dans le pays des droits de l’homme, un pays libre, et je suis morte de peur. Je vis enfermée dans la peur de perdre ma liberté, la peur de me retrouver enfermée car je ne sais pas défendre mes droits...