Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Je n'ai pas prononcé son nom pendant des années. Tout ce temps-là le mot maman est resté tapi au fond de ma gorge, telle une couleuvre qui refuse de sortir...
A treize ans, la narratrice doit démarrer une nouvelle vie et tout oublier de son passé. Ceux qu'elle prenait pour ses parents ne le sont pas, et elle doit retourner vivre dans sa vraie famille qu'elle ne connaît pas.
Enfant unique jusque-là, adorée par "ses parents adoptifs", elle a été élevée dans un station balnéaire à une cinquantaine de kilomètres de là. Elle qui fréquentait un cours de danse, le club de natation de la ville et la plage, doit se rendre à l'évidence. Sa véritable famille est pauvre. Le père n'a pas de travail. Personne n'attendait son retour. Elle est une étrangère dans sa propre famille.
Tous les habitants au village la surnomment, "La Revenue".
Naïve, ne sachant rien de la vie parce qu'elle a été super protégée, ne connaissant pas non plus le système D, elle va devoir tout accepter : le partage du lit avec sa jeune sœur Adriana, les repas sans rien à manger, la mère mutique et la vie avec trois frères dont un bébé attardé et un autre, Sergio, empli de rancœur et de jalousie.
Il va lui falloir survivre au cruel manque d'amour et à l'éloignement de Patrizia, sa meilleure amie de toujours...
Ne sachant plus qui elle est, la narratrice est envahie par l'angoisse, croyant que sa mère adoptive est gravement malade et va mourir.
Seul l'amour d'Adriana, sa sœur cadette et de Vincenzo son frère aîné, mettra un peu de baume dans son cœur d'adolescente meurtrie. Sa réussite scolaire et le soutien de son institutrice seront aussi d'un grand secours...
Elle va chercher à trouver sa place avec beaucoup de courage et de détermination, et tentera en parallèle d'en savoir plus sur les raisons de son éloignement, espérant toujours que ceux avec qui elle a vécu tant d'années de bonheur, vont venir la récupérer. Mais elle cherchera aussi à comprendre pourquoi ses propres parents l'ont abandonné à la naissance.
Elle se reconstruira peu à peu en tentant de juxtaposer ces (ses) deux vies, ces (ses) deux familles, ces deux modèles...
Car finalement à qui appartient-elle ?
Comment se fait-il que tout le monde semble au courant de ce qu'elle ignore ?
Arrivera-t-elle à savoir pourquoi ses parents adoptifs l'ont abandonnée ?
Le mystère est d'autant plus insoutenable qu'Adalgisa, sa mère adoptive veille de loin et aide discrètement la famille financièrement tout en restant parfaitement invisible et silencieuse...
Son regard lorsqu'elle m'a vue est l'un des souvenirs les plus vifs que je conserve d'elle et probablement le plus néfaste. Il trahissait l'impression d'être piégée et de ne pas trouver d'issue, comme si un fantôme avait resurgi d'une époque ensevelie pour la persécuter.
J'ai découvert avec ce roman une écriture d'une grande finesse et une fresque sociale poignante qui nous permet de pénétrer dans l'histoire des années 70, en Italie.
L'auteur que je ne connaissais pas, dépeint avec beaucoup de réalisme mais beaucoup de délicatesse, le fossé creusé entre les classes sociales, tant au point de vue de la vie quotidienne que de la vie culturelle, des croyances ou des usages, de l'emploi ou pas du dialecte local ou de l'italien. Les différences entre la vie à la ville et à la campagne apparaissent encore plus clivantes.
En dressant ce portrait d'une jeune fille totalement déracinée, hypersensible et intelligente qui va découvrir grâce à sa jeune sœur un autre monde, fait de bruit, de faim, de manque d'hygiène et de violence, c'est la pauvreté qu'elle nous dépeint et les injustices qui s'y rattachent...
Ce roman est largement autobiographique car, au cœur de l'histoire, des années après, la narratrice nous raconte comment elle a survécu à cette année-là qu'elle considère comme la plus longue de sa vie.
Les chapitres sont courts et faciles à lire. L'écriture fluide et le ton très réaliste. Les mots sont précis et les silences en disent long...c'est ce qui rend ce roman si touchant et si authentique, car l'auteur ne tombe jamais dans la caricature et ne cherche pas à attirer la pitié du lecteur.
La pauvreté y reste digne et modeste. Et l'indifférence aux maux des enfants est la seule façon pour les parents d'avancer dans leur vie misérable.
L'auteur dit elle-même avoir été inspirée par des souvenirs de son enfance. Elle entendait dire que certains parents qui ne pouvaient pas avoir d'enfants, allaient en adopter dans des familles pauvres, ayant du mal à nourrir les leurs.
J'ai lu ce roman avec un grand intérêt et je dois dire qu'il a su me toucher...
...aujourd'hui je ne sais vraiment pas quel lieu est une mère. J'en suis privée comme on peut être privé de santé, d'un abri, d'une certitude. C'est un vide persistant, que je connais, mais ne surmonte pas. Regarder à l'intérieur donne le vertige...
La seule mère que je n'ai pas perdue est celle de mes peurs.
Ce roman a été traduit de l'italien par Nathalie Bauer.
L'auteur est née en 1963. Elle connaît bien les Abruzzes où se passe l'histoire puisqu'elle y est née. Elle est l'auteur de deux autres romans pas encore traduits en français que je lirai avec grand plaisir s'ils le sont un jour, car son écriture toute en délicatesse et pudeur, a été une belle découverte pour moi.
A noter : "La Revenue" a obtenu le prestigieux Prix Super Campiello en 2017.