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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Toutes blessent, la dernière tue / Karine Giébel

Belfond, mars 2018

Belfond, mars 2018

Vulnerant omnes, ultima necat

Maman disait de moi que j'étais un ange. Un ange tombé du ciel.
Un ange tombé de haut. Tombé si bas.
Ce que maman a oublié de dire, c'est que les anges qui tombent ne se relèvent jamais.

 

De Karine Giebel j'avais lu et beaucoup aimé "Juste une ombre" un thriller haletant que j'avais avalé d'une traite ou presque lorsque je l'ai emprunté en médiathèque et présenté sur ce blog, en avril 2013 (déjà !). Depuis je n'avais jamais rien lu tant il m'avait secoué... 

Mais lorsque Babelio m'a proposé ce titre dans le cadre d'une masse critique exceptionnelle, j'ai accepté tout de suite pensant que j'étais poursuivie en quelque sorte par le sujet de l'esclavage, un sujet que j'ai pas mal abordé ces derniers temps dans mes lectures. 

J'ai été fortement surprise de le recevoir très vite d'une part mais aussi de constater qu'il avait plus de 700 pages...un monstre donc. 

 

C'est un roman qui se lit dans la foulée, pas d'une traite, non ce serait impossible mais l'histoire est tellement prenante et bien ficelée que lorsqu'on le commence, on n'a plus qu'une seule envie...celui de le terminer.

 

Bienvenue dans l'horreur...

 

 

J'ai cherché la définition du mot "aboli" dans le dictionnaire d’Émilien. Abolir, ça veut dire supprimer quelque chose.
Donc l'esclavage n'existe plus. Interdit, dans le monde entier.
C'est une bonne nouvelle, mais il devrait y avoir des gens chargés de vérifier qu'il ne reste pas d'esclaves dans les buanderies.
Dommage qu'ils n'aient pas pensé à ça lorsqu'ils ont "aboli" l'esclavage.

 

Le père de Tama la vend pour une bouchée de pain alors qu'elle n'a pas encore 9 ans. Elle est censée aller à l'école, étudier et avoir un bel avenir devant elle. Il doit se remarier et a déjà confié la petite fille à sa tante car il ne peut plus s'en occuper. Alors, pour lui, cela apparaît comme la meilleure des solutions...

Elle quitte pour toujours son Maroc natal et se retrouve dans une famille parisienne, d'origine franco-marocaine, loin des siens, et de ceux qui l'aimaient et qu'elle aimait. 

Exploitée par la famille, à peine nourrie avec les restes des autres, obligée de se laver à l'évier à l'eau froide, Tama est privée totalement d'instruction et de liberté. Elle ne peut sortir de la maison, elle pourrait en effet se sauver mais, sans papiers et dans un pays qu'elle ne connaît pas, où irait-elle ?

Elle s'occupe donc de la lessive, du ménage, de la cuisine et de toute la famille y compris du bébé qui vient de naître.

C'est une esclave...et elle est traitée comme telle. 

Courageuse, elle va avoir la volonté d'apprendre à lire et à écrire toute seule, en cachant les livres qu'elle emprunte aux enfants, derrière la machine à laver, dans la buanderie où elle dort la nuit. 

 

Mais un jour, le père de la famille commence à lui tourner autour !  

Tama doit quitter cette famille où elle était maltraitée certes, mais où elle avait ses repères, pour être confiée aux bons soins de Mejda, une personne particulièrement machiavélique et violente, qui fait tout pour la couper de ceux qui l'aiment...tout en la  faisant travailler encore davantage, jour et nuit. 

 

Mais le pire n'est pas dans les coups qu'elle reçoit, ni dans le travail qu'elle fournit, non, le pire pour Tama c'est la souffrance psychologique, le fait qu'on mente à son père pour lui soutirer davantage d'argent en lui faisant croire que Tama a commis des bêtises, le fait qu'il ne sache rien de ses conditions réelles de vie, qu'elle ne puisse jamais lui parler ni lui écrire, pour lui dire qu'elle l'aime et qu'elle pense à lui tous les jours. 

 

De cette période de son enfance, elle ne se remémorera que des bribes de bonheur, toujours de courtes durées, un bout de chocolat pour noël, la tendresse du petit Vadim, l'amour que lui portait la vieille Marguerite, la dame du lundi, qui l'a prise en pitié.

Le reste...ce n'est que servitude entre deux coups...

 

Quelle place a t-elle dans ce monde se demande-t-elle ? 

Un jour, Izri, le fils de Medja découvre que sa mère la maltraite. Battu pendant des années par son propre père, il décide d'intervenir et d'installer Tama chez lui pour la soustraire à son bourreau. 

Tama n'a qu'une envie c'est d'être aimée...et d'aimer en retour. Elle  va, en confiance, lui offrir son coeur pour le meilleur et pour le pire...

 

Mon père s'appelait Darqawi. Je l'aimais. Malgré les coups, les insultes. Malgré tout. Simplement parce qu'il était mon père. Parce qu'entre deux crises de démence, il savait être bon et juste. Et même tendre.
Mon père s'appelait Darqawi. Je l'aimais.
Et je l'ai tué...
Depuis je vis avec son fantôme et les plaies qu'il m'a laissées, aussi profondes que l'infini.

 

En  parallèle, l'auteur nous raconte la vie de Gabriel.

C'est un tueur. Il vit dans les Cévennes près de Florac dans une ferme reculée, loin du monde et cache au monde entier la souffrance qui l'habite. Lana, sa fille unique a été violée et assassinée dans un train. Personne dans le compartiment n'a essayé de l'aider et de la tirer des griffes de ses violeurs. 

Depuis il est devenu esclave à sa manière, puisque obsédé par son désir de vengeance. Ancien flic, il sait se servir de ses armes et a encore accès à tous les renseignements qu'il veut. Alors il décide, méthodiquement d'éliminer chacune des personnes se trouvant dans le compartiment au moment du meurtre de sa petite Lana...

 

Mais un matin, il découvre dans l'étable attenante à la maison, une jeune fille d'une vingtaine d'année, grièvement blessée.

Impossible pour lui d'appeler une ambulance ! Persuadé qu'elle va succomber à ses blessures dans la nuit, il la transporte dans sa chambre, la soigne et tente de la réchauffer.

Les jours passent, elle ne retrouve toujours pas la mémoire mais peu à peu, le tueur s'attache à elle. Il n'arrive pas à la "supprimer".

Pourtant il a déjà creusé sa tombe dans la forêt...

La jeune femme sans le savoir, par sa seule présence, sa jeunesse, son innocence,  brise peu à peu, l'épaisse carapace de cet homme meurtri, une carapace qui, en se fissurant, le met à nu, ce qui commence aussi à le mettre sérieusement en danger...

 

Qui est-elle ? 

Quels événements violents et douloureux a-t-elle vécu, au point d'en devenir amnésique ?

 

D'où vient-elle et par qui est-elle poursuivie ?

 

Vous le saurez en lisant ce thriller haletant...

 

Dès les premières pages du roman le lecteur sait que l'esclavage moderne sera le sujet principal du thriller, avec son lot de violence abjecte, ses dérives, et ses conséquences...

Les deux histoires parallèles font passer le lecteur de l'horreur absolue (la façon dont est traitée la petite Tama est inqualifiable) à la vie quotidienne d'un assassin, d'un tueur dangereux que l'on trouve finalement plutôt doux et sentimental à ses heures...enfin vous comprendrez que dans son cas, c'est tout relatif. 

Le contraste est absolu et nous cherchons immédiatement les liens qui peuvent unir les deux histoires, liens qu'on ne peut deviner et qui nous emmènent sur de fausses pistes. 

 

L'auteur sait parfaitement distiller les nombreux détails, nous présenter les différents protagonistes en nous montrant leurs forces et leurs faiblesses, faire entendre leur voix. Nous nous attachons aux uns tout en détestant les autres sans prévoir jamais ce qui pourrait advenir...mais les revirements sont nombreux.

Ici point de méchants d'un côté et de gentils de l'autre, ce serait trop simple !

Chacun peut basculer à tout instant d'un côté ou de l'autre, rendant dangereuse toute élucubration superflue !

 

Le destin de Tama nous rappelle à chaque instant que d'autres petites filles ou jeunes filles vivent des faits similaires en Europe en ce moment même où vous lisez ces lignes. Les autres personnages sont tous des écorchés vifs à qui la société n'a pas fait de cadeaux et qui n'en feront pas non plus à leur entourage...

 

L'auteur ne s'éloigne jamais très longtemps de la réalité et nous oblige à entrer dans cette sombre histoire dont on voudrait par moment se défaire et s'éloigner, tant elle est violente, et émotionnellement éprouvante, mais c'est impossible, elle vous colle à la peau...

C'est là la force du roman, qui nous oblige à aller plus loin et jusqu'au bout.

Impossible de perdre le fil au cours de ces 736 pages.  

Quand les deux histoires se rejoignent, le lecteur sait que le drame est proche, que le terme de l'histoire, tant redouté, est inéluctable, et que la suite sera encore davantage insoutenable et peut être encore plus sombre...

Et nous restons anéantis par tant de souffrances et la tête pleine de questions.

Où en est l'esclavage moderne ?

Comment les hommes peuvent-ils commettre de telles horreurs et engendrer tant de souffrances qui en appellent d'autres, encore plus violentes ? 

Quand arrête-t-on d'être un être humain pour devenir un bourreau ?

Quand arrête-t-on d'être un être humain pour devenir un esclave et vivre comme une bête ?

 

Il n'y a qu'un peu plus de 5 ans qu'une loi en France est inscrite dans le code pénal...que 5 ans !

C'était en août 2013...c'était hier.

 

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